Danser Bach au XXIe siècle – Ballet du Rhin
Reprendre Bach pour une soirée mixte néo-classique/contemporaine est somme toute assez banal : le compositeur se marie bien avec la danse, sous toutes ses formes, et sa musique reste source d’inspiration pour de nombreux.ses chorégraphes. Le Ballet du Rhin ne fait cependant pas comme tout le monde, avec un thème certes souvent vu, mais un résultat original, entre trois chorégraphes que l’on voit peu en France mais une vraie cohésion pour l’ensemble de la soirée. Le programme Danser Bach au XXIe siècle est ainsi à l’image de la direction artistique de Bruno bouché : plus qu’aligner des noms, pensons d’abord à ce qui fait sens. Comment un.e chorégraphe d’aujourd’hui s’inspire de la musique de Bach reste le fil rouge, pour un résultat revigorant.
Les triple bill sont faciles à programmer, encore faut-il un habile mélange pour que les différentes pattes des chorégraphes invité.e.s se répondent les uns les autres. Danser Bach au XXIe siècle prend ça par une pirouette en considérant comme un tout les trois pièces de la soirée : Tribulations de Martin Chaix, Bless-ainsi soit-IL de Bruno Bouché et Partita de Thusnelda Mercy. Il n’y a ainsi ni précipité ni entracte entre chaque pièce, et qui se lient par un habile jeu de scénographie – un large plateau blanc qui bouge en fonction des besoins de chaque oeuvre. Plutôt qu’un programme mixte, cela donne ainsi l’impression de voir les trois actes d’une seule et unique pièce, même si les styles chorégraphiques proposés sont tous azimuts.
Pour démarrer, il faut les bases. Le premier acte, Tribulations de Martin Chaix, se forme ainsi sur la technique classique pour une pièce très structurée et virtuose pour sept danseuses, dans le plus pur style néo-balanchinien. La chorégraphie est diabolique de précision, aussi bien dans sa technique que dans les placements de l’ensemble, ne devant souffrir d’aucune approximation ni hésitation. Elle se joue de la musique de Bach, de la fugue et du contrepoint, s’appuie sur la partition sans n’en devenir qu’une simple illustration. Au-delà des ensembles allant souvent à toute vitesse, Tribulations offre aussi de très beaux solos féminins, notamment celui de Dongting Xing, où chacune a de quoi montrer sa personnalité artistique. Pour ce soir de première, les interprètes semblaient encore un peu dans la retenue techniquement, il manquait cette petite prise de risque qui donne tout le piquant à ce genre de pièce, mais cela semblait plus être une question de rodage. Tribulations, une création, a cependant toutes les qualités pour devenir un classique du nouveau répertoire du Ballet du Rhin. Martin Chaix ne révolutionne en effet pas la pointe, mais sa pièce sait habilement utiliser toutes les subtilités de la technique classique pour proposer une pièce nourrissante, aussi bien pour ses interprètes que pour le public.
Changement d’ambiance pour la deuxième pièce et l’entrée au répertoire du duo Bless-ainsi soit-IL de Bruno Bouché. Ou plutôt du trio, le pianiste jouant la Chaconne en ré mineur étant sur scène. L’inspiration vient ici non seulement de la musique de Bach, mais aussi de la Lutte de Jacob avec l’Ange de Delacroix. Qui est l’homme ? Qui est l’ange ? Y a-t-il d’ailleurs un vainqueur à la fin de la partie ? Bless-ainsi soit-IL est un superbe duo masculin (même si en soi les rôles sont unisexes), tout en force et en subtilité, occupant tout l’espace malgré finalement peu d’outils scéniques. Si la pièce est une entrée au répertoire, elle a été créée en 2010 et a déjà vécu. L’on sent ainsi une oeuvre à maturité, qui s’est transformée et nourrie de ses différents interprètes. L’on sent aussi que Bruno Bouché a l’habitude de la transmettre. Et si Tribulations portait une nouveauté un peu fraîche, Bless-ainsi soit-IL donne l’impression d’être déjà complètement intégré au Ballet du Rhin, alors qu’il s’agissait d’une première. Les interprètes n’ont pas non plus été choisi au hasard : Thomas Hinterberger et Alexandre Van Hoorde sont deux piliers de la compagnie, à la personnalité artistique forte, tandis que le pianiste Maxime Georges est l’accompagnateur de leurs cours de danse de la troupe. Une jolie nouveauté pour la troupe, que l’on imagine là encore se transmettre naturellement au fil des années.
Partita de Thusnelda Mercy, troisième acte de la soirée, est finalement le plus déstabilisant. Non pas par le genre utilisé, le théâtre dansé, mais par sa construction. Après deux pièces très dansées, l’apparition de dialogues ou de chant surprend avec une très (trop) longue introduction, où le décor prend lentement (très lentement) une autre place en scène. L’oeuvre est personnelle, mais l’on cherche cependant un peu trop le lien avec Bach. Si dans les deux oeuvres précédentes, la musique du compositeur était au centre de la danse et de l’inspiration, elle n’apparaît ici que par petites touches éparses, noyées dans de multiples autres références. Le lien avec ce qui précède se fait par la scénographie, mais le contenu en lui-même reste obscur, comme si la chorégraphe avait un peu trop tiré sur le fil rouge du contrepoint, jusqu’à la perdre. Partita garde cependant quelques moments séduisants, grâce surtout aux interprètes du Ballet du Rhin qui se débrouillent plutôt pas mal dans cet exercice du théâtre dansé, à chanter a cappella ou à se lancer en beatbox. Une compagnie décidément aux multiples talents, que l’on se réjouit déjà de voir dans l’éclectique saison prochaine de la troupe.
Danser Bach au XXIe siècle par le Ballet du Rhin au Théâtre de la Sinne de Mulhouse. Tribulations de Martin Chaix, avec Julia Bergua Orero, Ana-Karina Enriquez-Gonzalez, Stéphanie Madec-Van Hoorde, Céline Nunigé, Alice Perñao, Alessa Rogers et Dongting Xing ; Bless-ainsi soit-IL de Bruno Bouché avec Thomas Hinterberger et Alexandre Van Hoorde ; Partita de Thusnelda Mercy avec Monica Barbotte, Erika Bouvard, Susie Buisson, Marin Delavaud, Nicholas Jones, Misako Kato, Pierre-Emile Lemieux Venne, Jesse Lyon, Anna-Maria Maas, Francesca Masutti, Jean-Philippe Rivière, Marwik Schmitt, Valentin Thuet et Hénoc Waysenson. Jeudi 17 mai 2018. À voir jusqu’au 16 juin à la Salle Jean-Pierre Ponnelle de Strasbourg.