EcoleS de Danse – Giselle
La saison dernière, ÉcoleS de Danse s’est penché sur les différentes écoles, techniques, styles et méthodes de danse, leurs différences et ressemblances, comment elles se sont nourries l’une à l’autre au cours de l’histoire, à travers différents pas. Cette saison, ÉcoleS de Danse tente de vous faire découvrir les subtilités de chaque école à travers un ballet, d’une façon aussi transversale que possible. Et pour démarrer, place à Giselle. Ballet emblématique et mythique crée à Paris puis exporté en Russie, Giselle fut transmis grâce aux maître.sse.s de ballet tout au long de son histoire, et a évolué selon les différents courants et écoles de danse que l’oeuvre a traversé.e.s.
Cette étude est réalisée à partir de recherches, d’un savoir pédagogique personnel laissant place à une marge interprétative.
Une paternité française
Le 28 juin 1841, le public parisien découvre Carlotta Grisi à la salle Le Peletier dans son rôle majeur, Giselle. Tout comme La Sylphide, le ballet éponyme allie romantisme, brio italien et technicité française. Carlotta Grisi incarne à merveille cet amour impossible aux allures fantastiques. Ses prouesses techniques, sa facilité sur pointes atteint un sommet à travers l’enseignement de son maître Jules Perrot, qui en fait une Giselle incontournable. Lucien Petipa est le créateur du rôle d’Albrecht. Chorégraphes, musiciens et librettistes s’unissent pour donner naissance à un chef-d’œuvre incontournable du répertoire classique.
L’âme russe
Puis Giselle s’est russisé. Quarante ans après la création, le ballet qui tombe dans l’oubli en France renaît à Saint-Pétersbourg (futur lieu emblématique de la méthode Vaganova) grâce au frère cadet de Lucien, Marius Petipa. Il façonne et fonde la chorégraphie du ballet en 1884. Depuis cette date, le canevas chorégraphique du ballet reste à ce jour semblable aux quatre coins du globe.
L’école russe amorce un progrès significatif dans la technique par des mouvements de plus grandes amplitudes, des rôles masculins plus significatifs, une prédisposition à l’effort et à la grande prouesse. Marius Petipa, en accord avec les compositeurs Pugni, Drigo et Minkus, enrichit le ballet par de nouvelles variations, comme la variation de Giselle du premier acte. Pugni compose aussi la variation du Grand Pas de deux de l’acte II. Les Willis acquièrent leurs lettres de noblesse grâce à leur entrée figurant le Grand Pas, plus ample et rigoureux.
Le pas de deux des paysans ou des vendangeurs témoigne d’une situation plus tumultueuse. Danse ajoutée au lendemain de la première du ballet pour la maîtresse d’un influent homme de théâtre, elle ne peut être composée par Adolphe Adam. C’est donc un extrait de Souvenir de Rastibonne de Burgmüller qui est choisi. Marius Petipa y ajoute une variation pour Giselle sous les notes de Drigo, mais sans succès notoire. On doit à Agrippina Vaganova (entrée dans le corps de ballet du Mariinsky alors que Marius Petipa y était encore chorégraphe) l’intérêt de cette variation en l’introduisant dans le célèbre pas de deux. De ce cheminement rocambolesque découlent plusieurs mises en scène du pas de deux des vendangeurs. Parfois supprimé, il peut être introduit musicalement et dansé par les rôles de Giselle et Albrecht. Il peut aussi être un pas de six interprété par les paysans en solistes.
La renaissance de Giselle en Russie est à l’origine d’un deuxième bouleversement notoire dans les coutumes et les traditions de la danse en vogue pour l’époque. Ainsi Nijinski, dans le rôle d’Albrecht, ose se présenter en pourpoint et collant, provoquant un scandale à l’époque où hauts-de chausses sont de rigueur. Même si cela entraîne le licenciement de Nijinski, Serge Diaghilev est déjà à l’oeuvre avec ses Ballets russes.
