TOP

Cette semaine au cinéma… Coppélia par le Bolchoï et Le Lac des cygnes au Royal Ballet

Le ballet au cinéma… L’avenir ? Alors que l’offre de danse classique se raréfie sur les scènes françaises, les balletomanes ont pu se délecter de deux retransmissions en direct de deux ballets du répertoire académique interprétés par des compagnies de renommée mondiale. À Moscou, le Ballet du Bolchoï a dansé, avec sa légendaire fougue communicative, Coppélia dimanche 10 juin alors qu’à Londres, le Royal Ballet présentait un nouveau Lac des Cygnes mardi 12 juin.

Coppélia de Sergueï Vikharev – Ballet du Bolchoï

Coppélia… Le nom délicieusement désuet de ce ballet résonne comme la ritournelle d’une petite boîte à musique d’antan, avec sa fameuse ballerine qui élance son arabesque en promenade. Créé à Paris en 1870, le ballet est voué à l’oubli, victime d’un contexte malheureux. Sur le plan esthétique, il a pourtant le mérite d’opérer la synthèse du romantisme, emblème du siècle qui s’achève. On y retrouve des citations de l’acte villageois de Giselle, de l’esprit de La Sylphide avec cette femme idéale, nécessairement irréelle, objet du fantasme d’un homme sur la voie du mariage. On découvre aussi une héroïne espiègle ainsi qu’une fin heureuse, où l’amour finit par triompher, qui rappellent La Fille mal gardée. Ballet comique, un genre qui prend difficilement à l’Opéra de Paris, Coppélia reprend vie en Russie sous la houlette de Marius Petipa et revient à Paris au XXe siècle sans gagner ses lettres de noblesse.

Pour clore la saison des retransmissions au cinéma, le Ballet du Bolchoï s’est illustré dans ce qu’il fait le mieux : le spectacle populaire. Spécialiste des œuvres présumées muséales, Sergei Vikharev a offert une reconstruction de Coppélia (selon Marius Petipa) au Bolchoï en 2009 : un conte rural qui peut faire écho au réalisme socialisme imprimé dans la mémoire de la troupe. De l’inquiétante étrangeté d’Hoffmann, dont le livret se réclame, il ne reste rien, si ce n’est l’univers plutôt fantastique de la maison de Coppélius, dans lequel on plonge avec délice à l’acte II. Katerina Novikova annonçait franchement la couleur (folklorique) du ballet, accueillant le public dans une tunique traditionnelle russe, coiffée comme une héroïne de Tchekhov. Les danses de caractère s’annonçaient à juste titre comme un moment fort du ballet : pétulantes mazurkas et czardas ont rythmé le premier acte avec entrain.

Héroïne inattendue de la soirée, Margarita Shrainer (une des égéries de la « génération Makhar Vaziev ») campe une Swanilda au visage mutin, à la danse vive et au jeu limpide. Sa technique solide sans fioriture et sa danse franche s’inscrivent dans la pure tradition de la maison. Artëm Ovcharenko offre un fiancé plus réservé, son rôle étant pensé pour ne pas éclipser l’intrépide Swanilda. Les ensembles, réglés comme une horloge (l’œuvre de Coppélius ?), ont fait merveille dans le dernier acte, un pur divertissement dans la tradition du XIXe siècle. On ressort des trois heures de spectacle l’esprit léger et le cœur bondissant. Le cinéma ne fait pas écran au spectacle vivant.

Coppélia de Sergueï Vikharev – Ballet du Bolchoï (avec Ekaterina Krysanova)

À l’Ouest, c’est le nouveau Lac des cygnes commandé à Liam Scarlett par le Royal Ballet qui monopolisait l’attention des balletomanes. Se réclamant à la fois de Marius Petipa-Lev Ivanov (1895) et des intentions présumées de Tchaïkovsky, au risque d’embrouiller les esprits, cette nouvelle version ne révolutionne ni la chorégraphie ni le livret. Son style s’avère inclassable : ce n’est pas une reconstruction, ce n’est pas une relecture moderne, ce n’est pas non plus une anglicisation franche de l’oeuvre. Ce Lac des cygnes semble en réalité emprunter à diverses influences derrière l’ambition de restituer l’essence originale du ballet. En cela, l’approche melting-pot a quelque chose de très britannique et à plus forte raison londonien.

