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Les adieux d’Agnès Letestu, une grande Étoile tire sa révérence.

Agnès Letestu est souvent définie comme une danseuse d’une grande classe. C’est ce qu’elle est restée jusqu’au bout de ses saluts d’adieux, le jeudi 10 octobre au Palais Garnier, après une ultime représentation de La Dame aux camélias.

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Le public, pourtant, connaît le rituel par coeur. Après des saluts classiques, le rideau se lève sur l’Étoile seule en scène, sous une pluie de paillettes (qui semblaient ne plus vouloir s’arrêter de tomber ce soir). Sa Marguerite vient de mourir, la danseuse a donc les cheveux lâchés et une simple robe blanche. Mais c’est l’élégance incarnée lorsqu’elle vient saluer profondément, dignement, le public sur le devant de la scène. Agnès Letestu n’est pas triste, mais très émue, tout comme le public. Il y a de la ferveur des deux côtés de la salle. Chacun se remercie mutuellement pour toutes ces années. Ce n’est pas un enterrement (heureusement), ce n’est pas un aurevoir (en tout cas personnes n’y pense). Ses Adieux, ce sont un merci. De toutes parts.

Agnès semble toutefois presque gênée d’être seule en scène. Elle va donc chercher en coulisse des personnes qui ont beaucoup compté pour elle. Ghislaine Thesmar, sa coach pendant des années qui lui a transmis de nombreux rôles, puis Pierre Lacotte. Stéphane Bullion, son partenaire de la soirée et de ses dernières années, qui s’efface galamment. Aurélie Dupont qui prend quelques photos. Et bien sûr José Martinez, « ma moitié artistique » comme dira Agnès Letestu lors de son discours après spectacle. Il vient avec un gros bouquet de fleurs blanches à la main.

Agnès Letestu salue, pendant 20 minutes, sous les applaudissements. Puis, lors d’une ultime révérence, elle dépose le bouquet de fleurs blanches à l’avant-scène. Il est pour le public.

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Des adieux d’une Étoile sont toujours un moment un peu nostalgique pour le public aussi. Car voir une danseuse ou un danseur partir, c’est aussi pour le spectateur et la spectatrice regarder en arrière. La première fois que l’on a vu danser Agnès Letestu, une soirée particulièrement marquante avec Agnès Letestu, le rôle où l’on a préféré d’Agnès Letestu. Et de compter que oui, ces souvenirs peuvent dater de 10 ou 15 ans (pour ma part, la première fut sur Rythmes de valses de Roland Petit en 1996).

Pour ma part, Agnès Letestu est la première Étoile dont j’ai vraiment suivi le parcours. Pour résumer, Pietra fut la danseuse de mes années collège, Aurélie Dupont la danseuse de mes années fac. Et Agnès Letestu la danseuse de mes années lycée. Ce fut la danseuse star de nos cours de danse d’ado, celle dont on lisait les interviews dans Danser où elle racontait son Lac des Cygnes avec José Martinez (Lac que je ne lui ai finalement jamais vu danser en vrai, l’un de mes rendez-vous manqués de vie de spectatrice). Au-delà du petit pincement au coeur de voir partir une Étoile qui nous a beaucoup touchés, il y a aussi le fait que, pour nous aussi, c’est une page qui se tourne.

Agnès Letestu n’était pas forcément une artiste qui mettait tout le monde d’accord, mais ce serait plutôt bon signe. Ce que j’aime chez elle, c’est d’abord son style si naturel porté par une technique superlative, mais qui jamais ne cherche à en faire trop. Elle danse avec esprit. Mais c’est surtout qu’elle reste une danseuse qui m’a toujours surprise. Dans des rôles que je ne voyais pas de cette façon, dans un style de danse que je ne comprenais pas forcément, elle arrivait en scène, et je voyais les choses différemment. Agnès Letestu était aussi une danseuse différente des autres.

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Je n’aime pas le « C’était mieux avant » ou le « La génération Noureev, c’était quand même autre chose« . Je n’ai pas aimé être ressortie mélancolique de cette soirée. Un adieu, c’est aussi une place de plus en juin pour la nouvelle génération. Mais il y avait quand même un petit peu de tout ça. Le départ d’Agnès Letestu, c’est une page qui se tourne, et qui sera définitivement fermée le 9 juillet avec les Adieux de Nicolas Le Riche. Et l’on cherche aujourd’hui les danseurs et danseuses qui pourraient nous apporter autant d’émotion. La direction actuelle a parfois préféré mettre en avant des artistes malléables, bien partout sans être excellent quelque part. Agnès Letestu ne dansait pas tout. Mais ce qu’elle faisait avait vraiment quelque chose de particulier. La nouvelle génération d’Étoiles (Dorothée Gilbert, Mathieu Ganio, Mathias Heymann ou Myriam Ould-Braham) est de cette trempe pourtant. Peut-être n’ont-ils pas aujourd’hui l’environnement favorable pour s’épanouir pleinement.

Commentaires (9)

  • Joelle

    Très belle chronique Amélie…

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  • a.

    M’autorisez-vous, Amélie, à souscrire à tout ce que vous dîtes dans ce joli billet? La saison risque d’être très mélancolique…;-)

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  • Bel article. On sent que c’est écrit avec le coeur. La réflexion sur l’avenir est aussi intéressante, mais ce n’est pas l’apanage de la danse. Maintenant on préfère les gens plats aux fortes personnalités. C’est bien dommage. En tout cas merci pour se résumé.

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  • Lisa

    Belle chronique, écrite avec le coeur, je fus émue en la lisant, Merci.

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  • Estelle

    Merci Amélie de faire revivre ce moment à celles qui n’y étaient pas. Je trouve en plus votre analyse très juste (petite parenthèse gossip sans doute mal placé après un si bel article, mais je croyais d’Agnès Letestu et José Martinez étaient mariés ?).

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  • Je suis un peu nostalgique de l’époque d’Agnès, où les étoiles avaient quelque chose de « particulier ». Maintenant elle deviennent un peu des « pop star » à grand renfort de campagnes publicitaires. A en oublier que la danse c’est une discipline de fer

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  • alpha

    Bravo pour cette chronique Amélie. C’est exactement l’atmosphère de cette soirée. A Letestu a formidablement dansé tiens, au fait pourquoi part elle ?), S Bullion aussi avec toujours de brin de mystère qui l’entoure. Et vous avez sans doute remarqué à quel point Chopin lui va bien, tristesse et incousciance, abandon et raffinement…
    Oui, des remerciements trés émouvants que la salle a partagés…
    L’heure commençait à être tardive, mais un beau discours dans le grand foyer, partage et sincérité… Oui, une grande artiste…

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  • alpha

    Merci Amélie pour cette année de chronique, un must pour les amoureux de la danse… mention spéciale pour celle ci consacrée au plume d’or, humour en plus, mais pas seulement… que je partage assez largement, même si j’ai vu moins de spectacles que vous.
    Un oubli pourtant : une plume d’or à Agnes Letestu pour l’ensemble de son oeuvre (eh oui, c’est loin, en octobre, mais bien cette saison). Quels beaux adieux aussi, très différents des deux que vous citez, mais Agnes Letestu, Chopin, la dame aux camélias… oui, la fin de la saison a parfois été mélancolique…

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