Le retour aux sources françaises
À partir de 1910, Giselle est justement intégrée dans la programmation des Ballets Russes, incitant le public français à renouer avec leur création, éveillant un cycle de transmission grâce aux Étoiles de la troupe de Diaghilev.
Fervent représentant de l’école française, Serge Lifar ajoute sa pierre à l’édifice. Il réadapte le ballet en supprimant le pas de trois de l’extrait musical dit « pas des vendanges », qu’il estime absurde, et participe à la revalorisation de la danse masculine. Vêtu d’une cape noire et arborant des fleurs, Albrecht s’illustre en personnage shakespearien et associe à sa performance une petite batterie typique du style français, notamment à la fin du deuxième acte avec toute une série d’entrechats six. Cette prouesse technique deviendra d’ailleurs la marque d’excellence de nombreux artistes européens.
Une touche anglaise, mais pas balanchinienne
Anna Pavlova et Tamara Karsavina apportent à Giselle la touche anglaise. Elles influencent Mary Skeaping qui remonte en 1971 le ballet dans une version de référence. Par son expérience et sa volonté de renouer avec la version originale, elle redéfinit le travail de pantomime cher à la danse anglaise pour les personnages féminins, notamment dans le rôle de la mère de Giselle.
Aux États-Unis, respectueux et très admiratif de l’oeuvre, George Balanchine ne propose pas de réinterprétation du ballet. Il avoue l’imperméabilité de son art à ce projet. Néanmoins, la transmission de Giselle par des interprètes de renom, comme Alicia Markova, favorise l’introduction de Giselle dans le répertoire américain. Parmi ces interprètes, Alicia Alonso, grande artiste du rôle de Giselle, marque certainement la synthèse de la technique et de l’expression figurant le style américain de l’époque. Plus tard, elle en fera une mise en scène acceptée à l’Opéra de Paris.
La Giselle du XXIème siècle
Quelque soit la production, la mise en scène de Giselle tend vers un rééquilibrage esthétique de l’ensemble des danses. Les solistes doivent être tant techniquement qu’artistiquement au sommet de leur prestation. Le beau rôle est irrémédiablement porté par le corps féminin et l’exclusivité qui s’y associe. La variation de Giselle du premier acte devient une véritable démonstration technique : la diagonale finale se transforme en manège et le développé s’étend à la verticale.
Ces transformations sont relatives aux tendances des diverses écoles. Par exemple, en ce qui concerne les bras des Willis, la pureté française exige des bras à hauteur d’épaules accentuant le parallélisme des membres supérieurs. Plus expressif, le placement des bras au-dessus des épaules chez les Russes témoigne d’un lyrisme propre à leur esthétisme comme une imploration au paradis non atteint.
Ballet-pantomime, Giselle transmet un savoir-faire rattaché à la tradition de la danse classique. Le mime du ballet a son pendant au singspiel allemand de la fin du XVIIIe siècle si éloquent dans La Flûte Enchantée. L’artiste transmettant l’argument à son public entre les interventions dansées, cette pantomime a aussi évolué pour s’adapter à notre société post-freudienne. Il ne suffit plus de mimer les objets ou les actions, l’artiste doit construire et transmettre une psychologie de son personnage pour trouver les moyens de construire une personnification du héros/de l’héroïne. À ce titre, la version classique de l’Opéra de Paris par Patrice Bart et Eugène Polyakov est d’une grande justesse.
Les différentes productions de Giselle ont toutes conservé l’essence de la création. Comme un rappel aux aïeules, chaque artiste a cherché à transmettre le mieux d’hier. Cependant, la passion inaltérable pour ce ballet a suscité des nouveautés associées au temps de la production. Une tendance technique, artistique, sociétale peut être une relecture prolifique pour les futurs passionné.e.s.
Pascale Maret
Bonjour Lorena,
et merci pour cet article très intéressant. Je travaille en ce moment sur ce ballet pour un ouvrage de la série « Les romans du ballet » chez Nathan (en partenariat avec l’Opéra de Paris), et je dois dire que les passages de pantomime m’ont parfois donné du fil à retordre quant il s’agit de les décrypter avec exactitude !
Cordialement,
Une ex-suresnoise