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[Le Temps d’Aimer] Marie-Agnès Gillot et Carolyn Carlson – Embers to Embers

C’est un cadeau unique et précieux  que Thierry Malandain a offert pour l’ouverture du Festival Le Temps D’aimer à Biarritz : une carte blanche à Marie-Agnès Gillot qui a investi pour un soir la Gare du Midi sous la direction de sa complice chorégraphe, Carolyn Carlson, avec laquelle elle chemine depuis 15 ans. Soirée exceptionnelle avec une seule représentation conçue comme une phrase ininterrompue d’1h10, autour de cinq séquences. Un moment unique, car bien que leur collaboration soit ancienne, c’était la première fois que les deux Étoiles étaient réunies sur une même scène.

Marie-Agnès Gillot et Carolyn Carlson

On avait quitté Marie-Agnès Gillot après une ultime représentation d’Orphée et Eurydice de Pina Bausch et une série majestueuse de Boléros fatigués. Elle l’avait alors dit et répété : ce n’était qu’un au revoir, la fin de sa vie de Danseuse Étoile de l’Opéra de Paris mais le début d’une nouvelle aventure. Elle prendra d’ailleurs cet automne une forme plus théâtrale avec l’adaptation du film de Jacques Demy Peau d’Âne au Théâtre Marigny. Mais à Biarritz, c’est bien de danse qu’il s’agit et de la plus belle facture qui soit.

En prélude, Marie-Agnès Gillot accompagnée de Luc Bruyère composent un duo bouleversant sur le thème du corps limité. Debout dans un carré de lumière, la danseuse a le dos enfermé dans un corset, un de ceux qu’elle a dû porter de longues années à l’École de Danse pour corriger une double scoliose. Luc Bruyère est né sans bras gauche, ce qu’il ne l’a pas empêché d’aller au-delà de lui-même pour devenir mannequin, et ce soir-là danseur. Il apparait à son tour dans un autre carré de lumière. Débute alors dix minutes d’un dialogue où l’émotion est à fleur de peau sans jamais déverser le moindre pathos. Marie-Agnès Gillot défait son corset, Luc Bruyère sa prothèse de bras pour se l’échanger dans un mouvement lent, d’une extrême douceur et d‘une bienveillance infinie. C’est la plus belle entrée en matière dont on pouvait rêver, imaginée par Marie-Agnès Gillot qui en signe la chorégraphie.

Luc Bruyère et Marie-Agnès Gillot – Déambulation

L’Étoile revient ensuite très vite, seule cette fois, dans une robe fourreau alors que résonne la voix de Maria Callas chantant l’air sublime « La Mamma Morta » de l’opéra Andrea Chénier. Intitulé Diva et créé en 1999 par Carolyn Carlson, ce solo de trois minutes exige du cran et un certain culot. Comment en effet se confronter à l’inégalée Maria Callas ? Marie-Agnès Gillot, apparaissant en fond de scène dans un cadre de lumière est plus que crédible : avec une danse ample et des nuances incessantes de ses longs bras, elle fabrique comme une osmose avec la voix de la cantatrice.

Vient ensuite ce qui est présenté comme une improvisation mais qui semble pourtant très travaillé, trop peut-être. Carolyn Carlson a voulu créer une pièce d’occasion pour cette soirée plus que spéciale, puisque c’était aussi l’anniversaire de Marie-Agnès Gillot. Elle est intitulée sobrement 7 Septembre et dansée par les deux Étoiles. La créatrice Agnès B. leur a fait revêtir des costumes qui seraient presque comme des bleus de travail (dans les teintes marrons en l’occurence !). Les deux danseuses vont et viennent sur une moquette verte qui imiterait le gazon. Elle s’adonnent à une sorte de jeu des quatre coins, enrichi d’accessoires qui vont de la brosse à peindre au vaporisateur, semblant s’éviter tout autant que se craindre. Regards exorbités pour un moment loufoque qui ne vaut guère plus qu’un intermède.

Marie-Agnès Gillot et Carolyn Carlson – 7 Septembre

Sans pause, Carolyn Carlson revient pour nous montrer cette fois ce dont est capable la danseuse. Immersion, créé en 2010, est un longue variation sur l’eau dans tous ses états : la vague, la goutte, la pluie reconstituées dans la musique de Nicolas de Zorzi. Ce solo aquatique est trop long et c’est là son principal défaut. Mais Carolyn Carlson semble défier le temps en délivrant une danse où elle sollicite en permanence ses bras dans un geste d’une élégance suprême. Ses mouvements sont totalement incarnés et se délient avec une fluidité superbe au rythme de la musique.

Il revenait à Marie-Agnès Gillot de conclure la soirée. Elle a choisi de reprendre Black over Red, solo de 2013 de Carolyn Carlson et qui se veut « un court dialogue avec Rothko« . La chorégraphe a revisité sa pièce pour en donner une version plus courte. Elle aurait pu encore la réduire pour resserrer le propos mais Marie-Agnès Gillot trouve dans ce matériel de quoi déployer son art. Pièce dansée – mais aussi dramatique – qui requiert des qualités d’actrice qui ne lui font pas défaut. Le geste est épuré, large mais sans emphase dans ce dialogue improbable entre la danse et la peinture. Avec la complicité du violoncelliste Jean-Paul Dessy, Marie-Agnès Gillot se livre entière, sans fard, avec une totale sincérité. Certes, il n’y a plus les sauts ou les longues arabesques mais le charisme est intact et irradie du début à la fin. On sent que Marie-Agnès Gillot conserve une envie farouche de danser, d’être sur scène et de donner au public. Ce duos de divas, l’instant d’une soir dans la douceur de la fin de l’été basque, annonce de belles choses à venir.

Marie-Agnès Gillot- Black over Red

 

Embers to Embers à la Gare du Midi dans le cadre du Festival Le Temps d’Aimer Biarritz. Déambulation de Marie-Agnès Gillot, avec Marie-Agnès Gillot et Luc Bruyère ; Diva de Carolyn Carlson avec Marie-Agnès Gillot ; 7 Septembre, duo improvisé par Carolyn Carlson et Marie-Agnès Gillot ; Immersion de et avec Carolyn Carlson ; Black over Red de Carolyn Carlson avec Marie-Agnès Gillot. Vendredi 7 septembre 2018. Le Temps d’Aimer continue jusqu’au 16 septembre

 

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