Tel-Aviv Fever – Ballet du Capitole
On croyait avoir fait ses adieux au Ballet du Capitole pour cette saison après le superbe programme Roland Petit. Mais sans prévenir, Kader Belarbi, en collaboration avec le Théâtre Garonne de Toulouse et Montpellier Danse, a ajouté en plein coeur de l’été une soirée supplémentaire confiée à trois chorégraphes israéliens : Roy Assaf, Yasmeen Godder et Hillel Kogan. Présentée sous le patronage de l’année France-Israël, cette soirée baptisée Tel-Aviv Fever a le double avantage de nous faire découvrir des chorégraphes que l’on a encore peu vu en France et de nous montrer le Ballet du Capitole s’exercer avec succès à un autre vocabulaire et un autre style.
La première avait failli être compromise, des associations pro-palestiniennes se sont en effet activées pour tenter de faire échec à ce programme. Tout d’abord en placardant des bandeaux indiquant « Spectacle annulé » sur toutes les affiches disposées à Toulouse. Et le soir même de la représentation en organisant une manifestation bruyante obligeant les pouvoirs publics à fermer les rues alentour et à mettre en place un imposant dispositif policier pour s’assurer qu’aucun manifestant ne parviendrait à s’immiscer dans la salle. Ces manifestants furent tenus en échec bien que les premières minutes du spectacle aient été pollués par les sifflets venus de la manifestation. Le Directeur du Théâtre Garonne, Jacky Ohayon et celui du Ballet du Capitole Kader Belarbi ont fait une déclaration liminaire sobre mais bienvenue pour rappeler qu’ils s’opposaient à toute censure. Que dire d’autre en effet !
Dans ce contexte un peu lourd, la première pièce de la soirée, Adam de Roy Assaf était plus que bienvenue. D’abord parce qu’elle regorge d’humour. On a vu Roy Assaf en France, danser dans la compagnie d’Emanuel Gat avant d’être son assistant. Il y a quatre ans, Benjamin Millepied lui avait commandé une pièce pour le L.A. Dance Project. Depuis 2010, il est artiste associé de la compagnie néerlandaise NND basée à Groningen. Il y a deux ans, Ohad Naharin lui a demandé une pièce pour la Batsheva Dance Company. C’est cette oeuvre, Adam, que Roy Assaf a recréé avec sept danseuses et quatre danseurs du Ballet du Capitole. Faut-il y voir une référence biblique ? Cela démarre en silence par une série d’allers et venues des 11 artistes, qui tour à tour sont au centre de l’attention, se font caresser, reçoivent parfois des coups, chutent, tout cela avec vigueur mais sans violence, davantage comme une recherche d’animalité alors que toutes et tous sont en justaucorps couleur chair. Ce n’est pas faire injure à Roy Assaf que de constater qu’il y a dans son travail, sinon des citations, du moins des évocations de celui d’Ohad Naharin sans que cela ne soit gênant le moins du monde. Roy Assaf ne copie rien, il a juste joliment intégré dans sa chorégraphie les éléments de style qui sont la ligne de force de la Batsheva et d’Ohad Naharin.
Sur scène, il transparait qu’il a étroitement travaillé avec les danseur.se.s du Ballet du Capitole qui se sont affrontés à cette oeuvre très éloignée de leur zone de confort. Car une fois passée cette première séquence débute un autre ballet où l’on en vient au différentes parties du corps : montrées, touchées, mimées au besoin par les artistes en allant de plus en plus loin dans les détails anatomiques. C’est hilarant mais pas seulement ! Cette exploration du corps humain (Adam ?) donne lieu à une course folle où chacune et chacun s’emparent d’une phrase chorégraphique répétée ad libitum à mesure que la lumière du plateau s’estompe. Ils/Elles se croisent, se frôlent dans jamais aucune collision. Cet art de la géométrie que développe Roy Assaf est fascinant et il livre avec Adam une fantaisie chorégraphique épatante.
