Retour en LAAC – En cours d’adage avec Karl Paquette
Nous avons passé toute la saison dernière au LAAC, l’atelier de Clairemarie Osta et Nicolas Le Riche. Et nous n’avons pu nous empêcher de revenir y passer une tête cette saison. Depuis, les deux Étoiles de l’Opéra de Paris sont parties en Suède. Ils reviennent chacun une semaine par mois au LAAC, laissant le reste du temps les clés à divers.es. professeur.e.s, qui se sont succédé depuis septembre. Parmi eux, Karl Paquette, Étoile passionnée par la pédagogie et la transmission. Il est venu au LAAC une semaine, notamment pour y donner des cours d’adage, alors qu’il est lui-même considéré comme l’un des meilleurs partenaires de la compagnie parisienne. Reportage en plein travail autour du Lac des cygnes.
Samedi 26 mai, 10h30. Du Studio Coupole, tout en haut du Théâtre des Champs-Elysées parvient quelques notes de piano. Karl Paquette termine son cours de danse classique au LAAC. Les pros et les apprenties sont là, il y a neuf filles et six garçons. Nous en reconnaissons certain.e.s que nous avons suivis l’année dernière, comme Emma ou Robin. D’autres sont arrivé.e.s. Après quelques grands sauts, place à un court temps de repos, le temps pour les filles d’enfiler leur tutu de travail, puis retour au milieu pour un cours d’adage. Depuis le début de la semaine, Karl Paquette leur apprend le pas de deux du quatrième acte du Lac des cygnes de Rudolf Noureev. “Clairemarie Osta m’a demandé de leur transmettre cet adage, et je suis très content de ce choix”, explique Karl Paquette. “C”est une technique très classique et très carrée, avec un équilibre entre le côté droit et le côté gauche. C’est très important à leur âge de toujours verrouiller les deux côtés. En cours, j’insiste d’ailleurs pour faire des séries à droite et à gauche”. Un choix d’adage qui plaît aussi aux élèves, même s’il n’est pas évident. “Il est très agréable, il donne envie d’aller au bout des mouvements. On se laisse emporter par la musique ! Mais il faut d’abord se placer, être coordonné, travailler sur le poids du corps”, raconte Emma, une élève.
Le professeur commence tout d’abord par marquer à nouveau la première partie du pas de deux. Il demande d’ailleurs à la pianiste de jouer la musique de Tchaïkovski plus lentement, “ils apprennent, ils doivent avoir le temps de bien faire les choses”. Chez Emma et Robin, Pro depuis deux ans, il n’y a pas d’hésitation. La jeune danseuse apprécie d’ailleurs son binôme. “Il faut toujours être à l’écoute de son partenaire, c’est ça qui est difficile”, raconte l’apprentie-ballerine. “Robin, mon seul partenaire cette année, m’a toujours appris à coordonner les bons appuis au bon moment, à travailler sur le poids du corps. À force de refaire, les choses viennent tout seul« . Chez les plus jeunes, qui n’ont que 14-15 ans, ce travail n’apparaît pas encore comme naturel. “Il faut prendre en compte la certaine timidité que l’on peut avoir ado avec sa partenaire”, explique Karl Paquette. “On n’est pas habitué à toucher l’autre, et il y a dans la technique d’adage toute une manipulation. Cette timidité est légitime, elle s’efface avec le temps”. Chez les apprenti.e.s, les filles semblent plus à l’aise dans ce rapport à l’autre que les garçons. La technique d’adage féminine n’est pas non plus trop différente de ce qu’on leur demande en cours de danse. “Alors que pour le garçon, c’est une technique complètement nouvelle”, explique Karl Paquette. La clé pour eux ? “Arriver à comprendre les mouvements de la fille et les besoins de leur partenaire pour trouver l’équilibre”. Pour cela, ils doivent impérativement connaître la chorégraphie de la fille. “Ils ne sont pas juste derrière à faire le porteur. C’est à deux que le mouvement se fait réellement”. Le professeur montre d’ailleurs l’exemple en corrigeant les filles aussi bien que les garçons, comme sur ce geste qui revient souvent dans Le Lac des cygnes, les bras de Siegfried se refermant avec ceux d’Odette. “Les filles : les bras sont le long du corps du garçon. Les garçons : vous dirigez la fille, c’est vous qui initiez le mouvement en ramenant le bras. Pensez que c’est quelque chose de très fragile”.
Karl Paquette a découvert la technique d’adage d’une manière plutôt direct. Attilio Labis est venu à l’École de Danse quand il était en deuxième division, pour remonter son ballet Arcade qui comprenait des doubles tours poisson. “Il a fallu apprendre !”. Le danseur a toujours aimé la technique d’adage. “Je mets beaucoup d’attention pour qu’un pas de deux soit réussi”. Au point qu’il est aujourd’hui souvent cité par les Étoiles de l’Opéra lorsqu’il faut choisir un partenaire préféré. “Si elles aiment danser avec moi, c’est le plus beau des compliments”, sourit-il. “J’aime en tout cas entendre : ‘La ballerine était belle dans l’adage’. C’est une façon de dire que j’ai su la mettre en valeur”.
