[Montpellier Danse] Xenos, le bouleversant requiem d’Akram Khan
Akram Khan revient avec un nouveau solo, « le dernier« , dit-il. Xenos – l’étranger en grec – pièce sombre et magistrale dévoile une facette inconnue du chorégraphe britannique qui assimile cette création à son cheminement artistique le plus personnel. S’il promet d’apparaitre encore dans ses propres pièces, Xenos est malgré tout le spectacle de SA tournée d’adieu qui le mènera autour du monde, de Shanghaï à Athènes, et cet été à Montpellier Danse. Danseur virtuose, maitre du kathak classique, Akram Khan referme avec brio un des plus beaux chapitres de la danse contemporaine de ces vingt dernières années.
Xenos est aussi un paradoxe. C’est originellement une pièce de commande à la demande de 14-18NOW fondé par le Conseil des Arts britannique, afin de susciter des oeuvres artistiques dédiées au devoir de mémoire de la Première Guerre mondiale, à l’occasion du centenaire de l’armistice. Akram Khan a voulu saisir l’occasion pour à la fois raconter une histoire qui lui tient à coeur et se présenter une ultime fois seul devant le public. Cette histoire, c’est celle des soldats oubliés de la Première Guerre mondiale, ces 4 millions d’hommes de l’Empire colonial britannique. Et parmi eux, un million et demi venus des régions pauvres d’Inde du Nord, exilés pour combattre sur un continent européen dont ils ignoraient tout, au nom d’une cause improbable. L’histoire officielle les a longtemps occultés. Akram Khan se saisit de cette histoire douloureuse pour en faire une parabole sur la crainte de l’étranger, la violence, la mémoire et la mort. Le danseur-chorégraphe ne quitte donc pas la scène sur une note légère, bien que ce récit soit aussi destiné à l’espoir d’une rédemption.
Akram Khan a toujours été attaché à l’idée de spectacle total. Avec Xenos, il partage la scène avec cinq musicien.ne.s et chanteurs dont deux sont déjà sur scène lorsque le public entre dans la salle, interprétant une musique composée par Vincenzo Lamagna. La scénographie de Mirella Weingarten dessine un cadre beau et intriguant fait d’un vaste plan incliné d’où tombent d’épaisses cordes, alors que sont disposés sur scène des chaises vides. Akram Khan entre sur le plateau en costume indien traditionnel, presque en catimini comme hagard, perdu et titubant, projeté subitement dans un univers étranger et hostile. Il se lance alors dans une danse kathak éperdue et d’une beauté extatique composée de mouvements de bras sublimes, chutant à terre comme terrassé par le monde alentour. Il s’accroche aux cordes alors que le plan de fond de scène s’incline de plus en plus jusqu’à devenir une montagne à franchir. Akram Khan en fait l’ascension péniblement, disparait et revient vêtu cette fois de ce qui ressemble bien à un uniforme. Débute une longue séquence sur la ligne de crête de cette montagne qui pourrait tout autant figurer une tranchée. Il s’y déplace soumis au bruit et la fureur de la mitraille, tentant sans cesse de se relever. Les musiciens et chanteurs apparaissent de temps à autres, surplombant la scène dans des écrins magnifiquement éclairés par Michael Hulls. Akram Khan entame une performance physique exceptionnelle et bien qu’il affirme que son corps aujourd’hui « s’est fermé » et que la création de Xenos fut « une bataille intérieure« , sa danse est au sommet. Une heure durant, il sait exprimer avec ce corps la lutte pour la survie, les défaillances, la peur de la mort et la mort qui vient malgré tout.
Après avoir combattu, il est presque obligé de rendre les armes quand se déverse du haut de la montagne des monceaux de terre qui menacent de l’engloutir. Akram Khan revient torse nu, à bout de forces pour cette dernière scène qui laisse pétrifié. Xenos n’est pas une pièce divertissante: c’est un spectacle bouleversant qui plonge tout à la fois dans l’intime de l’être humain et dans notre histoire collective.
L’immense salle du Corum de Montpellier s’est levée à l’unisson pour ovationner Akram Khan. C’était comme une évidence. Même si son travail de chorégraphe se poursuivra et nous consolera de son absence sur scène, il nous fait déjà défaut. Il y a tant de souvenirs attachés à Akram Khan : son précédent solo DESH, son partage de la scène avec Sidi Larbi Cherkaoui, Israel Galván, Juliette Binoche et bien sur Sylvie Guillem pour qui il a écrit le génialissime Sacred Monsters. Après Montpellier Danse, Akram Khan reprendra la route avec Xenos pour un tour du monde qui devrait passer l’an prochain par Paris.
Xenos conçu et dansé par Akram Khan au Corum Montpellier Danse. Avec les musiciens et musiciennes Nina Harries, Andrew Maddick, B C Manjunath, Tamar Osborn et Aditya Prakash. Mercredi 27 juin 2018. À voir en tournée mondiale la saison prochaine. Montpellier Danse continue jusqu’au 7 juillet.