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[Nuits de Fourvière] Folia de Mourad Merzouki

Du hip hop, du baroque, un peu de cirque, de bonnes touches d’électro, deux paires de pointes, quelques moments d’acrobatie, une planète Terre qui éclate… Un mix improbable ? Plutôt une petite merveille intitulée Folia et signée Mourad Merzouki pour l’ouverture des Nuits de Fourvière. Le chorégraphe aime le mélange des genres, il ne déroge pas à la règle pour sa nouvelle création où les styles chorégraphiques et musicaux s’entrechoquent avec bonheur. Avec comme liant cette facilité qu’a Mourad Merzouki pour créer avec toutes ces pistes un monde onirique et étonnant, tout comme un show efficace et grand public – et qui s’assume comme tel – conçu sur mesure pour l’immensité du Grand-Théâtre antique de Lyon. De quoi démarrer sur une note fortement séduisante la saison des festivals d’été. 

Folia de Mourad Merzouki

Le mélange des genres, Mourad Merzouki n’en est pas à son coup d’essai. Il mêlait le sport et le combat au hip hop dans Boxe Boxe, ou mélangeait danse et numérique dans Pixel. Le duo de base de Folia : la musique baroque et la danse hip hop qui partagent le principe de la boucle, le loop. On parle ici de musiques savantes, mais aussi de celles qui font danser et qui emportent, comme la tarentelle ou les chaconnes. La Folia est d’ailleurs une danse apparue au XVe siècle, probablement au Portugal même si c’est en Espagne qu’elle s’est développée, et qui a inspiré de nombreux compositeur.rice.s. Pour cette partition, Mourad Merzouki a travaillé main dans la main avec Franck-Emmanuel Comte, chef du Concert de l’Hostel Dieu, un ensemble de musique baroque de Lyon, qui a rajouté une base d’électro sur la musique originale. Une idée qui peut faire grincer des dents (la musique baroque n’a en soi pas besoin de ça pour rester moderne), mais qui fonctionne diablement bien pour donner une énergie et une percussion irrésistiblement contaminantes au spectacle.

Car c’est bien ce qui frappe dans Folia : cette facilité qu’a le spectacle de nous prendre par la main et de nous emmener ailleurs dès les premières secondes. C’est là l’une des marques de fabrique de Mourad Merzouki. Sans renier une danse complexe et élaborée, il sait monter des spectacles grand public, de ceux qui vont plaire du premier coup d’oeil et au plus grand nombre, aussi bien par des petites facilités de mise en scène que par un vrai talent et une ingéniosité à créer un univers à part, ici onirique avec une pointe de fantastique, où le baroque l’est au sens propre comme au figuré. Les 17 danseurs et danseuses arrivent seul.e.s en scène, avant que les musicien.ne.s apparaissent en fond de plateau un peu plus tard presque par illusion ou dans de grandes boules lumineuses. La sphère est au coeur du début du spectacle. Les artistes sur scène semblent comme jongler avec de drôles de planètes, avant de protéger la Terre dans une sorte de danse-jonglage d’une grande beauté, jusqu’à ce que cette sphère bleue explose entre leurs mains. Le chorégraphe se défend de faire un spectacle écolo, même si Folia peut être aussi vu comme « la folie des êtres humains face au monde qui l’entoure« . 

Folia de Mourad Merzouki

Les saynètes se suivent avec efficacité et mélanges des genres, sans oublier cette atmosphère onirique qui tient le fil rouge entre tous ces personnages et ambiances. La danse hip hop du début se teinte d’acrobatie, un véritable agrès de cirque fait d’ailleurs son apparition, utilisé d’abord d’une façon un peu trop déjà-vu avant de se transformer en un tout autre terrain de jeu. Une danseuse aux mouvements plus flamenco donne l’échange à un duo contemporain, avant l’entrée en scène de deux danseuses sur pointes. Si l’utilisation (certes minime) de la gestuelle classique ne convainc pas (un grand jeté, c’est fait impeccablement ou ça ne se fait pas), l’utilisation de la pointe par Mourad Merzouki intrigue et titille. S’il semble encore au début de sa recherche sur cette technique, il arrive déjà à lui donner un twist, une énergie nouvelle, quelque chose que l’on ne voit pas habituellement. Quoi de plus logique finalement que de travailler la pointe pour un chorégraphe hip hop, tant sa technique se sert aussi parfois de l’élévation sur la pointe de ses baskets ? Il serait intéressant en tout cas de voir Mourad Merzouki travailler avec de véritables danseuses classiques dans cette veine. 

Musiciens et danseur.ses.s restent un peu plus chacun de leur côté, sauf la chanteuse qui se glisse souvent parmi eux.elles. Leur lien se fait par la véritable musicalité de la danse, qui prend tout son rythme et son énergie dans cette drôle de partition. C’est aussi ce qui fait que le mixe des genres, qui pourrait vite faire fourre-tout, fonctionne aussi admirablement. Le tout provoque quelque chose de fondamentalement et formidablement entraînant, d’autant plus que le spectacle a été conçu pour l’immensité du lieu, pour parler jusqu’au fin fond du dernier rang. Et c’est bien là le point fort du spectacle : savoir vous entraîner. Peut-être que cela est parfois facile et déjà-vu, comme la tenue de la chanteuse sous forme d’une immense robe qui l’avale. Mais cette énergie et cet émerveillement vous chopent même si vous percevez les petits trucs de mise en scène. Folia surprend visuellement, émerveille aussi par l’émotion qui vous prend quand la danse exulte – un derviche tourneur termine le spectacle, ce n’est pas pour rien. Quant au final, le spectacle est aussi dans la salle, à voir les plus de 2.500 personnes de ce superbe Grand-Théâtre se lever pour une bruyante standing-ovation. 

Folia de Mourad Merzouki

 

Folia de Mourad Merzouki au Grand-Théâtre de Fourvière, dans le cadre des Nuits de Fourvière. Conception musicale Franck-Emmanuel Comte. Avec Nedeleg Bardouil, Salena Baudoux, Kader Belmoktar, David Bernardo, Marion Blanchot, Sarah Bouyahyaoui, Mélissa Cirillo, Sabri Colin, Joseph Gebrael, Sofiane Felouki, Pauline Journe, Mélanie Lomoff, Nassim Maadi, Anthony Mezence, Manon Payet, Kevin Pilette et Yui Sugano (danse), David Bruley, Franck-Emmanuel Comte, Reynier Guerrero, Nicolas Janot, Nicolas Muzy, Heather Newhouse (soprano), Florian Verhaegen et Aude Walker-Viry (musique). Vendredi 1er juin 2018. Les Nuits de Fourvière continuent jusqu’au 28 juillet.

 

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