Kaguyahime, Agnès Letestu Princesse mystique
Kaguyahime de Jiří Kylián, par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier. Avec Agnès Letestu (Kaguyahime), Vincent Chaillet (Mikado), et Allister Madin, Julien Meyzindi, Marc Moreau, Daniel Stokes et Yvon Demol (les prétendants). Mardi 12 février 2013.
Pourquoi Agnès Letestu m’avait-elle donc laissé un souvenir mitigé lors de l’entrée au répertoire de Kaguyahime à l’Opéra de Paris ? Mystère. En 2013, pour la reprise, elle incarne avec une puissance toute majestueuse, et qui n’appartient qu’à elle, une Princesse de la Lune complexe et guerrière.
La musique de Maki Ishii est comme un apaisement. Après la frénésie d’une journée, c’est une vraie plénitude qui s’abat sur Garnier grâce au ballet de Jiří Kylián. Le début de la partition n’est pas forcément évidente, mais le public est attentif, silencieux, et sans aucune toux dérangeante en ce frileux mois de février. L’ambiance est ainsi joliment installée pour l’apparition de Kaguyahime, plus Princesse que jamais dans les traits d’Agnès Letestu. Elle est là, en hauteur, lumineuse et baignée de lumière, rendant à la chorégraphie de Jiří Kylián toute sa complexité et sa beauté. Ce n’est définitivement pas une princesse humaine, mais bien un être mystique, appartenant à un autre univers.
Et cette impression perdure même lorsque Kaguyahime met un pied sur Terre. Contrairement à Alice Renavand qui joue plus sur l’humanité du personnage, Agnès Letestu reste une déesse. Et ses cinq prétendants sont plus des adorateurs que des paysans amourachés. Les cinq danseurs arrivent chacun à imprimer leur personnalité sur leur solo respectif, contrairement à l’autre distribution qui jouait plus sur l’énergie de groupe, ce qui fonctionne moins bien. L’un a une danse plus tranchée, l’autre se fond dans la musique, le troisième est plus poétique… Kaguyahime reste décidément un ballet de solistes, de fortes personnalités. Ce passage fut captivant, et m’a donné l’impression, que j’aime beaucoup, de redécouvrir cette chorégraphie. Parmi les cinq, Marc Moreau restait particulièrement fascinant, jouant et se tordant sur la musique avec une étonnante facilité, ainsi qu’Allister Madin.
Agnès Letestu est plus Reine que jamais lors de la fête, accueillant les offrandes comme un dû à son illustre caste. Mais son humanité n’est pourtant pas loin. Elle arrive par la peur. Ce fut un regard, bref mais intense, à l’arrivée des citadins. Un regard effrayé, une fuite, qui donne à cette Kaguyahime toute sa complexité. Mais la Princesse de la Lune d’Agnès Letestu n’est pas une petite chose fragile. C’est une guerrière qui n’exulte mieux sa féminité qu’en régnant et combattant. Passé les premiers instants de surprise face à Mikado, elle le regarde comme un objet de curiosité, et c’est presque elle qui le séduit volontairement, rien que pour l’étudier. Et quand l’écoeurement arrive, c’est bien Kaguyahime qui dirige l’attaque. La Lune lui obéit d’un simple regard, la nature se met à ses pieds pour la faire rentrer chez elle. La Princesse repart sans vraiment de regret, ne montrant que mieux sa supériorité aux humains dans son ultime solo.
Dommage que, dans cette superbe représentation et interprétation, le corps de ballet a montré quelques faiblesses. Le groupe des citadins manquait de force, et fonctionnait bien plus en tant que groupe qu’en soliste. La scène de la guerre, si puissante, en a malheureusement souffert, si ce n’est un formidable affrontement entre Allister Madin et François Alu. Heureusement qu’il y avait la musique et la scénographie, qui ont porté toute la dramaturgie de ce moment. Mais il y a toujours un petit pincement au coeur à ne pas retrouver une énergie qui avait si séduit il y a deux ans.
Je ne suis pas non plus convaincue que Kaguyahime ait beaucoup gagné à passer de la salle de Bastille à Garnier. C’est un ballet qui joue beaucoup sur la verticalité, sur les lignes, sur la perspective. C’est un ballet qui doit se voir de face, et la moindre faiblesse du champs de vision est une perte d »émotion. Et les places de face, a fortiori accessibles, ne sont pas légion à Garnier. Les percussions ont également gagné un jolie rondeur sous les ors de la salle à l’italienne. Mais la légère sécheresse de Bastille convenait peut-être mieux à l’ambiance du ballet.
Malgré ces petites déceptions, c’est pourtant bien la même conclusion qui m’est venue à l’esprit (comme quoi). Kaguyahime de Jiří Kylián est décidément un chef-d’oeuvre. Et Agnès Letestu une grande Danseuse qui va beaucoup manquer.
Kaguyahime de Jiří Kylián, jusqu’au 17 février au Palais Garnier.
Anne
C’est marrant, j’ai vu Agnès Letestu plus tôt que vous dans cette série et j’ai eu l’impression inverse : une danseuse étoile éteinte et une guerre déchaînée et captivante. Mais ça ne m’a pas empêchée de beaucoup aimer ce ballet et j’espère découvrir Mme Letestu dans un autre rôle avant son départ!
petitvoile
De ce spectacle magnifique, il est vrai que la chorégraphie de la reine est le moins réussi, limite vieilli. Le reste est de très haut niveau et fait pour une cie comme l’Opéra capable de distribuer une brochette de solistes époustouflants!
Joël
Je suis d’accord avec l’idée que c’était mieux à Bastille, mais je ne dirais pas que ce ballet est un chef-d’œuvre. Si la musique et la scénographie sont magnifiques, la chorégraphie pas si exaltante que ça (en dehors de la scène de la guerre). Ce qui me manque, c’est la narration. L’histoire est à mon goût trop dépouillée. Si on n’a pas (re)lu le synopsis avant de venir, on est perdu. (Testé avec un néo-balletomane à qui j’ai expliqué ce dont je me souvenais pendant l’entr’acte…) D’ailleurs, est-ce que quelqu’un a compris pourquoi il y a *deux* scènes de castagne, une avant l’entr’acte et une autre après ?!
Je suis content d’avoir revu ce ballet, mais une seule représentation me suffira. Je suis heureux que cela ait été avec Alice Renavand, et chez les villageois Aurélien Houette et Amandine Albisson m’ont particulièrement plu.
petitvoile
Je ne parlerais pas chef-d’oeuvre non plus, mais après le Don Quichotte sans intérêt et pas fait pour cette compagnie il fait bon voir les danseurs de l’Opéra dans un élément culturel qui leur convient et où on les sent heureux de le dire sans équivoque !
james
J’ai beaucoup apprécié le Kaguyahime de Jiri Kylian. Chorégraphie et mise en scène. Les percussions de Kodo étaient magnifiques comme à l’habitude. La musique de Maki Ishii envoûtante. Par contre la chorégraphie de la reine ne m’a pas emballé, trop long et à la limite ennuyeux.