Play – Alexander Ekman s’amuse et amuse le Palais Garnier
Le Palais Garnier accueille en ce mois de décembre le spectacle le plus attendu de l’année : Play, chorégraphié par le suédois Alexander Ekman pour le Ballet de l’Opéra de Paris. La création a bénéficié d’un marketing inhabituel sur le site de l’institution et sur ses réseaux sociaux avec une série de teasers depuis plusieurs semaines, à l’aide de photos ou courtes vidéos des répétitions du spectacle pour donner l’eau à la bouche au public. Aurélie Dupont assurait même dans une interview que « s’il n’y avait qu’un spectacle à voir cette saison, c’était Play« . Au bout des deux heures de spectacle, Play confirme le talent d’Alexander Ekman, mais pose la question de l’intérêt de cette création pour les danseurs et danseuses de la compagnie.
Les attentes étaient fortes autour de cette création. Non pas qu’Alexander Ekman soit le premier venu, cela fait plus de dix ans qu’il chorégraphie avec un succès mérité des pièces singulières, notamment pour le Nederlands Dans Theater, où il fut danseur avant d’intégrer le célébrissime Ballet Cullberg de Stockholm. Il a collaboré avec de nombreuses compagnies à travers le monde, remontant notamment Cacti, son œuvre la plus populaire. Le risque était donc limité mais Alexander Ekman n’avait jamais fait ses classes à l’Opéra de Paris. Pour cette première, il est seul à l’affiche, proposant un ballet en deux actes de plus de deux heures, un « full lenght ballet » comme disent les anglo-saxons. On savait qu’il maitrisait cet exercice après avoir vu au printemps son Swan Lake revisité créé pour le Ballet d’Oslo. Mais peu de chorégraphes ont ainsi débuté en majesté sous les ors du Palais Garnier.
En prélude arrivent quatre saxophonistes, pantalons blancs ou bermudas qui jouent alors que défile sur le rideau de Garnier le générique, comme au cinéma. Alexander Ekman avait utilisé la même méthode pour son Swan Lake. De quoi comprendre en tout casque c’est un spectacle qui a sollicité beaucoup d’artistes et de technicien.ne.s, avec à la clef un budget confortable. Et lorsque le rideau se lève, en dépit des spoilers inutilement égrainés par l’Opéra de Paris qui redoutait sans doute de ne pas remplir le Palais Garnier avec un chorégraphe contemporain inconnu en France, l’effet est grandiose. La scénographie réalisée par Alexander Ekman lui-même est superbe, d’un blanc immaculé avec en surplomb les musiciens jouant la partition signée Mickael Karlsson, collaborateur habituel du chorégraphe. En hauteur sont suspendus des cubes géants dont on pressent, quand on connaît l’univers d’Alexander Ekman, qu’ils finiront par atterrir sur scène. Les 36 danseuses et danseurs, tout de blanc vêtus comme il se doit, sont déjà là, ils utiliseront ensuite une série de portes en fond de scène.
Tout débute par une course qui se transforme en mouvements gymniques dans une ambiance résolument balnéaire. En surtitres s’écrivent les noms des différentes parties (que l’on distingue mal hélas). Ou faut-il comprendre des différents jeux ? Car c’est de cela qu’il s’agit, nous dit Alexander Ekman : explorer ce que signifie pour les adultes cette notion de jeu, qui de fait est au centre de toute scène de théâtre.
Se succèdent alors une série de séquences joyeuses où l’on trouve pêle-mêle une femme sur un cube (Marion Barbeau) qui tape avec ses pointes sous le regard de Simon Le Borgne, lequel reproduit simultanément le bruit de la percussion de la pointe avec un micro sur un autre cube. C’est le jeu irritant de la répétition que tous les enfants du monde ont expérimenté. L’affaire devient pour le moins loufoque avec l’entrée d’un cosmonaute, d’un clown au pieds géants alors qu’Aurélien Houette parcourt la scène torse nu, vêtu d’une jupe immense. Univers déjanté et surchargé d’accessoires.
Puis toutes les danseuses entrent en scène, sur pointes et coiffées d’un casque à bois de cerfs. Danse des amazones au cordeau qui est un des beaux tableaux de ce premier acte. Vient enfin le moment tant attendu qui tourne en boucle sur les réseaux sociaux de l’Opéra de Paris : la piscine de boules vertes. Elles tombent du ciel avant de glisser vers la fosse d’orchestre. Aquaplaning qui permet à François Alu (sous-exploité) de nous livrer une trop courte improvisation. Le premier acte s’achève par une série de plongeons dans cet océan de boules vertes. L’effet est garanti.
