[Montpellier Danse] – William Forsythe par la Compañia Nacional de Danza
Pour sa venue à Montpellier Danse, la Compañia Nacional de Danza proposait un programme entièrement dédié à William Forsythe. Trois pièces étaient ainsi au programme : The Vertiginous Thrill of Exactitude (1996), Artifact Suite (2004) et Enemy in the Figure (1989). Soit une soirée bien calibrée montrant l’étendue du style du maître américain et concoctée par le directeur de la troupe madrilène José Martinez.
C’était un événement très attendu de Montpellier Danse. Étoile du Ballet de l’Opéra de Paris, José Martinez a repris les rênes de la Compañia Nacional de Danza en 2011. Le danseur appartient à cette glorieuse « génération Noureev » qui aujourd’hui est à la tête de grandes compagnies internationales (Laurent Hilaire, Manuel Legris, Kader Belarbi, Nicolas Le Riche…). José Martinez avait succédé à Nacho Duato qui avait emporté l’ensemble de ses pièces. Ces sept années de travail acharné ont permis de reconstituer un répertoire riche, fondé sur le ballet académique, la danse néo-classique et les nouveaux chorégraphes, notamment espagnols. Le danseur a ainsi réintroduit l’usage des pointes et du vocabulaire classique qui avait été quelque peu délaissé. Depuis le départ de Nacho Duato, la Compañia Nacional de Danza s’est faite rare en France. Ce fut donc un opportunité bienvenue de redécouvrir une troupe presque entièrement renouvelée. On se doutait que Jose Martinez, danseur exceptionnel, prince idéal de l’Opéra de Paris et chorégraphe lui-même avait la talent et l’énergie nécessaires pour faire renaître la compagnie dans un contexte économique très dégradé. Mission réussie au regard de ce programme consacré à William Forsythe que Jose Martinez a beaucoup dansé à Paris. Il avait imaginé au départ faire entrer au répertoire l’ambitieux Impressing the Czar mais pour une question de droits toujours détenus par le Ballet de Dresde, il lui a substitué une soirée en trois parties, techniquement et physiquement exigeantes.
The Vertiginous Thrill of Exactitude est un bref morceau de bravoure, l’hommage de William Forsythe au grands maitres académiques que sont Marius Petipa et George Balanchine. Sur le troisième mouvement de la Symphonie nº 9 de Schubert, il décline tout le vocabulaire classique : arabesques, jetés, tours en l’air, batterie, le tout à un train d’enfer. La pièce est écrite pour trois danseuses en tutus et deux danseurs. Elle exige une virtuosité de tous les instants et fait cohabiter sur scène pas de trois, pas de deux et des solos qui s’insèrent dans la composition générale. Les cinq interprètes de la Compañia Nacional de Danza franchissent assez bien les obstacles techniques même si tout n’est pas parfait. Quelques positions discutables et des déséquilibres à contretemps montrent que la troupe a encore une marge de progression. Mais l’énergie est là ainsi que la gaieté qui nourrit ce « frisson vertigineux de l’exactitude« .
Après ce hors-d’oeuvre délicieux arrive Artifact Suite, une pièce centrale dans l’oeuvre de William Forsythe. Comme son nom l’indique, ce ballet est une version plus courte d’Artifact créée en 1984. 20 ans après, William Forsythe reprend les moments-clefs des trois parties du ballet originel pour en faire une pièce en soi pour 44 danseurs et danseuses. Comme dans The Vertiginous Thrill of Exactitude, William Forsythe utilise tous les codes du ballet classique avec en ouverture un double pas de deux encadré par un corps de Ballet de 30 interprètes sur la célébrissime Chaconne de Bach et sa deuxième Partita pour violon solo. Les deux couples (Lucie Barthélémy/Toby William Mallitt et Aida Badia/Isaac Montllor) se sont parfaitement moulés dans le style du chorégraphe avec ces arabesques penchées émaillées d’hyper-extensions, de déhanchés permanents et de bras tendus mains flex. Artifact Suite est dans la veine du mythique In The Middle Somewhat Elevated. William Forsythe y a conservé la structure du ballet initial où chaque séquence s’achève sur une baisse du rideau qui claque à chaque fois bruyamment sur le sol du plateau. C’est une succession de vignettes chorégraphiques comme un film à sketchs sur un thème commun. La Compañia Nacional de Danza réussit une performance presque parfaite avec des solistes de haut niveau et un corps de ballet à la discipline de fer, capable de réaliser les alignements infernaux imaginer par le chorégraphe avec ces mouvements de bras gymniques en rythme. Pièce envoutante et probablement un chef-d’oeuvre du chorégraphe américain, la compagnie madrilène délivre une interprétation enthousiasmante d’Artifact Suite.
Enemy in the Figure qui clôt la soirée est une pièce plus radicale, la seule qui ne soit pas sur pointes. William Forsythe abandonne là les partitions classiques au profit de son compère Thom Willems. C’est une pièce tout en clair-obscur où la lumière joue un rôle central via un projecteur géant manipulé sur scène par les artistes. Au milieu du plateau est posé un immense écran ondulé, alors qu’une corde agitée par l’un.l’une des onze interprètes sur scène ondule elle aussi. C’est un ballet sur la manipulation des corps, constamment dans la pénombre qui contribue à diffuser une inquiétude constante. C’est aussi une oeuvre en costumes noir et blanc comme un clin d’oeil à George Balanchine que William Forsythe admire tant. Les onze danseuses et danseurs de la Compañia Nacional de Danza y sont remarquables de précision et se confrontent avec bonheur à cette oeuvre complexe et envoutante qui allie folie et frénésie. Ce fut donc un joli point d’orgue pour ce rendez-vous avec le maître du ballet contemporain, merveilleusement servi par la compagnie espagnole, que l’on devrait prochainement revoir en France.
Soirée William Forsythe par la Compañia Nacional de Danza au Corum de Montpellier dans le cadre de Montpellier Danse. The Vertiginous Thrill of Exactitude de William Forsythe, avec Helena Balla, Kayoko Everhart, YaeGee Park, Anthony Pina et Alessandro Riga. Artifact Suite de William Forsythe avec Lucie Barthélémy, Toby William Mallitt, Aida Badia et Isaac Montllor. Enemy in the Figure deWilliam Forsythe, avec Mar Aguilo, Aida Badia, Elisabeth Biosca, Sara Fernandez Lopez, Agnès Lopez Shani Peretz, Esteban Berlanga, Erez Ilan, Niccolo Balossini, Alessando Riga et Daan Vervoort. Samedi 30 juin 2018. Montpellier Danse continue jusqu’au 7 juillet.