Ballets de Monte-Carlo – Soirée Joseph Hernandez/Nacho Duato
Pour leur dernier programme de la saison 2017-2018, les Ballets de Monte-Carlo ont misé sur les deux bouts d’une carrière de chorégraphe. D’un côté, l’entrée au répertoire d’une pièce qui a déjà fait le tour du monde – White Darkness – du chorégraphe Nacho Duato à la carrière installée depuis déjà des années. De l’autre une création – The Lavender Follies – de Joseph Hernandez, à peine 30 ans mais nourri aux films et aux ambiances des 70′. Deux pièces forcément à la maturité bien différente, mais qui ont en commun de se servir avec brio de la formidable qualité d’interprète des danseurs et danseuses de la troupe.
Dans sa note d’intention, Joseph Hernandez nous vend un peu du rêve avec The Lavender Follies. « Au fond d’une ruelle sans nom, se trouve un cabaret sans âge. Portes closes et lumières échappées de l’âtre d’une scène poussiéreuse. Rideaux baissés, chaises branlantes et parquet grinçant ; tel l’éternel ronflement des Lavender Follies. Enfin, tous les soirs, les lustres s’illuminent, on lève les toiles, on ouvre les portes. Au son des tambours, le spectacle commence« . Voilà comme l’impression de se retrouver dans un nouveau Cabaret, et ce n’est pas le roulement de tambour ouvrant le spectacle comme celui du film de Bob Fosse qui nous détromperait. Ni même l’ambiance délicieusement 70′, ou sa galerie de personnages mi-burlesques mi-effrayants qui déambulent sur scène sous l’oeil austère de l’imperturbable concierge.
Sur scène, les numéros se succèdent comme une drôle de revue hors du temps, où tout semble permis le temps d’une soirée, côté artiste comme côté public. Le chorégraphe sait formidablement bien faire danser ses interprètes, utiliser leur énergie et leur présence comme leur technique. Il les connaît en fait très bien. Artiste de la troupe pendant quelques années, Joseph Hernandez a fait ses armes de chorégraphes lors des Imprévus, les programmes « Danseurs et danseuses/chorégraphes » de la compagnie. C’est même à cette occasion qu’il a rencontré Yannick Cosso & Jordan Pallages, à l’époque étudiants au Pavillon Bosio de Monaco, les scénographes et costumiers de cette création. Une initiative que l’on ne peut que saluer, et qui montre que ces Imprévus, loin d’être un one-shot, sont aussi la possibilité pour des talents de s’épanouir.
Toutefois, la promesse du début de la pièce ne tient pas complètement. Joseph Hernandez reste finalement bien sage dans ses personnages. L’on aurait d’ailleurs pensé qu’il s’amuserait un peu plus à varier les styles et à mettre ses interprètes un peu plus en danger. Seule Candela Ebbesen déborde vraiment de la danse pour assouvir le fantasme de la chanteuse de revue, micro vintage à l’appui (et une vraie justesse dans la voix, bravo !). The Lavender Follies en manque ainsi un peu, de folie, de surprise. Le chorégraphe tombe aussi dans le piège récurrent des jeunes créateurs, celui de ne pas savoir arrêter une bonne idée à temps. Plus c’est long plus c’est bon, on le répète, ça ne marche pas à tous les coups. À l’inverse, certaines idées théâtrales ne sont pas assez exploitées. L’on attend ainsi longtemps que la concierge revêche délivre ses secrets, mais le personnage ne devient rien de spécial alors que l’on s’attend à quelques surprises. Cette création laisse ainsi un peu sur sa faim. Même s’il est évident que l’imaginaire et la danse de Joseph Hernandez conviennent bien aux Ballets de Monte-Carlo, et amènent à d’autres collaborations.
Créée en 2001 pour la Compagnie Nationale de Danse d’Espagne, passée par le Ballet de l’Opéra de Paris, White Darkness de Nacho Duato a déjà montré son efficacité et sa force, qu’elle n’a pas perdues en arrivant aux Ballets de Monte-Carlo. Au contraire, l’oeuvre trouve avec ces interprètes engagées et d’une grande virtuosité un nouveau souffle. Nacho Duato a imaginé cette pièce suite au décès prématurée de sa sœur ; il y propose un travail ciselé autour du deuil. Il y a beaucoup de références à son histoire personnelle – l’addition de sa soeur à la drogue par exemple – tout en rendant le tout assez abstrait pour en faire avant tout une pièce universelle, où chacun.e s’approprie ses propres images autour de son vécu. La force même des grandes pièces, qui arrivent ainsi à toucher à ce qu’il y a de plus profond en nous. Sur scène, une jeune femme part à la quête de sens, sans succès. Un homme semble vouloir l’attirer dans le droit chemin. Mais ses démons prennent le dessus, la laissant ensevelie sous une pluie de poudre blanche, présente tout au long du ballet. La femme peut aussi représenter l’être endeuillé, qui essaye d’éviter le chagrin en s’étourdissant, avant d’accepter de se laisser submerger par le douleur car il faudra bien y passer pour avancer.
L’ensemble déploie une danse virtuose et acérée, volontairement désincarnée dans l’expression, pour mieux contraster avec le couple très engagé dans les intentions. À ce jeu, Anna Blackwell et Francesco Mariottini y sont magistraux. White Darkness est ainsi une entrée au répertoire qui semble déjà être intégrée par la troupe. Ses talents s’y déploient à merveille dans ce petit bijou.
Soirée Joseph Hernandez/Nacho Duato par les Ballets de Monte-Carlo à l’Opéra Garnier de Monaco. The Lavender Follies de Joseph Hernandez, avec Asier Edeso (Sylvia Von Harden), April Ball (Madame), Francesco Mariottini (L’Assistant de Madame), Maude Sabourin, Kaori Tajima et Taisha-Barton-Rowledge (les Nornes), Benjamin Stone et Simone Tribuna (les Lutteurs), Alvaro Prieto (Charon), Lennart Radtke (Dr Weltschmerz), Candela Ebbesen (la Dame en vert) et Elena Marzano et Cristian Assis (Les Danseurs). White Darkness de Nacho Duato, avec Anna Blackwell et Francesco Mariottini (couple principal), Anjara Ballesteros et Koen Havenith (premier couple), Anissa Bruley et George Oliveira (deuxième couple), Kaori Tajima et Daniele Delvecchio (troisième couple), Alessandra Tognoloni et Christian Tworzyanski (quatrième couple). Jeudi 26 juillet 2018.