Une année à l’Académie Princesse Grace – Préparation des examens avec Yuria et Youngseo
Temps forts de chaque école de danse : les examens de fin d’année. C’est ce qui nous a ramené à l’Académie Princesse Grace pour la suite de notre série Une année à l’Académie Princesse Grace. Pour les élèves en dernier année, l’enjeu est plus de montrer leur évolution pendant leur quatre ans de formation que de passer un examen. Yuria Isaka et Youngseo Ko, 18 ans toutes les deux, évoquent cette échéance et leur expérience à l’Académie Princesse Grace, alors qu’elles s’apprêtent à devenir professionnelles.
Le soleil brille sur Monaco en cette belle journée de fin avril. Mais à l’Académie Princesse Grace, le temps est plus au travail qu’à la farniente au bord de la mer. Des studios de danse s’échappent des notes de musique. Les élèves passent leur examen annuel dans deux semaines. Chacun.e doit préparer une variation classique, une variation contemporaine imposée (le Cygne noir de Jean-Christophe Maillot cette année) et une composition personnelle. Un programme chargé, mais que les élèves en dernière année appréhendent plus comme un véritable spectacle. « J’étais nerveuse les années précédentes. Mais cette fois, je suis surtout excitée« , explique Yuria. « Je veux montrer ma maturité à mes professeur.e.s et au jury. Quand je suis arrivée ici, il y a trois ans, j’étais une petite fille. Je veux leur montrer combien j’ai grandi et gagné en maturité. Je veux montrer la différence« . Même impression du côté de Youngseo. « Bien sûr il y a un jury, ils nous jugent, mais je vois plus ça comme un spectacle« . Une façon aussi de garder le contrôle sur son mental et de ne pas se laisser prendre par le stress pour cette étudiante qui aime la scène. « Je ne veux pas faire d’erreur et regretter quoi que ce soit. On ne peut jamais être parfaite, mais je veux être satisfaite en sortant de scène. Je me répète donc ça : c’est un spectacle, pas un examen« . Une idée partagée par leur directeur Luca Masala. « On ne fait pas beaucoup de spectacles. Leur examen est donc aussi une possibilité de monter sur scène seul.e. Et pour les dernières années, c’est une façon de dire merci aux professeur.e.s et de leur dire au-revoir. C’est aussi beaucoup d’émotion pour nous : je les revoie il y a 4 ans quand je les ai découverts« .
Pour leur variation classique, Yuria a pris l’une des variations des amies de Kitri pour ses sauts, Youngseo a pris Esmeralda, « parce que je l’avais dansé toute jeune et je veux la reprendre maintenant, alors je sais tellement mieux la danser« . Les deux élèves apprécient leur variation contemporaine signée Jean-Christophe Maillot, même s’il faut savoir doser le jeu. « J’en fais trop dans le caractère. Ce n’est pas facile pour moi, j’ai toujours envie d’en montrer plus« , explique Yuria. Chacune a fait une composition personnelle. Et Youngseo propose également une création d’ensemble, pour deux garçons et trois filles. La chorégraphie, la jeune danseuse n’y avait pas pensé avant d’arriver il y a quatre ans à l’Académie Princesse Grace. Chaque élève goûte à cet exercice de création avec des ateliers de composition. En décembre, Youngseo a remporté un concours entre élèves, ce qui lui donne droit de présenter une pièce pour cet examen et le spectacle de fin d’année en juin. « Je pensais que c’était bien, mais pas à ce point« , s’amuse la jeune fille qui n’imaginait pas aimer la chorégraphie avant de se plonger dedans. « Et je ne veux pas stopper cette recherche dans ma carrière, même si ce n’est pas mon objectif premier« .
L’arrivée de Youngseo à l’Académie Princesse Grace loin de sa Corée du Sud natale il y a quatre ans a été plutôt facile pour la jeune danseuse. Après avoir démarré la danse à l’âge de 8 ans pour prendre de la force, elle entre dans une école réputée de son pays. C’est là qu’elle se fait repérer par Olivier Lucea, professeur à l’Académie qui lui propose de venir à Monaco. La danseuse n’hésite pas : dans son pays, l’école a une excellente réputation. Plusieurs Étoiles nationales y ont fait leur formation, comme Kang Sue-jin, qui dirige aujourd’hui le Ballet National de Corée. L’adaptation de la jeune danseuse, pourtant âgée de 14 ans et ne parlant pas anglais au début, se passe au mieux. Les choses se gâtent en 3e année, avec une blessure qui freine sa progression. « J’ai eu de sales moments. C’est très dur d’avoir de l’énergie à revendre et de ne pas pouvoir danser, de devoir juste regarder les autres« . Une deuxième blessure arrive en 4e année, au point que Youngseo, en janvier, veut tout arrêter. Luca Masala lui fait une proposition : arrêter tout de suite mais rembourser sa bourse, ou arrêter après avoir trouvé un contrat. « Dans sa situation, n’importe qui voudrait arrêter. Je lui ai rappelé qu’on n’avait qu’une seule chance. Tout se termine bien finalement, et il vaut que cela lui soit arrivé avec nous qu’une fois dans une compagnie« . Youngseo, en effet, est restée, « j’ai compris que ce n’est pas en partant que j’allais résoudre mon problème. Il ne ferait que me suivre« .