Yasmeen Godder a elle aussi créé pour la Batshveva Dance Company avant d’ouvrir son propre studio en Israël. Son registre est bien différent et plus déconcertant. La chorégraphe a choisit d’écrire un solo de 18 minutes Mighty Real alternativement interprété par deux danseuses, Kayo Nakazato qui assurait la première et Ichika Maruyama. Toutes les deux ont fait le voyage à Jaffa pour mettre au point ce solo presque sans musique. Quand le rideau s’ouvre, Kayo Nakazato est déjà à l’avant-scène, côté jardin dans une tenue vestimentaire qui casse les codes habituels attachés à une danseuse. Pieds nus, en short, revêtue d’un peignoir, Yasmeen Godder semble refuser toute forme d’élégance à priori. Elle parait davantage intéressée par le corps féminin tel qu’il se dévoile dans une course effrénée d’un bout de la scène à l’autre émaillée de cris ou de gémissements qui confèrent à cette pièce une atmosphère sombre, presque douloureuse. Peut-être faut-il chercher la clef de cette oeuvre intrigante dans le titre Mighty Real que l’on pourrait traduire par « Réellement intense » ? Kayo Nakazato se livre sans détours dans ce solo et son charisme sur le plateau subjugue malgré les points d’interrogations qui subsistent lorsque le rideau s’abaisse.
Hillal Kogan, dernier chorégraphe de ce Tel-Aviv Fever, n’aime pas qu’on l’associe systématiquement à Ohad Naharin dont il fut l’assistant durant 11 ans et qui continue à enseigner sa technique dite « gaga ». Voilà en effet plus de 20 ans qu’il créé ses propres chorégraphies. Il s’en amuse avec gourmandise dans Stars and Dust qu’il a créé spécifiquement pour le Ballet du Capitole. Et il sait être à la fois bavard et drôle lorsque dés le début du spectacle, il dialogue avec son assistante Sharon Zuckerman Weiser, faisant la lecture du programme et de la courte biographie qui lui est consacrée. Puis, c’est la page internet du Ballet du Capitole qui est projetée sur grand écran en fond de scène alors que le chorégraphe et son assistante analyse avec finesse et drôlerie la photo de Kader Belarbi qui surplombe sa notice biographique. Une manière d’annoncer sa méthode de travail à la découverte d’une compagnie classique dont il ignore tout ou presque.
On parle beaucoup dans Stars and Dust, y compris les trois danseuses ( Olivia Lindon, Solène Monnereau et Juliette Thélin) et les trois danseurs (Simon Catonnet, Minoru Kaneko et Philippe Solano) dont l’âge, l’origine géographique et la hiérarchie dans la compagnie sont successivement déclinés avant d’entrer dans des détails plus intimes sur leurs vie privées ! Suivent 20 minutes des plus loufoques, Hillel Kogan faisant appel aux souvenirs des artistes et à leur savoir-faire académique. On a droit à une descente des Ombres désopilante, les trois danseuses répétant cette chorégraphie fameuse de Marius Petipa tout en proposant un résumé de La Bayadère pas faux mais peu orthodoxe, où Solor se came à l’opium pour oublier sa couardise envers Nikya. Et les trois danseuses de s’interroger l’une et l’autre pour savoir si elles ont déjà fumé de l’opium… ou autre chose ! Elles finiront par revenir clope au bec, déchainant l’hilarité générale. Il y a dans Stars and Dust un esprit potache où Hillel Kogan prend le parti d’en rire tout en offrant aux danseur.se.s de beaux moments chorégraphiques, à plusieurs ou en solo, mettant à profit leur technique classique. C’est un pièce qui ne se prend pas au sérieux mais le fait très sérieusement !
Cette soirée impromptue et élaborée à toute allure par Kader Belarbi est une belle histoire réussie de rencontres et de regards croisées entre une compagnie classique française et des chorégraphes israéliens. Le résultat est parfois déconcertant mais Tel-Aviv Fever donne à voir la santé et l’énergie insolente de la danse israélienne et l’excellence du Ballet du Capitole capable de s’emparer d’un nouveau style pour le faire sien.
Tel-Aviv Fever par le Ballet du Capitole au Théâtre Garonne de Toulouse. Adam de Roy Assaf avec Virginie Baïet-Dartigalongue, Dafne Barbosa, Manon Cazalis, Louise Coquillard, Raphaëlle Gault, Yuki Ogasawara, Tiphaine Prévost, Martin Arroyos, Lien Geslin Vinck, Jérémy Leydier et Nicolas Rombaut ; Mighty Real de Yasmeen Godder avec en alternance Kayo Nakazato et Ichika Maruyama ; Stars and Dust de Hillel Kogan assisté de Sharon Zuckerman Weiser avec Olivia Lindon, Solène Monnereau, Juliette Thélin, Simon Catonnet, Minoru Kaneko et Philippe Solano. Vendredi 22 juin 2018. À voir jusqu’au 28 juin, puis à Montpellier Danse les 2 et 3 juillet.