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Adieux à Laëtitia Pujol, danseuse humaniste

C’est une annonce discrète, presque secrète, qui s’est propagée dans les cercles balletomanes. Laëtitia Pujol fait ses adieux à la scène de l’Opéra de Paris le samedi 23 septembre 2017. L’Étoile n’est pas seulement danseuse, elle est Artiste, une âme qui danse sous sa forme sensible. Hommage à celle qui est l’une des dernières représentantes de ce style français à la technique sobre mais sûre, auréolé d’un sens dramatique qui habite chaque rôle avec intensité.

 

C’est une danseuse humaniste aux prunelles de feu qui quitte l’Opéra de Paris le 23 septembre. Formée au Conservatoire de Toulouse, lauréate du Prix de Lausanne en 1992, elle entre directement en 1ère division à l’École de Danse de l’Opéra de Paris et est engagée dans le corps de ballet l’année suivante. Près de dix riches années s’écoulent avant qu’elle ne soit consacrée Étoile, à l’issue d’une représentation de Don Quichotte en 2002. Sa grande carrière se caractérise ensuite par une curiosité artistique qui la conduit à embrasser le répertoire classique comme contemporain avec brio. Brigitte Lefèvre, qui l’a propulsée, n’a jamais caché son admiration pour cette Étoile expressionniste. Encore présente à l’affiche sous la brève « ère Millepied », elle devient plus effacée quand Aurélie Dupont prend ses fonctions de directrice.

Loin d’être une diva ou une icône des magazines de mode, Laëtitia Pujol est peu portée sur la mise en scène perpétuelle de sa vie. Elle cultive son jardin à l’abri des regards, étrangère à toute forme de superficialité narcissique. L’Étoile est discrète en coulisse mais sous les projecteurs, elle se jette sans fard et sans filet dans l’histoire, dans L’Histoire de Manon par exemple, désarmant parfois le public un brin coquet des premières rangées de l’orchestre. C’est son approche sensible du monde qui la rend bouleversante dans Giselle, un de ses plus grands rôles. Elles sont rares les Étoiles qui osent s’attaquer frontalement à un tel monument du répertoire classique. Sa Giselle à elle ne minaude pas en scène. Elle ne s’attache pas à plaire aux yeux ; elle plait d’abord au coeur. Même dans l’acte blanc, que d’autres ont pu réduire à un tableau purement esthétique, elle ne cherche pas à faire joli mais à atteindre une intensité expressive.

La Source – Laëtitia Pujol et Karl Paquette

Dans Giselle comme dans tous les autres ballets qu’elle a embrassés à pleine bouche (Roméo et Juliette en tête), Laëtitia Pujol se donne, sans artifice. Pour faire court, elle Danse. Plus récemment, son interprétation compatissante de Nouredda, dans La Source de Jean-Guillaume Bart, dont elle avait exprimé toute la dimension tragique a bouleversé les esprits, tout comme son personnage de Garance dans Les Enfants du Paradis. Si Laëtitia Pujol est incontournable dans la compagnie, c’est parce qu’elle a le mérite de réhabiliter l’art de la pantomime dans une discipline qui dérive parfois vers le culte de la performance technique, que d’aucuns décrivent comme le mal chorégraphique du siècle. Singulier mélange que cette femme au physique doux, menu, et au tempérament artistique extraverti.

Samedi sur la scène du Palais Garnier, Laëtitia Pujol habitera Emeraudes à la force de son riche monde intérieur puis elle dansera un pas de deux extrait de Sylvia de John Neumeier avec Manuel Legris. À sa demande, elle partira sans fleur ni couronne, avec l’humilité touchante qui est sienne. Plus jeune, elle se réclamait de Monique Loudières. Elle a dansé à l’Opéra de Paris avec la même générosité solaire, la même profondeur théâtrale, le même raffinement gestuel. Mais elle a surtout été elle-même. Elle a fait sienne cette célèbre sentence de Malraux « l’art est le plus court chemin de l’homme à l’homme« . Merci à elle pour tant d’émotions !

 

Comments (8)

  • Agnès

    Merci pour ce sublime hommage, amplement mérité ! Comme elle va nous manquer elle aussi !

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  • Lili

    Bel hommage, même si son interprétation de Emeraudes a été très critiquée aux Etats-Unis. Pour ma part je retiens une technicienne hors pair qui pourtant n’en fait pas démonstration : en effet il faut rajouter que si elle n’a pas le culte de la performance technique, elle en a les capacités, c’est d’autant plus remarquable.

    Une danseuse expressionniste en effet, mais qui a ce défaut de danser la bouche ouverte et les yeux écarquillés (ces dernières années en tout cas). C’est dommage car ça transforme son art dramatique en quelque chose d’un peu trop forcé voire figé. J’ai du mal avec cela je dois dire.

    Sur la fin, j’ai cru comprendre que ce sont des blessures, plus que la direction, qui avaient entraîné sa rareté sur le plateau.

    En tout cas Toulouse peut être fière de sa danseuse, qui a marqué l’ONP. Si son départ discret est le signe de son humilité, je le regrette un peu car elle aurait mérité un hommage plus marqué. Je la saluerai avec émotion non pas le jour de ses adieux (mauvais choix de date, mais je ne savais pas…) mais la veille.

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  • Jean-marc

    Très bel et juste article, vous avez saisi l’essence de cette grande étoile, qui a mis sa personne a service de la danse, et pas l’inverse. Laetitia part sur des adieux un peu « à l’arrache » suite à de nombreux désaccords avec la directrice actuelle, mais j’espère que le public saura lui rendre l’hommage qu’elle mérite, et on lui souhaite une « seconde » vie riche et sereine. Merci Laetitia!

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    • Elisabeth

      Nombreux désaccords ?? Elle est quand même très souvent blessée.

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  • Kyle

    What a beautiful article and a fantastic performer, you will be missed, thanks Laetitia.
    Kyle

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  • Pascale M.

    Je travaille actuellement sur une transcription romancée du « Giselle » version Opéra de Paris et je regarde et re-re-re-regarde le DVD avec Laëtitia Pujol et Nicolas Le Riche : c’est un vrai bonheur. Voilà en effet une danseuse qui sait donner à ce ballet sa véritable dimension dramatique. Merci de lui rendre ainsi hommage par ce bel article.

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  • Marine

    Un bel hommage pour une belle étoile ! Le plus beau souvenir que j’ai d’elle est sa Juliette, espiègle et touchante comme aucune autre

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  • amandine

    On va faire quoi sans elle ? Les Étoiles qui m’ont fait aimer la danse sont bientôt toutes parties…

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