Yuria a eu le parcours un peu inverse. Repérée au YAGP, sa première année à Monaco a été difficile. Elle est arrivée directement en 2e année, alors que tout le monde se connaissait déjà. Mais « je voulais bien réussir dans cette école, apprendre l’anglais, apprendre à vivre sans mes parents« . Elle s’accroche et n’en laisse rien paraître, son directeur comme ses professeur.e.s passent à côté de ses difficultés. Les deux années suivantes furent bien plus épanouissantes. « J’ai appris à penser par moi-même« , explique-t-elle, « à me corriger seule« . La jeune danseuse doit pourtant apprendre à faire plus confiance à ses professeures, « Je suis parfois trop dur avec moi-même. Je veux être parfaite tout le temps, et si je n’arrive pas à faire quelque chose, je stresse tout de suite. Je dois apprendre à mieux écouter« . Un trait de caractère que confirme son directeur. « Yuria, elle a ses idées. Si elle n’est pas convaincue de quelque chose, elle ne le fera pas. Elle a besoin d’être coachée, mais pour que ça marche, elle doit trouver avec qui elle soit d’accord« . Malgré les difficultés des premiers mois, abandonner ne l’a en tout cas jamais effleurée. « Je ne suis pas à l’aise pour m’exprimer avec les mots. Mais avec le corps, le ballet, c’est facile pour moi de communiquer. J’aime tellement la danse !« .
C’est d’ailleurs cette passion de la danse qui a poussé Luca Masala à prendre la jeune danseuse dans son école. « À 14 ans, elle faisait 1,53 mètre et je savais qu’elle ne grandirait pas beaucoup« , se souvient-il. « Elle est petite, cela peut la bloquer pour décrocher un contrat. On ne peut pas la mettre dans le corps de ballet, il faut qu’elle ait tout de suite des petits rôles. Puis je l’ai vu en cours, elle rayonnait tellement ! Je lui ai donc proposé de venir en étant honnête. Elle ne va pas grandir en taille. Il faut donc qu’elle grandisse sur tout le reste : son travail, son charisme, sa technique, sa compréhension« . Mission accomplie pour Yuria : « elle est explosive techniquement. Elle bouge beaucoup plus grand qu’une fille qui fait 30 centimètres de plus qu’elle, même si elle en oublie parfois un peu la propreté« . Dans trois mois, Yuria va devenir danseuse professionnelle et partir au Ballet de Berlin. Elle y a décroché un contrat de deux ans, et espère suivre la trace d’une Étoile qu’elle admire beaucoup et qui danse dans cette compagnie, Iana Salenko. « Comme moi, elle n’est pas très grande. Mais sur scène, on ne voit qu’elle« . Elle attend sa vie de professionnelle avec impatience. « Je devrais me pousser toute seule, prendre soin de moi toute seule, tout faire toute seule. Cela va être dur, mais je suis très excité, d’être en scène et de partager avec le public« .
De son côté, Youngseo part pour le Ballet de Norvège, compagnie qu’elle a choisie pour son large répertoire. « Classique, néo-classique, contemporain , j’aime danser de tout« , explique-t-elle. Son premier choix était en fait les Ballets de Monte-Carlo. Elle a donc passé une audition, mais cela n’a pas abouti. Luca Masala conseille alors à la jeune danseuse de regarder vers Oslo. La compagnie n’a pas de place à ce moment-là pour engager la ballerine, mais l’invite toutefois à venir prendre un cours et un workshop. « Et à la fin de la journée, la troupe lui a trouvé un contrat« , raconte pas peu fier le directeur de l’Académie Princesse Grace. Une belle opportunité pour Youngseo qui a la même impatience de démarrer cette nouvelle vie, « si je pouvais je commencerai demain !« . Elle rêve de danser Giselle, mais aussi Kitri ou Carmen, « J’aime les personnages forts« . Un trait de caractère que Luca Masala confirme. « C’est quelqu’un qui a beaucoup de personnalité. Elle n’a pas peur de parler, de prendre des risques ou d’être ridicule dans ses compositions. Et en même temps, elle peut avoir une grande insécurité intérieure« . À Oslo, la jeune danseuse espère aussi pouvoir danser des pièces de Jiří Kylián au répertoire de la troupe. « J’ai dansé l’une de ses œuvres à 16 ans pour le spectacle de l’Académie, ça a été un honneur« . Pour ces deux mois avec encore le statut d’élève, Youngseo veut veiller à être bien dans son corps et en bonne condition physique. Ses différentes blessures lui ont appris à s’écouter. « Je suis la seule qui sait ce dont mon corps a besoin« .
Avant le grand saut, les deux jeunes danseuses participeront au Gala de l’Académie Princesse Grace les 23 et 24 juin à l’Opéra de Monte-Carlo. Un moment qui réunira une dernière fois en scène toute cette promotion, autour des élèves plus jeunes. « Il y a eu un vrai déclic dans ce groupe« , résume Luca Masala. « Ils ont compris qu’ils devaient guider les plus jeunes. Ivana a pris les choses en main, Natatia était plus intégrée. Shale a compris en rentrant de Lausanne qu’il avait une nouvelle valeur aux yeux des plus petits et qu’il devait être un exemple« . Sa mission de directeur est en tout cas accompli pour cette promotion : à quelques semaines de la fin de l’année, chacun.e a décroché un contrat pour la saison prochaine.