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Rencontre avec la Danseuse Étoile Ghislaine Thesmar pour la sortie de son livre « Une vie en pointes »

Depuis quelques années, la grande ballerine Ghislaine Thesmar savoure sa retraite dans sa maison du Var, profitant des « choses simples, évidentes de la vie« . On la croise parfois dans les couloirs du Palais Garnier les soirs de spectacles ou, plus exceptionnel, sur scène comme lors des récents adieux de Marie-Agnès Gillot. En librairies depuis le 2 mai, son récit autobiographique Une vie en pointes (Ed. Odile Jacob) permet de revenir sur la carrière de cette Danseuse Étoile au caractère bien trempé qui n’a rien perdu de sa liberté de ton.

Une vie en pointes de Ghislaine Thesmar

 

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?

À l’occasion d’un dîner, nous discutions très librement de nos enfances avec mes voisins et amis, le couple Cyrulnik. Fille de diplomate, je suis née en Chine puis j’ai vécu à Cuba, à Jakarta, à Bombay… J’ai beaucoup voyagé. J’ai eu une enfance passionnante et belle. Mon père et ma mère s’aimaient passionnément. C’était plus un couple que des parents. Mais, cela ne m’a pas gênée. J’étais d’une nature heureuse. Ça m’a donné des libertés, pour faire travailler mon imagination, pour partir à l’aventure ! En écoutant ces anecdotes, Boris Cyrulnik m’a suggéré de raconter tout cela dans un livre.

 

Est-ce facile de se pencher sur son passé, de faire remonter les souvenirs ?

Je me suis rendu compte que j’avais une bonne mémoire pour certaines choses et beaucoup moins pour d’autres ! J’ai des souvenirs très précis des impressions laissées par les découvertes de mon enfance, mes premiers pas de jeune danseuse. Mais j’ai eu plus de difficulté à me remémorer les dates et les endroits où j’ai dansé tel ou tel ballet,. Heureusement j’ai un Pygmalion qui a une mémoire d’éléphant !

 

Beaucoup d’hommes ont compté dans votre parcours artistique. Votre père a été le premier à vous soutenir dans votre projet de devenir danseuse. Sans son accord, vous seriez-vous lancée ?

Mon père était un être charmant doté d’une culture phénoménale. Il apportait un charme à la vie. Il avait reçu une solide éducation artistique et jouait fort bien du piano. Alors que ma mère n’imaginait pas un seul instant sa fille sur les planches, lui m’a soutenue et m’a donné ma chance en me laissant m’installer seule à Paris à 15 ans, avec une amie pour veiller sur moi, pour tenter le concours du Conservatoire national supérieur de Paris.

Ghislaine Thesmar, enfant, à Cuba

Quand Pierre Lacotte vous voit pour la première fois, il décèle très vite chez vous la grande ballerine que vous allez devenir. Quel rôle a-t-il joué ?

C’est extraordinaire de rencontrer quelqu’un qui vous regarde autrement. Il m’a donné une attention que je n’avais jamais reçue. Je n’étais pas habituée. Il a été mon Pygmalion. J’ai rattrapé avec lui toutes mes lacunes. Il a été très protecteur.

 

Former ce couple très soudé, était-ce une force ou quelque chose qui pouvait susciter les jalousies ?

C’était au-delà du couple, plus un partenariat à la vie à la mort. Au-delà des sentiments qui nous unissaient, décevoir l’autre était inconcevable.

Avec Pierre Lacotte, c’était au-delà du couple, plus un partenariat à la vie à la mort. 

En décidant de remonter La Sylphide dans sa version originale, Pierre Lacotte vous offre le rôle de votre vie.

Participer à une telle reconstitution était une grande responsabilité. C’est le rôle dans lequel j’ai pu me révéler au grand public et qui m’a valu l’engagement à l’Opéra. J’étais très reconnaissante de cet engagement. C’était un gage de sécurité et de qualité. Travailler dans ce cinq étoiles de la danse, c’était incroyable quand on n’avait pas fait ses classes comme moi à l’École de Danse. J’ai dû beaucoup travailler, car j’étais plus naturellement faite pour danser du George Balanchine !

 

Ce que vous avez fait ! Vous avez mené votre carrière un pied en France et un pied aux États-Unis. Une chance ?

Pendant un temps, oui et ce fut très excitant. Rolf Liebermann et George Balanchine étaient très liés. Le premier a bien vu que le deuxième voulait que j’aille danser dans sa compagnie. « Je te la prête quand elle n’est pas programmée à l’Opéra« , lui a-t-il proposé. Il n’y avait pas de contrat, ce n’était pas du tout légal sur le plan administratif. C’était comme une sorte d’échange au sein d’une même famille. Mais à un moment, il a fallu que je prenne une décision et j’ai choisi l’Opéra de Paris.

Ghislaine Thesmar dans Chaconne de George Balanchine avec Adam Lüders au NYCB

Michaël Denard et vous avez formé un couple sur scène que personne n’a oublié. Qu’est ce qui fait la qualité d’un partenaire ?

La force du vouloir. Avoir une intensité de vie qui porte. Michaël a été ma moitié dansante. Je comptais sur lui comme sur un frère jumeau. J’avais une confiance absolue en lui.

 

Nous avons évoqué quelques hommes, mais des femmes ont marqué votre parcours. La première étant Galina Oulanova qui a provoqué chez vous un véritable coup de foudre artistique.

La voir danser lors de cette projection dans un cinéma de Rabat est un souvenir fabuleux et irréel. La voir s’élever à deux mètres du sol dans la grande Mazurka des Sylphides m’a littéralement sidérée. Ce qui m’a surtout éblouie et convaincue, c’est de comprendre qu’on pouvait danser avec la musique, d’en faire partie et que le tout était parfait. C’était une grande révélation. Je voulais arriver à cette sensation. C’était comme faire partie du cosmos.

