Yoann Bourgeois en équilibre à La Scala
Il y a un nouveau théâtre à Paris au nom prestigieux : La Scala. Ou plus exactement, la réouverture d’une scène qui a connu des fortunes diverses pour totalement disparaître. Mélanie et Frédéric Biessy l’ont racheté et viennent de l’inaugurer avec la dernière création de Yoann Bourgeois qui a sobrement repris le nom du lieu, Scala, pour intituler ce nouveau spectacle. Le choix de cet artiste singulier qui évolue aux confins du cirque, de la danse et du théâtre donne le ton d’une programmation qui se veut multiple, diverse et internationale.
C’est en visitant le chantier durant les travaux que Yoann Bourgeois a eu l’idée de cette pièce « qui montrerait le spectacle d’une structure : les dimensions de la cage de scène, sa texture, sa couleur, et puis aussi toute la machinerie propre du théâtre, comme les ponts motorisés ou les trappes… « . D’où cette scénographie qui est comme un prolongement de la salle : pas de rideau de scène, les cintres à nus et un décor de la même couleur que les murs et les sièges, d’un bleu pastel clair. De chaque côté de la scène, il y a comme un appartement de guingois coupé par un immense escalier qui semble n’aller nulle part. Partout, des objets familiers : des cadres vides aux murs, une grande corbeille, des chaises, un lit. Mais on devine que cet univers quotidien va bientôt chavirer.
Huit interprètes son sur scène pour Scala, trois filles et quatre garçons qui entament une sorte de course-poursuite infernale d’un espace à l’autre. Les portes claquent, les artistes disparaissent dans des trappes, s’écroulent de la chaise qui se démantibule. Yoann Bourgeois met sur scène des « wakouwas » (du nom de son créateur le suisse Walther Kourt Walls), ces figurines en bois qui se désarticulent grâce à un bouton placé sous le socle qui les supportent. Ainsi les chaises ne cessent durant le spectacle de s’effondrer pour aussitôt se reconstituer. Idem pour les lits, les tables. Cet éternel recommencement se veut une métaphore de ce lieu La Scala qui fut une des grandes salles de music-hall avant de péricliter pour devenir dans les années 1970 un cinéma porno et qui fut menacé de destruction.
On retrouve dans cette nouvelle pièce l’univers de Yoann Bourgeois, ce burlesque qui navigue quelque part entre Charlie Chaplin et Jacques Tati avec ces objets qui échappent, ces chutes inévitables, la disparition du corps dans une trappe invisible. Durant une petite heure, ces interprètes dans le vent nous amusent dans leur tentative impossible de mater l’espace. Et puis il y a ce morceau de bravoure avec le grand escalier bordé de part et d’autre de trampolines. Sauts, marches horizontales, chutes encore : c’est une moment de pure virtuosité exécutée avec une précision impeccable. Ce défi au vide et à la pesanteur sans filet est savoureux.
Il manque pourtant quelque chose pour que Scala soit un grand spectacle. Il y faudrait un récit plus articulé, une histoire, un scénario qui nous prenne par la main pour visiter cet appartement déglingué. On s’y promène certes avec le sourire mais dans l’attente jamais satisfaite de cerner la psychologie de ses habitant.e.s et la raison de leur course perpétuelle. On ressort donc content mais frustré !
Scala de Yoann Bourgeois au Théâtre La Scala. Avec Mehdi Baki, Valérie Doucet, Damien Droin, Nicolas Fayol, Emilien Janneteau, Florence Peyrard et Lucas Struna . Lundi 24 septembre 2018. À voir jusqu’au 24 octobre.