Les élèves du LAAC reprennent le début du pas de deux, guidé par Karl Paquette. “Travaillez cette musicalité dans les pas : marche… failli… arabesque”. Puis viennent quelques portés, avec une prise en main qui n’est pas évidente. Le premier réflexe est de porter une danseuse ou de la guider par la taille, alors que tout doit se faire par les hanches, juste au-dessus du tutu. “Vous devez vraiment avoir la sensation de l’équilibre. Si vous prenez par les côtes, ça l’empêche de respirer et ça va tout décaler. Là, on est 100 % sûr qu’elle est droite”. Tout en gardant la délicatesse du Prince, pas évident après un porté par facile. “Et on est délicat avec la fille, on ne la plante pas les pointes dans le sol”. Karl Paquette est vigilant sur toutes les bases techniques de l’adage. “Attilio Labis m’a dit un jour : ‘La danse, c’est 90 % de technique et 10 % d’artistique’. ça m’a vraiment marqué. On ne peut pas bâtir quelque chose sur des fondations qui sont mouvantes”. Le début du pas de deux reste assez calme et carré, répétant les pas à droite et à gauche. Puis l’extrait prend plus d’ampleur. La technique devient elle aussi plus difficile. Une promenade arabesque pose ainsi quelques soucis chez les jeunes danseurs et danseuses. “Le garçon tourne toujours autour de l’axe du pied de la fille. C’est le moyen le plus sûr de tourner le plus rapidement et droit”, explique Karl Paquette. Les pas deviennent plus rapides. “À vous d’anticiper les garçons. Plus vous restez attentifs au poids du corps de la fille, plus vous sentirez ses besoins spécifiques. Et chaque fille est différente”. Pour Emma, ce passage est à la fois le plus dur techniquement, mais aussi celui qu’elle préfère. “Au moment où l’on commence à être fatigué, les choses s’accélèrent et se compliquent”, explique-t-elle. “Il faut se réoxygéner et allée encore plus loin. Mais c’est aussi puissant”.
Comme dit Attilio Labis : ‘La danse, c’est 90 % de technique et 10 % d’artistique.
Place ensuite à un travail sur le décalé. La fille, face au garçon, se décale à gauche puis à droite, guidée par son partenaire. Un effet tout simple mais plutôt compliqué à appréhender pour ceux et celles qui démarrent l’apprentissage de cette technique d’adage. Le professeur du jour insiste sur l’axe, l’attention portée à sa partenaire. “Travaille d’abord la position et après tu ajustes, ne saute pas une étape. Dans un monde idéal, on devrait pouvoir faire ce pas uniquement d’une seule main”. Et de joindre le geste à la parole.
Robin est parti à une audition, les couples se reforment. Les portés deviennent plus grands, avec notamment un grand jeté pour les filles. “Ne cherchez pas à jeter, c’est un développer de la jambe”, reprend Karl Paquette (ndlr : on a l’impression d’entendre Claude Bessy dans Les Enfants de la danse). “Et pendant le saut, c’est le garçon qui te maintient”. Avant d’enchaîner avec un grand porté, que tous ne font pas encore. Un tour attitude leur pose ensuite problème, garder son axe n’est pas facile. “Plus vous appuyez sur sa jambe, plus elle sera rassurée dans son équilibre”. La présence du tutu est ici gênante pour les jeunes danseurs, qui ne doivent se fier qu’à leurs sensations. “Si tu as bien le contact, c’est bon. Imagine la promenade comme si tu l’enfonçais dans le sol”. le duo reprend, mais n’y arrive pas plus. “Là, tu as décroché”, reprend Karl Paquette avant d’encourager. “C’est normal de ne pas se sentir à l’aise. C’est un pas de deux difficile et on est tous passé par là”.
Max Bozzoni et Claude Bessy avaient une façon à eux de transmettre le savoir et de nous inculquer que la transmission est fondamentale dans notre métier, pour le faire vivre et le faire grandir.
Les élèves reprennent une dernière fois en entier le pas de deux avant la fin du cours, qui marque aussi la fin de la semaine de Karl Paquette au LAAC. Pour l’Étoile qui va faire ses adieux à la scène le 31 décembre prochain, la pédagogie est ce qui se dessine pour sa reconversion. “J’ai toujours voulu enseigner, dès l’École de Danse”, explique celui qui donne des cours de danse depuis déjà 10 ans. “J’ai eu la chance d’avoir Max Bozzoni comme professeur. Il avait toute une façon d’enseigner, une philosophie de la vie. Claude Bessy aussi. Ils avaient une façon à eux de transmettre le savoir et de nous inculquer que la transmission est fondamentale dans notre métier, pour le faire vivre et le faire grandir. Et puis je viens d’une famille d’enseignants !”. Rien n’est encore fixé pour la suite de sa carrière – “je n’arrive pas encore à définir concrètement ce que j’aimerais” – mais cela sera dans la transmission. Karl Paquette reste neutre sur la crise qui secoue en ce moment la direction de l’Opéra de Paris. Avant de partir, il préfère écorner le lieu commun qui consiste à dire que les danseurs français ne sont pas de bons partenaires. “Personnellement, j’ai été inspiré par la génération de Manuel Legris et Laurent Hilaire, j’ai plutôt été impressionné par ce qu’ils faisaient en scène. Même plus proche de moi, Nicolas Le Riche, Jean-Guillaume Bart et José Martinez étaient d’excellents partenaires. Dans toutes les compagnies, il y a de bons éléments, d’autres un peu moins. Mais je vais défendre cette maison, et pour le partenariat, nous n’avons pas à rougir”.
Le LAAC est en scène le dimanche 24 juin au Théâtre des Champs-Élysées sur le thème du Lac des cygnes, avec plusieurs écoles de danse européennes invitées.
Léa
Merci pour ce beau reportage, photos et texte. Et pour nous donner la chance de voir Karl Paquette à l’oeuvre. Il me manque déjà !! Sans doute pas le plus grand danseur de l’ONP (et sans doute n’en a-t-il pas la prétention), mais toujours un plaisir de le voir : charisme et force couplés à la simplicité et l’intelligence, qui plus est un excellent comédien dont la joie de danser rayonne. Le public l’aime et on sait pourquoi !!