6.000 miles away, Sylvie Guillem et beaucoup d’autres
Jeudi 15 mars 2012. 6.000 miles awayau Théâtre des Champs-Elysées. Rearray de William Forsythe (Sylvie Guillem et Nicolas Le Riche), 27’52’’ de Jiří Kylián (Aurélie Cayla et Lukas Timulak), Memory de Mats Ek (Mats Ek et Ana Laguna) et Bye de Mats Ek (solo de Sylvie Guillem).
Le spectacle de Sylvie Guillem, 6.000 miles away, présenté au Théâtre des Champs-Elysées, affirme un adage bien connu : le talent attire le talent. Il en dézingue par contre un deuxième. Malgré la date de retraite obligatoire et de nombreux discours d’artistes, véritablement, il n’y a pas d’âge pour être danseur ou danseuse.
La presse, Twitter et moi-même ont énormément centré sur spectacle sur Sylvie Guillem, ce qui est sur certains points assez injustes. C’est elle qui l’a conçu, qui danse dans la majorité des pièces, qui est absolument formidable, et indéniablement qui faire vendre les places. Mais si cette soirée reste d’une grande qualité, c’est aussi parce que la danseuse s’est bien entourée.
Le talent attire le talent donc, adage vérifié. Sylvie Guillem est allée voir trois des grands chorégraphes du XX(I)e siècle et leur a demandé des pièces, voir des créations. Forsythe, Kylián, Ek. Rien que ça. Et plutôt dans leur tendance « Inspirés ». Idem pour les différents interprètes, qui semblent glavanisés par un tel ensemble.
Pourtant, cela partait plutôt mal avec Rearray, la création de de William Forsythe. Comment le génie d’Artifact peut-il aujourd’hui créer des pièces aussi horripilantes que celle présentée ce-soir ? Sans les deux interprètes d’exception, Rearray plongerait dans un somnolence froide, attendant calmement que ça passe.
Mais voilà, il y a les danseurs. Sylvie Guillem et Nicolas Le Riche, au sommet de leur art. Ils dansent ensemble, puis séparés, se touchent, se portent. A 40 ans, jamais ils n’ont aussi bien connus leurs possibilités physiques. Peut-être en ont-ils moins qu’à 20 ans, mais ils savent tellement mieux les utiliser. Et ils ont en plus trouvé un chorégraphe qui doit les connaître aussi bien qu’eux-mêmes.
Alors oui, Rearray vire vite au plaisir esthétique. Mais quelle étrange fascination, quelle merveille hypnotique que de voir évoluer deux danseurs savant si bien s’utiliser. Sylvie Guillem semble être née non pas les deux pieds sur terre, mais la jambe à l’oreille, et la tête dans les étoiles. Nicolas Le Riche est un félin, bougeant avec une grâce indescriptible toute masculine. La pièce est horripilante, mais que c’est beaux des gens qui dansent, et l’on n’est pas à une contradiction près.
27’52’’ de Jiří Kylián arrive comme un réveil. La danse, plus énergique, folle, sombre, attire de suite le regard. Qui sont Aurélie Cayla et Lukas Timulak, les deux interprètes ? Un couple qui se déchire ? Oui et non. Beaucoup de sentiments et de douleur passent dans cette chorégraphie, mais l’on n’y trouve pas forcément un sentiment amoureux, ou en tout cas une tension sexuelle propre aux couples. Pourtant la femme est torse nue. Et c’est ce qui est beau dans cette histoire, des corps nus sans aucune idée d’érotisation. C’est beau parce que c’est rare.
Un mouvement féministe français mène en ce moment une action pour que les femmes puissent se rendre seins nues dans les piscines publiques. Un énorme manque de pudeur ? Pourtant, les seins d’une femme ne sont pas érotiques par eux-mêmes, mais par le regard que l’on pose sur eux.
Sur scène, il y a donc un homme torse nu et une femme torse nue. Il y a de la douceur, de l’émotion, parfois de la violence. Mais pas de sexualisation. Ce sont juste deux corps qui dansent à l’unisson. Cela semble même tellement naturel que l’on se rend à peine compte que la femme a enlevé son haut à un moment. Une belle pièce sur l’instant, et d’aussi belles images qui restent après coup.
Memory de Mats Ek, dansé par Mats Ek et sa compagne Ana Laguna, est le bijou de la soirée. Un micro-pièce de quelques minutes, rajoutée pour quelques dates, dansée par son créateur et sa femme. Que racontent-ils ? Leur histoire, celle d’un vieux couple qui se connaît par cœur, dans un quotidien fait d’un peu d’exaspération, de quelques oublis et de beaucoup de tendresse.
