[30 ans Arte Flamenco] La espina que quiso ser flor, o la flor que soñó con ser bailaoral – Olga Pericet
Chaque été depuis 30 ans maintenant, Mont-de-Marsan vibre une semaine d’été au son du flamenco avec le festival Arte Flamenco, réunissant un peu partout dans la ville danseurs et danseuses, musiciens et musiciennes de toutes les générations. On y célèbre le flamenco dans toute sa grande tradition et histoire, mais aussi dans toute sa modernité, avec ces artistes qui le poussent au XXIe siècle, le mixe à d’autres genres, le font évoluer. L’édition anniversaire d’Arte Flamenco, qui se tient du 2 au 7 juillet, se voulait donc éclectique. Les festivités ont démarré avec la grande et unique María Pagés, elles ont continué avec la plus jeune Olga Pericet. Son spectacle, La espina que quiso ser flor, o la flor que soñó con ser bailaoral, a été créé pour l’anniversaire du festival. La danseuse y part du flamenco classique, sa base. Puis elle le déconstruit, le théâtralise, l’interroge pour mieux le retrouver dans une version brute et affûtée. La modernité des traditions, le genre, la place de la femme, la théâtralisation… Olga Pericet a voulu évoquer beaucoup de choses dans ce spectacle, un peu trop d’ailleurs. Mais sa nature et sa danse flamboyante, ainsi que son talent pour s’entourer et diriger des artistes extraordinaires, donnent une soirée étourdissante.
Visage rond de poupée (à qui l’on ne donne pas ses 43 ans), cheveux tirés en arrière, robe de tulle comme un tutu et bras en couronne… Quand elle entre en scène l’on pourrait presque prendre Olga Pericet pour une ballerine se lançant dans les quatre Petits cygnes. Entre les sissones, les clés et les ronds de jambe en l’air, sa chorégraphie emprunte d’ailleurs au langage des danses de caractère que l’on retrouve souvent dans les ballets. S’il faut interroger son art, autant le prendre de la base. Les fondamentaux d’Olga Pericet, c’est le flamenco traditionnel et la danse classique, qu’elle n’a aucune envie de renier. Son questionnement dans son spectacle n’est d’ailleurs pas de comment s’en débarrasser, mais comment le danser en tant qu’artiste les deux pieds au XXIe siècle. Pour débuter, elle lâche ainsi tous les pas de danse pour ne garder que la théâtralisation du flamenco, son côté parfois outrancier, pour une sorte de mini one-woman show. Cela part un peu dans tous les sens. La danseuse se sert de talons de chaussures dans ses mains comme percussions, fourre son pantalon de multiples paires. Il y a là l’interrogation du féminin – ah les fameux talons hauts – mais à vrai dire pas grand-chose ne se détache de cette introduction un peu fourre-tout et désordonnée.
Olga Pericet part toutefois très vite dans une autre veine et fait monter sur scène cinq comparses. Alors qu’elle est comme morte allongée sur la table, habillée d’une somptueuse robe rouge sang, deux guitaristes, deux musiciens et un danseur entrent en scène. Pour une veillée funèbre ? Scéniquement, cela peut y ressembler. Mais l’ambiance est joyeuse vibrante. Chacun.e de ses compères développe son talent, pose ses marques par le chant, la guitare ou la danse, entourant la jeune danseuse qui prend des airs de Belle au bois dormant. Et comme Aurore, au réveil, la danseuse n’est plus la même. Elle s’empare du flamenco par le genre, par tous les clichés que portent inlassablement toutes les danses. À elle ainsi l’habit de matador sur sa superbe robe traditionnelle, les gestes bruts, acérés, presque guerrier. À son compagnon une danse sensuelle, tout en bras et en cambrés, accentuée par ses lignes longilignes que ne renierait pas non plus un danseur de ballet. Même chose chez les guitaristes, l’une est une femme à l’allure androgyne.
Olga Pericet se pose finalement toutes les questions que se posent les femmes aujourd’hui : comment ne plus être celle que l’on nous demande d’être. Il serait facile pour elle d’être la danseuse de flamenco ultra-féminine à la danse coulante, elle le fait d’ailleurs d’une manière sublime. Mais Olga Pericet, au fond d’elle, n’est pas forcément comme ça. Ou plutôt elle peut l’être, mais a parfois envie d’être autre chose. Elle peut être cette danseuse tout de rouge, elle peut aussi être la cheffe de bande, celle qui guide dans son habit de matador les cinq autres, qui la dépassent d’une bonne tête. Au fur et à mesure du spectacle, la danseuse enlève tous les attributs féminins du flamenco. Pour finir torse nu, vêtue d’une simple jupe noire. Avec pour seul artifice une danse pure et énergique. Tant pis, à vrai dire, si elle veut dire beaucoup trop de choses en 1h30 – il est drôle ainsi de constater que son spectacle, qui n’est portant pas le premier, a les défauts d’une première oeuvre, celle où l’on veut tout mettre d’un coup. La question du genre soulève de multiples questionnements que l’on ne résout pas en un spectacle. La danseuse montre que le flamenco, comme toute danse, n’évoluera pas forcément en se déconstruisant, mais en laissant les artistes s’en emparer avec ce qu’ils et elles sont. Et qui est Olga Pericet ? Une personnalité percutante, une tornade flamboyante, dont la danse laisse étourdissante de bruits comme de sentiments.
La espina que quiso ser flor, o la flor que soñó con ser bailaoral d’Olga Pericet au Café Cantante, dans le cadre d’Arte Flamenco. Avec Olga Pericet, Jeromo Segura et Miguel Lavi (chant), Antonia Jiménez et Pino Losada (guitare) et Jesús Fernández (danse). Mardi 3 juillet 2018. Arte Flamenco continue jusqu’au 7 juillet.