Après l’acte blanc, l’acte sombre. Moins immédiatement joyeux et qui se joue sur un tempo plus lent, il recèle pourtant davantage de profondeur. Sans doute parce qu’Alexander Ekman a mis de côté les accessoires qui s’accumulaient au premier acte pour mieux laisser les corps – enfin ! – s’exprimer. Les danseuses et danseurs ont troqué leurs tenues balnéaires pour des costumes noirs ou gris. L’acte débute par une répétition de séquences : un superbe ensemble mixte sur des chaises, juchées sur des cubes, deux duos homme-femme et un duo masculin. Il y a là une forme de chaos organisé qui ne manque pas d’intérêt avec un style qui évoque parfois un autre suédois, Mats Ek, avec lequel Alexander Ekman a travaillé. Les cubes arrivent enfin sur scène et donnent lieu à l’une des plus belles séquences de Play. Le chorégraphe les a déjà utilisés dans Cacti et il maitrise les effets possibles, avec de belles perspectives superbement éclairées.
Alors que l’on s’apprête à quitter la salle débute « l’after« , la partie interactive où les artistes jouent à la balle avec le public, avec moult lancements de ballons blancs géants et de petites balles jaunes. Le public bon enfant se livre avec ravissement à ce degré zéro du jeu tellement festif et joyeux. Et c’est le meilleur moyen pour se mettre à bas prix le public de son côté…
Tel quel, Play est plutôt une réussite et un « feel good » ballet, bien que le mot de création utilisé au générique convient mieux. Malgré quelques longueurs, Alexander Ekman sait imposer son univers et produire des images fortes et élégantes. Il possède sans nul doute une science des ensembles qui doit séduire les compagnies avec lesquelles il a collaboré. Est-ce pour autant un spectacle nécessaire au répertoire de l’Opéra de Paris ? Rien n’est moins sûr. Alexander Ekman ne démontre en effet aucune affection réelle pour les danseuses et les danseurs du Ballet de l’Opéra de Paris, ni aucune estime pour leur technique ou leur virtuosité. Il ne leur donne rien à danser, aucun solo ou pas de deux pour se distinguer. Ce groupe n’apparaît au fond que comme un élément manipulé au profit de l’univers d’Alexander Ekman. Le programme en est d’ailleurs le reflet et se résume à une hagiographie du chorégraphe et force photos avec la longue liste de ses collaborateurs. Seule l’Étoile Stéphane Bullion a droit à une notice détaillée. Les deux Premiers danseurs (François Alu et Vincent Chaillet) et la Première danseuse (Muriel Zusperreguy) doivent se contenter de la chronologie de leur carrière. Les 32 autres ne sont même pas mentionnés, fondus dans l’anonymat…
Play est une œuvre hybride, un mélange habile de théâtre et de danse (un peu !) présentée dans une scénographie luxueuse. Elle confirme le talent d’Alexander Ekman, show man hors pair, mais n’enrichit en rien le répertoire de l’Opéra de Paris. Aurélie Dupont avait coutume de dire qu’elle « ne dansait plus de la même manière » après avoir expérimenté Le Sacre du Printemps avec Pina Bausch. Il est peu probable que Play ait de quelque façon que ce soit révélé des artistes à eux-mêmes. Il leur restera au mieux un souvenir, celui d’avoir participé à une aventure joyeuse.
Play d’Alexander Ekman par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier. Avec Muriel Zusperreguy, Marion Barbeau, Auélia Bellet, Alice Catonnet, Sylvia Saint-Martin, Ida Viikinkoski, Juliette Hilaire, Laurène Lévy, Charlotte Ranson, Jennifer Visocchi, Claire Gandolfi, Marion Gautier de Charnacé, Clémence Gross, Caroline Osmont, Sofia Rosolini, Chelsea Adomaitis, Margaux Gaudy-Talazac, Shanti Mouget, Stéphane Bullion, François Alu, Vincent Chaillet, Aurélien Houette, Allister Madin, Marc Moreau, Jérémy-Loup Quer, Daniel Stokes, Simon Valastro, Yvon Demol, Alexandre Gasse, Antoine Kirscher, Mickaêl Lafon, Hugo Vigliotti, Takeru Coste, Simon Le Borgne, Antonin Monié et Andrea Sarri. Samedi 9 décembre 2017. À voir jusqu’au 31 décembre.