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Roland Petit en majesté au Ballet du Capitole

C’est avec une soirée exclusivement consacrée à Roland Petit que le Ballet du Capitole conclut sa saison à Toulouse avant une tournée au Brésil et en France. Kader Belarbi, qui fut un grand interprète des ballets du chorégraphe français, avait déjà ajouté Les Forains au répertoire de la troupe. La compagnie s’enrichit avec ce programme de deux nouvelles pièces majeures de Roland Petit : L’Arlésienne et Carmen. Kader Belarbi est très attaché à cette idée d’un répertoire à défendre, non pas sur un mode muséal mais dans un processus vivant de transmission. Durant cinq semaines, la compagnie s’est immergée dans l’univers de Roland Petit qui était étranger à la plupart de ses danseuses et des danseurs, avec l’aide de Luigi Bonino, ancien danseur du Ballet de Marseille qui poursuit inlassablement ce travail de transmission dans le monde entier. Et une fois encore, la troupe toulousaine ne déçoit pas.

Les Forains de Roland Petit – Kateryna Shalkina et Davit Galstyan

C’est avec Les Forains que débute fort logiquement le programme. Cette pièce, créée en mars 1945 au Théâtre des Champs-Élysées, est le ballet fondateur de l’œuvre de Roland Petit, sa première création d’envergure, prenant pour modèle les Ballets Russes. C’est ainsi Boris Kochno, l’assistant de Diaghilev, qui en écrit le livret. Le compositeur Henri Sauguet est sollicité pour la partition originale et Christian Bérard conçoit les décors et les costumes. Imaginés alors que la Seconde Guerre mondiale n’est pas encore terminée, Les Forains est nimbé de tristesse et de nostalgie. L’histoire en est simple : une compagnie de saltimbanques plante ses tréteaux sur la place du village attirant les passants, qui regardent avec plaisir les numéros des bohémiens, mais se défilent lorsqu’on leur demandera une obole. Et la troupe de repartir quémander sa survie dans un voyage qui ne s’arrête jamais.

Il n’y a pas de solistes, ou plutôt il n’y a que des solistes dans Les Forains. C’est une pièce qui sert admirablement ses interprètes. Davit Galstyan en Monsieur Loyal prestidigitateur mène admirablement la troupe. Philippe Solano en clown blanc est tour à tour  tendre et facétieux. Enfin Juliette Thélin compose une magnifique Loïe Fuller, adroite sur ses pointes et maniant avec dextérité les baguettes qui prolongent ses bras et font jouer les voiles qui la drapent. Moment de pure poésie où Roland Petit conjugue les styles. C’est déjà le début de sa signature : utiliser la danse académique pour l’ouvrir sur d’autres univers, avec le désir de raconter des histoires du quotidien.

L’Arlésienne de Roland Petit – Ramiro Gómez Samón 

Ce néo-classicisme à la française, ancré sur le ballet narratif, traverse toute l’œuvre de Roland Petit. Le programme conçu par Kader Belarbi permet d’en prendre acte à travers un voyage dans le temps. Deuxième œuvre au programme, L’Arlésienne est créée en 1974 par le Ballet de Marseille. Bien que le livret s’inspire de la nouvelle d’Alphonse Daudet, il s’agit davantage d’une évocation que d’un récit. Roland Petit met en scène les démons du personnage masculin Frédéri, hanté par le souvenir d’un amour défunt sur la musique de Georges Bizet. La toile de Réné Allio qui sert de décor évoque la Provence telle que la peignit Van Gogh.

Le ballet se structure autour de danses de caractères folkloriques et du couple composé de Frédéri et Vivette. Ramiro Gómez Samón et Julie Charlet sont irréprochables, elle en fiancée éconduite et  malheureuse, lui en amant torturé et suicidaire. L’Arlésienne fait souvent écho au Jeune Homme et la Mort : on y trouve cette même attirance pour la mort. Les solos conçus par Roland Petit pour le personnage de Frédéri sont le cœur du ballet. Ramiro Gómez Samón, peu familier de ce répertoire, étonne par sa maturité. On le savait technicien émérite, ce qu’il confirme dans les tours, les arabesques et grands jetés qui imposent sa virtuosité inégalée au sein de la compagnie. Il fait aussi preuve dans son interprétation de belles qualités artistiques, même s’il lui faut encore améliorer sa projection expressive en abandonnant ce visage figé qui parfois nuit à sa composition. Mais ce danseur reste un trésor et un plaisir à voir sur scène.

Carmen de Roland Petit – Natalia de Froberville

Natalia de Froberville n’était pas forcément un choix évident pour le rôle-titre de Carmen. Mais on sait depuis Maïa Plissetskaïa que les danseuses slaves savent incarner avec incandescence le rôle de la bohémienne la plus célèbre du monde. Créée à Londres en 1949 par Zizi Jeanmaire et Roland Petit dans les deux rôles principaux, Carmen est un ballet révolutionnaire. Le chorégraphe a imaginé sa Carmen comme une séductrice à la fois ultra-féminine, mais au tempérament indépendant et profondément libre. Cinq tableaux reprennent en version orchestrale les principaux airs de l’opéra. En 40 minutes, son destin est écrit et ce format. La scénographie conçue par le peintre espagnol Antoni Clavé est une partie essentielle du spectacle : les cinq tableaux (la place, la taverne, la chambre, la grange et l’entrée des arènes) permettent de condenser le récit sans nuire à la logique de la narration.

Dennis Cala Valdès dans le rôle de Don José et Norton Ramas Fantinel dans celui du toréador sont d’admirables partenaires. Mais le ballet repose évidemment sur l’interprétation du rôle-titre. Si Natalia de Froberville paraît un peu timide lors du premier tableau, elle s’empare du personnage à mesure que l’histoire se raconte. Tout est dans le jeu de jambes dans la Carmen de Roland Petit, celui légendaire de Zizi Jeanmaire. Natalia de Froberville aligne de ce côté-là de formidables atouts. Elle pourrait peut-être encore s’abandonner davantage. Mais sa Carmen reste racée, volontaire , qui donne le frisson à la salle dans ce dernier pas de deux du meurtre de Carmen, magnifique point d’orgue imaginé par Roland Petit au seul rythme des percussions. 

Carmen de Rolan Petit – Dennis Cala Valdes et Natalia de Froberville

Voilà un vrai bonheur de retrouver Roland Petit, un peu mis de côté par d’autres compagnies. Ce triptyque gagnant qui balaye 30 ans de l’univers du chorégraphe français confirme l’excellence du Ballet du Capitole qui sous la direction de Kader Belarbi continue de servir le répertoire académique, de conserver le patrimoine chorégraphique français et de s’ouvrir à la création, résolvant avec bonheur cette équation délicate. Comment ne pas se réjouir dans l’attente de la prochaine saison ? 

 

Soirée Roland Petit par le Ballet du Capitole, au Théâtre du Capitole de Toulouse.  Les Forains, avec Davit Galstyan (le Prestidigitateur), Kateryna Shalkina (la Belle Endormie), Philippe Solano (le Clown), Juliette Thélin (Loïe Fuller), Thiphaine Prévost et Ichika Maruyama (les Soeurs Siamoises) ; L’Arlésienne, avec Ramiro Gómez Samón (Frédéri), Julie Charlet (Vivette) ; Carmen, avec Natalia de Froberville (Carmen), Dennis Cala Valdes (Don José) et Norton Ramos Fantinel (le Toréador). Samedi 10 mars 2018. À voir jusqu’au 14 mars.

 

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