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Roméo et Juliette de Sasha Waltz – Ballet de l’Opéra de Paris

La reprise de Roméo et Juliette de Sasha Waltz par le Ballet de l’Opéra de Paris, la troisième depuis sa création en 2007, devait marquer les adieux à la scène de Hervé Moreau. Las ! Comme malheureusement prévu, l’Étoile ne peut plus monter en scène. Et cette reprise apparaît un peu vaine. La scénographie imposante, une grande scène blanche et mouvante, fait toujours son effet et porte avec justesse la musique de Berlioz. Mais l’opéra-dansé – tous les rôles sont tenus à la fois par un.e chanteur.se et un. danseur.se, jusqu’aux choeur/corps de ballet – manque de souffle. La danse, surtout, semble être en souffrance, comme si la compagnie cherchait sa ligne directrice en scène (ce qui se passe en coulisse se ressent toujours sur le plateau). Hugo Marchand, qui y croit pour tout le monde, offre des moments de danses lumineuses. Hervé Moreau ne peut plus danser, mais il a trouvé son héritier. 

Roméo et Juliette de Sasha Waltz – Hugo Marchand

En proposant un Roméo et JulietteSasha Waltz avait choisi la ligne de l’abstraction. Nous ne sommes pas chez Rudolf Noureev ici, pas de pantomime ou de scènes de rue. Mais des évocations d’une histoire que tout le monde connaît, quelques scènes-clés, autour d’une scénographe épurée comme imposante. Sur la musique de Berlioz (je n’ai pas assez de connaissance pour porter un jugement à haute valeur ajoutée, mais la musique a été pour moi interprétée d’une façon magistrale), une immense scène blanche coupe le plateau noir. Cette scène est mouvante, se transformant au gré des évocations en salle de bal, en montagne infranchissable, en tombe de Juliette ou en inévitable balcon des deux amants. Sur ce décor en perpétuel mouvement, chanteurs, danseuses, choeur et corps de ballet prennent place pour retracer les grandes lignes de Roméo et Juliette : la découverte, l’attirance, la passion, le destin inéluctable, la mort, le deuil. 

Est-ce l’oeuvre qui n’a pas très bien vieilli en dix ans ? Où les danseurs et danseuses qui ne semblent pas trop savoir où aller ? Mais cette reprise de Roméo et Juliette s’épuise et se tire en longueur. Les sentiments sont loin, les interprètes un peu noyés dans cette grande scène, ne sachant occuper tout l’espace. Les danseurs et danseuses se plaignent d’un manque d’une ligne artistique claire en coulisse, c’est un peu ce qui se ressent sur scène ce soir-là, alors que le fameux sondage n’avait pas encore été rendu public. La chorégraphie est en place, mais le geste tranché de Sasha Waltz et son ancrage au sol manquent aux ensembles. Le temps de répétition n’a pas dû être assez long et si les gestes sont appris, leur sens n’a pas semblé avoir traversé le travail de transmission. Ce qui donne un corps de ballet qui semble mal à l’aise, presque gauche dans la scène volontairement burlesque du bal d’une société décadente. 

Roméo et Juliette de Sasha Waltz – Ballet de l’Opéra de Paris

Ce Roméo et Juliette de Sasha Waltz tient aussi dans son couple principal. Ce soir-là tenu par Hugo Marchand et Amandine Albisson, décidément peu assortis malgré la volonté de la direction de les faire danser ensemble. Ils sont très beaux, mais ne semblent pas avoir grand-chose à se dire, ni être sur la même longueur d’onde. Hugo Marchand est le Roméo idéal : fougueux, romantique, bouleversé par la découverte de la puissance du sentiment amoureux qui lui traverse le coeur pour la première fois. Il illumine la scène de sa présence, apportant le feu qui manque aux ensembles, la passion du drame, la danse investie jusqu’au bout des doigts. Déjà femme dès son premier pas en scène et assurée, Amandine Albisson n’est pas vraiment crédible en jeune fille innocente. Le couple, ainsi, semble bancal dans ce qu’il a à dire. L’Étoile a de plus du mal dans les oeuvres narratives, montrant plutôt que jouant, mimant plutôt que sincère. Amandine Albisson est plus à l’aise dans l’abstraction, et de fait, le grand pas de deux qui quitte la narration pour un moment de danse pure est réussi. La passion s’éloigne un peu au profit du pur geste dansé, et sur ce plan, les deux Étoiles sont magnifiques. Leurs lignes vertigineuses tranchent comme des coups de crayon sur le noir du fond de scène, leurs gestes amples animent l’espace, une électricité passe. 

Quand la narration revient, le souffle s’en va. Les danseurs et danseuses ne sont aussi pas gâtées par une scène d’enterrement ou un final de réconciliation qui durent et s’étirent à n’en plus finir. Sasha Waltz a voulu appuyer sur les symboles (la terre qui recouvre le corps de Juliette) pour être sûr que l’on comprenne bien. Mais trop de symbolique tue le symbolique, et les interprètes ne savent plus au bout d’un moment occuper l’espace. Les chanteurs et chanteuses, tout comme le choeur, ont aussi plus d’espace lors de ces dernières scènes, l’équilibre danse/chant plutôt bien menée au début du ballet se fausse sur ces derniers instants. Reste la terrible scène du Père Laurence, interprétée avec force par Audric Bezard. Devant lui se dresse la montagne, celle du destin qu’il veut briser. Il court, se jette, lutte, mais la montagne est trop haute, et il finit toujours par retomber. La chorégraphe a su ici s’arrêter à temps en trouvant la juste ligne de la tension dramatique. Une ligne qui se détend lentement mais sûrement à la fin du ballet, pour finir sur une presque indifférence. 

Roméo et Juliette de Sasha Waltz – Hugo Marchand et Amandine Albisson

 

Roméo et Juliette de Sasha Waltz par le Ballet de l’Opéra de Paris à l’Opéra Bastille. Avec Amandine Albisson (Juliette), Hugo Marchand (Roméo), Audric Bezard (Père Laurence), Julie Boulianne (mezzo-soprano), Yann Beuron (ténor) et Nicolas Cavalier (basse). Mardi 10 avril 2018. À voir jusqu’au 4 mai.

 

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