Don Quichotte de Rudolf Noureev par le Ballet de l’Opéra de Paris – Ludmila Pagliero et Mathias Heymann
Militer pour la réhabilitation de la danse classique à l’Opéra de Paris revient ces dernières années à se battre contre des moulins à vent. Mais il existe, fort heureusement pour l’instant, une trêve de Noël à la course folle au triple bill et aux créations à l’issue hasardeuse. Il faut se contenter du charme très « palais des congrès périurbain » de l’Opéra de Bastille pour goûter aux délices d’un grand ballet narratif, orchestre et costumes inclus. Mais le sacrifice vaut le détour dans le 12e arrondissement. En cette fin d’année, le public peut se délecter de Don Quichotte, dans la version de Rudolf Noureev, qui se joue avec un fort accent français.
Un casting quatre Étoiles a ouvert le bal des représentations. Ludmila Pagliero s’imposait sur le papier comme la Kitri de la série. Parce qu’elle a la fougue latine chevillée au corps, la technique sûre mais sobre, la chevelure noire d’une héroïne de Cervantes et le caractère bien trempé. Cinq ans après sa prise de rôle, elle confirme son titre d’Étoile et propose toujours plus de nuances à son personnage. Quand elle arrive en scène, c’est classiquement un peu de Carmen qui apparait. Volcanique, un rien aguicheuse, Ludmila Pagliero interprète toutefois Kitri avec une bonne dose d’humour, ce qui créé un lien chaleureux et réciproque avec le public.
L’emploi de Mathias Heymann pour le rôle masculin était moins évident. On se figurait plus volontiers ce danseur poétique en héros lunaire qu’en astre solaire. Les brumes de l’acte blanc de Giselle lui vont a priori mieux que le soleil tapant de Barcelone. Pourtant, en Basilio, il a arboré un petit air de canaille fort inattendu qui, allié à sa virtuosité classique, a transcendé le personnage. Avec une barbe de hipster et une danse qui réussit à être vive tout en gardant son fini moelleux, il a su interpréter un tonitruant Basilio à la française. Une révélation ! Le partenariat Ludmila Pagliero/Mathias Heymann est d’ailleurs excellent et l’histoire prend forme au gré de leurs pas enjoués, de leurs chamailleries enfantines et de leurs péripéties rocambolesques. Pantomime et virtuosité sont au rendez-vous.
Parmi les Étoiles brillantes de la soirée, saluons Dorothée Gilbert qui a dû se contenter d’un rôle de Cupidon pour ce soir de première et qui n’a pas bâclé sa prestation pour autant. Fine et gracile, Dorothée Gilbert n’a pas fait de son Cupidon l’habituel petit feu follet de l’acte II mais une créature féérique à la grâce souveraine. Toujours à contre-emploi, l’on retrouvait Amandine Albisson en Reine des Dryades. Cette danseuse, qui peut se targuer d’avoir eu les faveurs des trois dernières directions, n’est pas le stéréotype incarné de la ballerine éthérée. Aussi, en contrechamp de la terrienne Kitri, sa distribution dans le rôle d’une nymphe, couronnée de surcroit, pouvait générer quelques doutes. Il est fort agréable d’être surpris.e, cela n’arrive plus si souvent à l’Opéra ces temps-ci, et de voir ses appréhensions démenties par les faits. Amandine Albisson s’est montrée royalement académique dans sa danse, avec ce soupçon d’autorité en plus qui, s’il ne relevait pas du registre onirique, donnait de l’aplomb à sa Reine des Dryade.
Gloire à eux et elles d’avoir déjoué les pièges de la chorégraphie tarabiscotée de Rudolf Noureev, avec une petite batterie rarement musicale qui a tendance à saccader les phrases chorégraphiques. Mais je sais gré au chorégraphe d’avoir imaginé de beaux ensembles géométriques, comme dans cette bulle enchantée à l’acte II, presque échappée des Ombres de La Bayadère, le tragique moins. Les quatre Étoiles ont par ailleurs fait honneur à l’école de danse française avec un travail de pied très propre et soigné ainsi qu’une certaine mesure dans la manière de danser, en dépit de la frénésie méditerranéenne que peut appeler le ballet.
La production est une vraie réussite esthétique, ce qui ne gâche rien après l’épure lassante des créations qui se succèdent au Palais Garnier. Les actes terrestres sont chaleureux sans surcharge. La parenthèse onirique des Dryades est romantique sans excès. Là encore, le chic parisien opère. Bien sûr, il y aura toujours des gardien.ne.s autoproclamé.e.s du temple pour critiquer cette version qui « a tué l’âme de Petipa » ou l’interprétation qui n’est « pas fidèle à l’intention de Rudolf » alors mêmes qu’ils ne sont pas contemporains de l’époque de ces créateurs respectifs. Mais cette première a le mérite de proposer une personnalisation du ballet : ce Don Quichotte a décidément une tonalité bien française et l’on en ressort galvanisé. Les mélomanes les plus puristes devront tolérer la musique facile de Minkus. Ce n’est pas la partition du siècle d’alors mais c’est plaisant car entraînant. Profitez-en, c’est le seul ballet narratif académique de la saison…
Don Quichotte de Rudolf Noureev à l’Opéra Bastille par le Ballet de l’Opéra de Paris. Avec Ludmila Pagliero (Kitri), Mathias Heymann (Basilio), Amandine Albisson (Reine des Dryades), Dorothée Gilbert (Cupidon), Audric Bézart (Espada), Valentine Colasante (Danseuse de rue) et Hannah O’Neill et Sae Eun Park (deux amies de Kitri). Lundi 11 décembre 2017. À voir jusqu’au 6 janvier 2018.