Il y a un âge pour danser, adage dézingué. Non, il n’y en a pas. Mats Ek et Ana Laguna ont 60 an bien tassés, et dansent d’une fantastique façon. Par un geste, un regard, ils disent tout. Ils se racontent, ils se livrent. Et serrent la gorge dès leur entrée en scène par tant de sincérité et de nostalgie. Un moment de grâce, un véritable cadeau.
Le grand solo de Mats Ek, Bye, créé spécialement pour le spectacle et pour Sylvie Guillem, clôt la soirée. On y retrouve ce qu’aime bien le chorégraphe, on part du quotidien et l’on délire avec. Voilà ainsi Sylvie Guillem, fagotée dans une improbable robe jaune. Elle danse pendant 20 minutes, et raconte un personnage. Une fiction ? Elle-même ? Qu’importe. Elle raconte.
Il faut un peu de temps pour rentrer dans cet univers, justement parce qu’il est très personnel. Ce personnage est assez fantasque. L’on n’est pas vraiment dans la colère ou dans la tristesse, mais plutôt dans la fantaisie. Une deuxième fois, l’adage est dézingué. Sylvie Guillem danse, saute, vibre et lève la jambe. Et pas une seule fois, l’on se dit que c’est extraordinaire de faire ça à 47 ans. Parce que son âge, on s’en contrefiche, on ne pense pas à ça. C’est une femme qui danse, et puis c’est tout.
6.000 miles away, en fait, c’est de la danse sans artifice, malgré les noms à paillettes sur l’affiche.
6.000 miles away, au Théâtre des Champs-Elysées jusqu’au 22 mars.
Pink Lady
Très joli compte-rendu ! J’aime beaucoup ta conclusion, et tu as su exprimer de façon très juste tous les sentiments ébauchés par ces pièces… et qui m’avaient un peu échappé quand j’avais vu le spectacle à Londres. Je manque sans doute d’une pointe de groupisme…
petitvoile
Les impressions d’un public sont toujours étonnantes!
Perso la pièce de Forsythe fait chef d’oeuvre sans ciller; la chorégraphie a lâché le psycho-Forsythe pour un tout au mouvement pur des jeunes années du scénographe au travail de la grande tradition d’école de la danse classique avec ces interprètes géniaux.
Je vous suis sur le Kylian !
Pas sur le couple Ek-Laguna, attendrissant mais franchement facile au résultat. Faut-il y lire l’histoire du vieux couple qui se connaît si bien que la surprise n’a plus sa place ? Possible…
Assez réservée aussi sur la chorégraphie de Bye. L’idée de reprendre dans la première partie la chorégraphie de Smoke pouvait trouver son sens mais au bout du compte, c’est surtout le travail de Guillem qui fascine encore avec sa mémoire prodigieuse capable d’intégrer ces 20 minutes à torturer les danseurs sur leur fauteuil (Forsyhte en prime dans la même soirée!) et sa manière unique de s’y prendre avec la musicalité du mouvement narratif. Bref, j’attendais mieux de Mats Ek, peut-être à cause de la reprise de son appart’ 5 étoiles !!!
Amélie
@ Pink Lady : J’assume ma part de groupisme. Quand j’ai commencé à m’intéresser à la danse, en 6e, il y avait trois stars pour nous : Pietra, Dupond, Guillem. Même presque 20 ans après, quand je la vois sur scène, ça me fait toujours un drôle d’effet 😉
@ Petitvoile : J’ai été surprise aussi en lisant tant de commentaires élogieux sur la pièce de Forsythe, vraiment je n’y avais pas adhéré. J’y retourne ce soir…
petitvoile
@Amélie, avec Forsythe, il faut bien avouer que ses pièces sont souvent exigeantes pour le public et demandent d’être revues pour y entrer. Quand Forsythe a débarqué en France, il a fallu quelques années avant que l’accueil du public rejoigne celui des programmateurs et des danseurs qui rafolaient de cette nouvelle prise en main de la technique classique et du souffle d’air qu’il semait dans le métier ! Avec cette pièce, se retrouve la main du Maître que ses disciples n’ont pas encore réussi à dépasser…
@ Concernant le phénomène Sylvie Guillem, le processus est un peu similaire dans le sens où encore aujourd’hui, les jeunes danseuses la prennent pour référence autant pour leur travail technique que scénique quand elles bossent un rôle que Guillem a dansé. Professionnellement c’est le phénomène d’une danseuse qui a renouvelé la danse classique féminine à une époque elle en avait grandement besoin après la vague Noureev et Barychnikov qui laissait les filles derrière. Avec Guillem, l’école française a la première fait un bond en avant jusqu’à l’école Vaganova devenue un nid à futures Guillem qui sévit dans les plus grandes cies du monde, la tradition l’a intégrée, c’est ainsi.