Le Lac des Cygnes par le Ballet National de Chine (Zhang Jian et Sheng Shidong)
Compte-rendu du Lac des Cygnes de Natalia Makarova par le Ballet National de Chine, compagnie en tournée au Théâtre du Châtelet. Avec Zhang Jian et Sheng Shidong.
Ma mère dit : « Il faut aller au moins une fois par an en Italie, sinon on est en manque« . Je dis pour ma part : « Il faut aller au moins une fois par an voir Le Lac des Cygnes, sinon on est en manque« . Ballet des ballets, répertoire mythique, oui. Et pour une bonne raison : l’acte II, que personne n’ose toucher depuis Petitpa et Ivanov, est un chef-d’oeuvre, un moment unique où danse et chorégraphie ne font vraiment qu’un. Émotion, beauté du geste, pureté… Voilà, la danse, c’est ça.
Le Ballet National de Chine, actuellement en tournée au Théâtre du Châtelet, ne fait pas redécouvrir Le Lac des Cygnes. Il n’y a pas de surprise, il n’y a pas de transformation, il n’y a pas de nouveau regard. Mais il y a un très beau corps de ballet féminin et une Étoile aux longs bras et à la grande présence, qui font que, encore une fois, on se replonge avec régal dans ce ballet 100 fois vu.
Les danseuses ont quelque chose d’anguleux dans les bras. Mais ce détail disparaît très vite devant les ensembles, qui tout en étant tirés au cordeau n’ont rien de mécanique, et respirent la danse. À leur image, Zhang Jian, la supernova de la compagnie, enrobe sa solide technique d’une délicate musicalité. La version de Natalia Makarova ne s’encombre pas de fioriture. Pas de torture psychologique, pas de sous-entendus. C’est une chorégraphie d’une grande pureté, servi par une troupe qui a tout compris à cet état d’esprit.
Mais il n’y a pas que le deuxième acte dans Le Lac des Cygnes. Le premier permet de se familiariser avec la compagnie et de s’amuser au jeu des différences. Les filles semblent très souples. Les garçons sautent mais sans montrer une once de force, ce qui est presque bizarre. Les pieds au sol, le piétinement des pointes, ne font presque pas de bruit. Surtout les bras sont beaucoup plus maniérés qu’à Paris. Personne n’a peur des effets de poignets, sans toutefois y mettre le lyrisme des Russes. Zheng Yu est un bondissant et dragueur Benno. Sheng Shidong (Siegfried) souffre un peu de la comparaison (jusque dans la coupe de cheveux). Le pauvre fait aussi office de figuration dans cette version, Noureev n’a pas eu tort de coller au personnage quelques variations supplémentaires.
Passé le jeu des différences, passée la certaine surprise de voir une troupe chinoise rejouer le fantasme européen de la Renaissance, ce premier acte se laisse voir avec un certain plaisir. Déjà très en place, le corps de ballet féminin se déploie donc vraiment dans l’acte blanc. À défaut de prouesses, Sheng Shidong est un partenaire attentif, sachant mettre en valeur la princesse Cygne Zhang Jian. Il n’y a pas forcément l’émotion du sentiment, le grand amour qui vous colle des frissons. On est plus dans l’émotion du geste, quand la danse et la musique sont vraiment ensemble.
L’acte IV est sur la même longueur d’onde, avec en plus cette mélancolique tristesse qui étreint tous ces cygnes. Cui Kain a le rôle ingrat de Rothbart, mais sait y mettre une certaine théâtralité. Voilà, ça se finit presque bien (les deux amoureux qui se retrouvent dans la mort), la musique tonne (très bien jouée par l’Orchestre National d’Île-de-France)… Et oui, encore une fois, l’on se prend à rester bouché bée devant cette noyade (ce n’est pourtant pas faute de connaître la fin), à frissonner, à y croire. Le Lac, décidément, on ne s’en lasse pas.
Le troisième acte fut toutefois une vraie déception. Les danses de caractère ont été parfaitement exécutées, mais sans esprit. Peut-on reprocher à des Chinois-e-s de ne pas comprendre les danses espagnoles ou italiennes ? L’exportation de l’art a ses limites. Zhang Jian fut aussi – et assez curieusement – décevante en Cygne noir. Le style est là, mais après un pas de deux intéressant, la danseuse a craqué dans la coda et a laissé échapper ses fouettés. C’est de l’ordre du danse addict pointilleux, mais Odile sans ses fouettés de la mort qui tue, ce n’est tout de suite plus pareil.
Le Lac des Cygnes de Natalia Makarova par le Ballet National de Chine, au Théâtre du Châtelet. Avec Zhang Jian (Odette/Odile), Sheng Shidong (Siegfried), Zheng Yu (Benno), Cui Kain (Rothbart) et Li Ning (la Reine-Mère). Mercredi 25 septembre 2013.
Sissi
J’ai eu les mêmes impressions que vous. C’était intéressant de découvrir cette compagnie, les bras sont différents, c’était agréable à regarder même si je n’ai pas ressenti une émotion particulière. J’ai été déçue par le cygne noir car pour moi un grand ballet classique sans les fouettés ce n’est plus un grand ballet classique ! Mais les danseuses ont aussi le droit de faire des erreurs… J’ai hâte de les découvrir dans le détachement féminin rouge.
Estellle
Je m’attendais un peu à ce genre de review. J’ai hâte de lire celle du Détachement rouge, qui m’intrigue bcp plus venant de cette compagnie !
Amélie
@ Estelle : J’y vais ce soir et je suis très curieuse !
@ Sissi : Je pense aussi qu’il s’agit d’une erreur de parcours, tant en Odette elle semblait sûre de la technique. Cette compagnie danse sur des scènes sans pente normalement, celle du Châtelet en a une petite il me semble, peut-être que cela l’a gênée.
petitvoile
Merci de l’avoir vu pour moi ! A propos des fouettés ils ne se font pas toujours, de même que la variation d’Odile a plusieurs versions. Le fait est que Le Lac est hyper long et épuisant et que toutes les Odette Odile n’arrivent pas au bout. A Berlin j’ai vu Sémionova se passer des fouettés et faire une variation 3ème acte soft sans l’entrée avec les tours attitudes. Certaines compagnies partagent même le rôle à deux danseuses.