L’Histoire de Manon : épisode 2
Lundi 30 avril 2012. L’Histoire de Manon de Kenneth MacMillan par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier. Avec Isabelle Ciaravola (Manon), Mathieu Ganio (Des Grieux), Alessio Carbone (Lescaut), Muriel Zusperreguy (La maîtresse de Lescaut), Eric Monin (Monsieur de G.M.) et Amélie Lamoureux (Madame).
En général, dans un ballet, la femme est une petite chose fragile et innocente. Un homme va la faire mûrir, vieillir et/ou prendre des risques inconsidérés. Ce qui est bien avec L’Histoire de Manon, c’est que c’est exactement l’inverse, surtout dansé par Isabelle Ciaravola.
Il faut voir la danseuse, au premier acte, sortir de la calèche. Elle s’élance, elle bondit, sans crainte du monde et des gens. Ce n’est pas une jeune fille innocente, c’est une femme qui connaît les plaisirs de la vie, et qui agit en tout conscience. Ce n’est pas ainsi son frère Lescaut qui la pousse au vice, c’est elle qui choisit entre plusieurs options, et qui préfère échapper à la misère. Et oui, au XVIIIe siècle, les femmes n’avaient pas énormément de possibilités. C’est en ça que je trouve que ce ballet n’est pas misogyne. La situation des femmes et la violences des hommes n’y est pas vu comme quelque chose de normal, mais d’assez révoltant pour le public, et fataliste.
Mais retournons à notre première acte, de plus en plus plaisant à voir. Le corps de ballet se fait à cette œuvre, et c’est un plaisir de faire attention à chaque détail de la foule. Allister Madin se révèle un chef des mendiants bondissant et drôle, porté par une troupe de danseurs très en forme également.
Alessio Carbone est un Lescaut assez différent de Jérémie Bélingard. Moins noir, plus gentilhomme. Sa variation du début est un régal, dominée par une certaine élégance et une allure de séducteur qui fait mouche. Mais son influence sur Manon est moins grande, et par là son rayonnement sur le ballet. N’oublions pas, ici, c’est Manon qui décide. Dès le premier acte, elle est déjà en position de séductrice envers les vieux gentilshommes.
Il faut la voir d’ailleurs face à Des Grieux, presque amusée face à sa déclaration d’amour. S’il y a bien une petite chose fragile et innocente sur scène, c’est bien ce jeune homme. Mathieu Ganio prête ses si belles lignes à ce personnage avec beaucoup de conviction. Presque terrassé par la timidité, sa longue variation pour déclarer sa flamme représente un exploit de témérité pour le personnage, visiblement peu habitué à de tels emportements. Et c’est peut-être cela qui séduit Manon, cette fragilité, cette certaine naïveté.
Leur pas deux deux de l’emportement était magnifique. Isabelle Ciaravola sait si bien danser les femmes libres. Manon se laisse guider par ses sentiments, par sa première pensée. Elle n’est pas retenue par quelque chose, elle se laisse prendre par le mouvement de la vie. Un souffle de liberté a soufflé sur ce pas de deux, dont les portés acrobatiques savent si bien rendre la passion amoureuse.
Le deuxième acte reste toujours très propre sur soi. A croire que les danseuses s’appliquent le plus possible pour paraître élégante et soignée malgré leurs perruques et leurs robes déchirées. Si le manque de vilenie d’Alessio Carbone ne gênait pas au premier acte, sa variation ivre du deuxième en perd un peu de sa saveur, et passé l’effet de surprise, l’ennui n’est presque pas loin. Le temps file doucement, jusqu’à l’arrivée d’Isabelle Ciaravola, femme fatale et amoureuse dans toute sa splendeur.
Plus que sa variation, c’est peut-être la suite de portés avec les gentilshommes qui a marqué cet acte 2. Il faut voir l’étoile, avec sa théâtralité et ses jambes interminables passée de mains en mains, l’incarnation de ce que peut être la volupté. Ce n’est pas ces quelques décadents que Manon met à genoux, mais bel et bien tout le public. La petite chose fragile qu’est Des Grieux devient fou par tant de beauté, se met au jeu et triche dès sa première partie. Eric Monin, discret Monsieur de G.M. jusqu’à présent, apporte au final de très justes intentions, et une fois de plus, les frissons sont là à l’abaissement du rideau.
On ne change pas des autres soirées décidément : 1er acte vivant, 2e acte bien sage et 3e acte… un peu longuet. Malgré la violence de la scène du geôlier, il ne semble véritablement démarrer qu’une fois dans les marécage. Alors oui, on peut rire des cordes qui pendant, de la lumière verte et de la fumée qui tombe sur les pupitres de l’orchestre. Mais il faut bien reconnaître que cette scénographie fonctionne d’une façon implacable, et donne un magnifique finale.
Les souvenirs resurgissent, pendant que Manon livre son dernier souffle. Convaincante jusqu’au bout, Isabelle Ciaravola perd petit à petit le souffle, jouant si admirablement sur l’abandon de son corps. Mais le plus impressionnant de cet acte reste sans doute Mathieu Ganio. La petite chose fragile n’est plus. Reste un homme vaincu par la passion. Intense jusqu’au bout de la dernière note, il livre dans les derniers instants un désespoir qui serre la gorge.
Rideau. Ovation pour ce couple en osmose total, qui a si bien raconté cette histoire. Cela a même duré après les lumières rallumées, petit exploit pour Garnier.
Anne-Sophie
Je ne peux qu’approuver ce sentiment de soirée magnifique!
Le couple Isabelle Ciaravola/ Matthieu Ganio fonctionne à merveille.
Quelques différences cependant par rapport à votre analyse:
– j’ai trouvé Alessio Carbonne excellent en Lescaut, avec une grande finesse et révélant bien la duplicité du personnage,
– j’ai été un peu déçue par la scénographie de la fin de l’acte 3, le côté fantomatique n’était pas assez marqué à mon goût (par rapport à ce que j’avais pu voir avec le Royal ballet),
– la chorégraphie de ce ballet est magnifique, mais je trouve que la musique de Massenet manque vraiment de finesse et de légèreté.
Au final, j’ai passé une superbe soirée et j’ai trouvé que cette distribution rendait vraiment ce ballet exceptionnel!
Lola
J’y étais aussi ! Mention spéciale à la classe de lycéens qui a « mis l’ambiance » à l’amphithéâtre…humhum…
Mary
J’y étais hier soir et j’ai encore la tête dans les étoiles… Isabelle Chiaravola était plus belle que jamais!
Amélie
@ Anne-Sophie : Je ne connais pas la version du Royal Ballet, je n’ai donc pas à souffrir de la comparaison. J’imagine que ce ballet par la troupe anglaise doit être fabuleux.
@ Lola : Ahhh, les lycéens et lycéennes de l’amphithéâtre… Je compatis ! Quitte à faire un peu réac’, j’ai toujours du mal à comprendre comment des jeunes gens d’une quinzaine d’années (qui ne sont donc plus des enfants) ne peuvent pas rester silencieux 40 minutes d’affilé.
@ Mary : Une Manon idéale !
catherine
:-)(-: beaucoup d emotions dansce ballet que j ai vue avec aurelie dupond ,mutine a souhait deployant une nuque sans pareille,j ai regardee ce ballet les larmes aux yeux!