Voir s’élever Galina Oulanova à deux mètres du sol dans la grande Mazurka des Sylphides m’a littéralement sidérée

Yvette Chauviré a aussi beaucoup compté pour vous. Elle a été la professeure que vous avez été ensuite pour de nombreuses danseuses. Quel souvenir gardez-vous d’elle ?

Elle était d’une beauté incroyable, un peu à la Garbo et d’une drôlerie ! Elle m’a guidée et conseillée avec toujours beaucoup de tendresse. Elle m’a fait découvrir mille et une subtilités de certains rôles comme Giselle ou Le lac des Cygnes. Je trouve qu’on ne lui a pas rendu l’hommage qu’elle méritait quand elle a disparu.

 

Quelle est votre définition d’une Étoile ?

Un ou une interprète qui laisse un souvenir inaltérable. Je n’oublierai jamais l’admiration des vieux messieurs qui avaient eu la chance de voir danser Anna Pavlova. Ils manquaient de mots pour décrire ce qu’ils avaient ressenti.

Ghislaine Thesmar dans Serenade de George Balanchine avec Michaël Denard

 Vous avez aimé être sur scène, puis vous avez aimé transmettre à d’autres danseuses. Où avez-vous été la plus heureuse ?

Etre sur scène représente des moments magiques qui vous élèvent l’âme. Mais ouvrir un chemin pour quelqu’un qui se découvre et qui soudain donne tout est passionnant. Nous avons en nous un pouvoir bien supérieur à celui qui que nous croyons posséder et nous ne savons pas toujours le trouver, le solliciter, l’utiliser.

 

A quel moment se dit-on « j’arrête d’enseigner » ?

J’ai aimé enseigner, car ce qui m’intéressait, c’était le devenir de chacune et de chacun. J’ai adoré côtoyer des Étoiles comme la magnifique Agnès Letestu qui a admirablement tenu sa place à l’Opéra. Les aider à se révéler à eux-mêmes a été mon plus grand bonheur. Les cloner sur des modèles n’a aucun intérêt. Mais j’ai vu la jeune génération changer. Je l’ai sentie beaucoup moins idéaliste, plus matérialiste que nous. Aujourd’hui, les danseurs et danseuses sont dotés d’une culturelle visuelle remarquable, mais n’ont à mon sens pas toujours une culture historique sur les changements de la société. Comment danser Giselle si l’on ne comprend pas le contexte dans lequel cette jeune fille évolue ?

Aider les jeunes Étoiles se révéler à eux-mêmes a été mon plus grand bonheur. Les cloner sur des modèles n’a aucun intérêt.

Que vous a apporté l’exercice de jeter un regard sur le passé en écrivant ce livre ?

J’ai mesuré ma chance d’avoir vécu à cette période-là, de connaître la génération d’artistes qui a débuté dans les années 1920 et puis la transformation très rapide, la fin d’une grande génération et le début d’une autre. Une période fascinante. Les jeunes danseurs et danseuses d’aujourd’hui dansent beaucoup mieux que nous. Sur le plan technique, ils sont beaucoup plus précis, plus conscients de perfection, peut-être trop.

Ghislaine Thesmar

Vous avez dit « Je ne suis pas sur scène pour faire de la virtuosité, je suis sur scène par amour« . Cette quête de perfection, ce souci de maitrise technique sont supérieurs à leur amour de la danse selon vous ?

Je ne le crois pas. Nous avions peut-être des priorités différentes. Chaque époque a ses qualités. J’ai vu les choses évoluer, voir les danseurs et danseuses prendre conscience de leur valeur sur le plan « bankable » comme on dit au cinéma. Nous, nous avions une certaine naïveté. Faire partie d’une compagnie de ballet comme celle de l’Opéra de Paris est une situation exceptionnelle. Ce n’est pas un job. On est là pour donner le meilleur de soi-même. C’est un sacerdoce. Si on n’est pas dans un état d’amour pour son métier, c’est intolérable parce que c’est très dur et très fatigant.

 

Beaucoup de balletomanes reprochent la disparition des ballets classiques dans la programmation de l’Opéra de Paris. Qu’en pensez-vous ?

La part donnée au contemporain peut être importante mais ne doit pas être dominante. Il faut continuer de danser le grand répertoire classique. Quand on ne danse pas un Lac des cygnes régulièrement, c’est extrêmement difficile. On doit pouvoir continuer de voir à l’Opéra des ballets comme Études de Harald Lander qui sont des challenges.

Faire partie d’une compagnie de ballet comme celle de l’Opéra de Paris est une situation exceptionnelle. Ce n’est pas un job. On est là pour donner le meilleur de soi-même. C’est un sacerdoce.

Que pensez-vous des récents remous qui ont agité l’Opéra ? Et la crise de légitimité que semble traverser Aurélie Dupont ? Auriez-vous pu être Directrice de la Danse ?

Je n’aurais pas eu la résistance nerveuse. J’aurais par exemple été très dure avec des gens extrêmement doués qui ne respectent pas leur propre don. C’est très bien que le poste de la Direction de la Danse soit occupé par quelqu’un issu du Ballet. L’Opéra de Paris est un système très particulier avec un parcours dans la hiérarchie très spécifique. Aurélie Dupont connaît tout cela, mais la tâche est difficile pour une femme jeune, proche de cette génération. Je lui souhaite de tenir le coup et d’évoluer avec la situation. Elle apprend. Il faut s’imposer avec abnégation. Cela prend du temps.




 

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