Casse-Noisette de Kader Belarbi au Ballet du Capitole – Rencontre avec l’équipe artistique
Le Ballet du Capitole continue son judicieux travail autour des ballets du répertoire. Après Le Corsaire et Giselle, deux expériences réussies, Kader Belarbi propose sa relecture de Casse-Noisette, à voir à au Théâtre du Capitole de Toulouse du 21 au 31 décembre. Pas de sapin de Noël ou de Rat dans sa vision du ballet, mais des araignées, un pensionnat se transformant en monde imaginaire ou un club des 5 imaginatif, pour une production qui n’oublie pas le merveilleux indispensable à Casse-Noisette. Rencontre pour cette création avec Antoine Fontaine, qui a créé les décors, et Philippe Guillotel qui a imaginé les costumes.
Quelle est la vision de Kader Berlarbi de ce nouveau Casse-Noisette ?
Antoine Fontaine – Kader Belarbi avait une idée assez précise de ce qu’il voulait. Il souhaitait faire un Casse-Noisette un peu différent de la tradition du sapin de Noël. Il imaginait un Casse-Noisette un peu plus inquiétant, surtout beaucoup plus onirique à l’image du film Le Magicien d’Oz. Sa demande était d’avoir un décor en pop-op, comme un livre que l’on ouvre et qui donne un décor en 3D. Ce qui était quasiment impossible à faire, parce que l’on est sur un ballet.
Philippe Guillotel – Kader Belarbi voulait faire un Casse-Noisette qui plaise à ses filles. Il avait déjà l’idée du pensionnat au premier acte, avec l’héroïne Marie formant avec ses ami.e.s un genre de club des 5. il avait une idée précise de ces cinq personnages qui traverseraient différents univers. Mon rôle a été de définir plus précisément ces univers, et comment les personnages évoluent dedans. On a beaucoup discuté ensemble de toute cette articulation.
Comment se présentent visuellement vos décors et costumes ?
Antoine Fontaine – Le premier acte se passe dans un pensionnat, dans des tons très gris, en noir et blanc. Le paroxysme de la noirceur de ce premier acte est le combat des rats, qui deviennent dans cette version des araignées. Dans la deuxième partie, nous sommes dans un univers en couleurs de la forêt enchantée, avec des plantes fantastiques, qui sont en fait des boîtes qui s’ouvrent et révèlent un univers en pop op pour chaque danse (danse espagnole, danse arabe…). Ces boîtes sont en fait le dos du pensionnat. À la fin du ballet, elles se retournent pour que l’on revienne au pensionnat, la boucle est bouclée.
Philippe Guillotel – Au premier acte, les costumes font penser à un univers de pensionnat, avec des références à des films des années 1940 et 1960. Le deuxième acte ressemble beaucoup plus à une fête foraine.
Quelles ont été les différentes étapes de création ?
Antoine Fontaine – J’ai fait une première maquette blanche, pour les volumes, la surface au sol qui est importante dès que l’on parle de danse. L’idée de Kader Belarbi était d’avoir un décor très encombrant au début, qui s’ouvre peu à peu. La danse est au début contrainte par les lits du pensionnat. Peu à peu, tout s’efface et le plateau s’agrandit. Puis j’ai fait une série d’aquarelles pour avoir une idée des teintes et des détails. Enfin une maquette en couleur où chaque élément est désigné.
Philippe Guillotel – Les costumes les plus imposants ont une géométrie particulière, à laquelle les danseurs et danseuses doivent s’habituer. Les lutins ont ainsi de grandes robes qui donnent l’impression de glisser au sol. Nous avons des frères siamois collés à une jambe. La reine des arachnides a de grandes pattes qui s’ouvrent pour protéger ses soldats araignées, la danseuse est complètement enveloppée dans un collant, visage compris, avec des petites excroissances, des brillances, des petits piques. Il y a aussi des costumes gonflables pour la danse arabe. Nous avons donc fait des prototypes pour les répétitions, pour que les danseurs et danseuses s’habituent à la géométrie, à la grandeur, à la taille des costumes, et comment ils devaient les manier.
Quelles ont été les challenges techniques de ce Casse-Noisette ?
Antoine Fontaine – Le plus dur est que j’ai trois décors en un seul. Pour chaque boîte, une face représente le pensionnat, une deuxième la forêt magique, la troisième est l’intérieur des boîtes. La deuxième chose reste que ces boîtes, qui sont très grandes et très lourdes, sont manipulées par les danseurs et danseuses, qui sont les machinistes. Il faut faire danser le décor, ça a été une première pour moi.
Philippe Guillotel – Le plus gros challenge a été le costume de Casse-Noisette, parce que le personnage perd un bras sur scène, il se le fait arracher par la reine des arachnides et danse la moitié du spectacle sans. C’est un défi de danse et de costume, sans que cela ne devienne une trop grosse mécanique. Le danseur évolue sans un bras pendant la moitié du spectacle, mais cela doit rester crédible et beau.
Comment avez-vous travaillé avec les spécificités de la danse classique et le travail de la pointe ?
Antoine Fontaine – J’ai beaucoup travaillé pour des compagnies de danse baroque, où l’on danse beaucoup plus avec le haut du corps. Le travail de la pointe, qui est présent dans ce Casse-Noisette, n’est pas évident pour moi. Parce que qui dit pointe dit tapis de danse, qui est souvent unifié. Mais ma spécialité est le décor peint. Et avoir un tapis de danse dedans, c’est un peu comme avoir un trou au milieu du décor. Mais j’ai eu la chance d’obtenir un tapis de danse imprimé comme un plancher, il ne ressemble donc pas à du lino.
Philippe Guillotel – J’ai beaucoup travaillé avec Philippe Decouflé (ndlr : c’est lui qui a réalisé les costumes de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver d’Albertville), mais aussi avec les Ballets de Monte-Carlo, j’ai donc l’habitude de la pointe. Il s’agit surtout d’une approche différente pour moi. Un danseur ou une danseuse contemporaine dansent « à la pige » si l’on peut dire, au coup par coup, ils vont avoir envie de tester des choses. Un danseur ou une danseuse classique travaillent tous les jours en studio. Ils sont là pour danser, pas pour jouer la comédie ou manipuler les costumes.
Casse-Noisette ne peut se passer de merveilleux, de féérique. Comment cela se traduit dans votre travail ?
Antoine Fontaine – Nous avons essayé de ne faire que des images inattendues. Cela va créer quelque chose d’assez étrange, mais aussi de magique.
Philippe Guillotel – On a travaillé ensemble avec Antoine Fontaine au niveau de l’univers, que tout soit cohérent. La première partie est ancrée dans le quotidien. Le deuxième acte doit beaucoup plus trancher, c’est un monde beaucoup plus coloré, plus imaginaire, qui n’a rien à voir avec la réalité, qui évoque le merveilleux. J’y ai mis beaucoup de couleurs, des formes bizarres, des corps qui se transforment. Tout est permis dans l’imaginaire ! La surveillante sévère du pensionnat se transforme en araignée. Drosselmayer, le directeur du pensionnat, devient comme un aboyeur de fête foraine. On a transformé les filles en fleurs, les garçons en jardiniers. Les membres du club des 5 deviennent une poupée, un robot, un criquet à lunette, une lady châtelaine… J’aime beaucoup transformer le corps des danseurs et danseuses avec mes costumes, c’est ma spécialité. Mais finalement, n’importe quel costume transforme le corps de ces artistes, c’est le rôle-même du costume pour moi, montrer ce que l’on a envie de montrer de l’interprète. Un tutu, ça n’existe pas dans la réalité, c’est aussi excentrique qu’un costume de siamois !