Ce Lac des cygnes recèle pourtant de pures merveilles. Il brille d’abord par la beauté de sa scénographie. Le travail de John Macfarlane à l’acte III, en particulier, est d’un raffinement notable. Exit les châteaux clinquants de carton-pâte, le mauvais goût rococo, ce décor éclectique, avec ses candélabres fin de siècle et ses colonnes imposantes, dignes du Palais Garnier, offre un royaume terrestre envoûtant à Siegfried. Mais les actes blancs, d’inspiration wagnérienne paraît-il, constituent un exutoire plus fascinant encore. Le monde onirique des cygnes est stylisé a minima, un clair de lune inspiré du romantisme noir baignant la scène d’une mélancolie ambrée. Les décors, plus abstraits, sont d’une modernité bienvenue. Évocateurs sans être premier degré, ils nous épargnent la dimension « conte de fée » de certains Lac des cygnes de mauvaise facture.

 Le Lac des cygnes de Liam Scarlett – Royal Ballet de Londres

Certaines « trouvailles » autoproclamées de ce Lac des cygnes ne sont pas sans rappeler les particularités de la version que Rudolf Noureev a créée pour le Ballet de l’Opéra de Paris, voire d’autres versions antérieures. Le prologue figurant la métamorphose, la dualité du personnage de Rothbart ne sont pas des innovations ; elles ne sont pas plus des références à la version de Marius Petipa-Lev Ivanov. La fin tragique des deux héros et le triomphe des forces du mal semblent davantage être inspirés de la version originale de 1877 ou des versions qui ont fleuri au XXe siècle (Rudolf Noureev, Youri Grigorovitch, par exemple). La pantomime de rencontre entre Odette et Siegfried, elle, est certainement un vestige de 1895. Le dernier pas de deux d’Odette et de Siegfried par contre est un ajout, sublime, du chorégraphe. Il reprend l’adage du premier acte blanc pour le muer en lente agonie blanche : Odette, mourante et résignée, fait trembler ses ailes de désespoir.

Couple star de la compagnie, Vadim Muntagirov (Vadream, pour les intimes) et Marianela Núñez portent l’histoire sans faillir. Il manque peut-être à Vadream cet air tourmenté, torturé même, qui fait les grands princes du Romantisme chorégraphique. Marianela Núñez semble plus à son aise en Cygne noir, par son attaque et son aplomb, qu’en Cygne blanc, qui requiert plus de fragilité et de lyrisme. Le corps de ballet, s’il n’a pas l’unité bien connue de celui du Bolchoï, vibre d’une danse vivante, très peu « papier peint », qui donne une tonalité fort actuelle à l’ensemble. C’est peut-être ça, un Lac des cygnes contemporain.

 Le Lac des cygnes de Liam Scarlett – Vadim Muntagirov et Marianela Nuñez

 

Coppélia de Sergueï Vikharev par le Ballet du Bolchoï, avec Margarita Shrainer (Swanilda), Artem Ovcharenko (Frantz) et Alexei Loparevich (Coppélius). Dimanche 10 juin 2018en direct avec Pathé Live ; Le Lac des cygnes de Liam Scarlett par le Royal Ballet de Londres, avec Marianela Nuñez ( Odette/Odile), Vadim Muntagirov (Prince Siegfried), Elizabeth McGorian (The Queen), Bennet Gartside (Von Rothbart) et Alexander Campbell (Benno). Mardi 12 juin 2018 en direct au cinéma.

 

Commentaires (1)

  • MUC

    Je n´ai pas trop aimé l´acte 3 où les décors magnifiques « rétrécissent » trop la scène. Je n´ai pas non plus été emballée par les costumes, trop sombres. Je suis d´accord avec vous et ai prèféré Marinella Nunez en cygne noir. Sur mon programme il y avait un appel aux dons où 5 livres permettent l´achat de rubans pour les pointes……c´est vrai que j´ai été pour le moins surprise en voyant les chaussons de certaines danseuses et en particulier ceux d´une des soeurs !

    Répondre

Poster un commentaire