[Circa] Place aux femmes – Projet.PDF et Me Mother
Les programmations « spécial femmes » au sein d’un festival me laissent en général méfiante, comme si la création de la part d’une femme était un sous-genre. Circa, le grand festival européen du cirque actuel qui se tient à Auch, pose plutôt la question de la sous-représentativité des femmes en tant que créatrices de spectacle dans le cirque, un constat qui se retrouve dans tous les domaines de la culture. Deux spectacles au cours de la 31e édition de Circa évoquait le sujet. D’abord un spectacle, Projet.PDF (« Portés de femmes ») menés par 16 artistes autour du porté et de la sororité. Ensuite Me Mother, un objet théâtral où des circassiennes témoignent de ce que c’est que de devenir maman dans leur métier, quand leur corps est leur outil de travail, une préoccupation que l’on retrouve dans le monde de la danse. Deux spectacles pleins de surprises, sans tabous, et faisant souffler un agréable vent de fraîcheur.
Le Dôme de Circa est plein à craquer pour la première de Projet.PDF. Seize femmes en sont les autrices, prenant le pouvoir sur scène, chose qu’elles ne se sont pas forcément autorisées auparavant. Projet.PDF, le titre de la pièce, est l’abréviation de « Portés de femmes ». Il y a le cliché dans le cirque du porté à deux mains où l’homme est le porteur et la femme voltigeur. Les duos d’hommes se sont fait une place également, mais pas les femmes. C’est ce sur quoi veut travailler ce groupe. Et le résultat est réjouissant de virtuosité. Le groupe est quasiment toujours ensemble sur scène, dans une sorte de chorégraphie aérienne, où tout fonctionne grâce à la solidarité. Une femme s’envole, se fait rattraper par quatre porteuses, avant d’en prendre une autre sur ses épaules. Il n’y a pas forcément de rôle préconçu entre porteuse et voltigeuse, chacune apporte sa pierre à l’édifice, dans une sorte de sororité non dénuée d’un vrai grain de folie qui fait du bien.
Sur le fond, Projet.PDF part par contre un peu de travers. On sent que le collectif a envie de parler de plein de choses : la place des femmes sur scène, les clichés sexiste, le droit des prostituées, le rapport au corps, etc. Autant de sujets intéressants mais balancés ici un peu emmêlés, comme si toutes les revendications devaient y passer. On se perd ainsi dans le propos, qui a tendance de plus à prendre le pas sur le travail des portés. Mais vers la moitié, le spectacle oublie le militantisme (qui a tout à fait sa place en scène, mais ici assez mal proposé) pour se concentrer sur la solidarité entre ces 16 femmes, la force de la sororité. Avec en toile de vent un ouragan de fraîcheur et d’énergie, comme poussée parc cette force de prendre le pouvoir en scène, qui emporte les réserves du début et termine le tout sur une note réjouissante (et une standing-ovation nourri du public).
Un peu plus tôt dans la journée, un autre collectif, plus petit, s’interrogeait sur les liens entre artistes de cirque et maternité. Me Mother n’est ainsi pas un spectacle circassien à proprement parler, mais plutôt un objet théâtral, une prise de parole bienvenue et sans tabou sur la maternité. Cinq circassiennes sont sur scène. Certaines sont enceintes de six mois ou plus, d’autres ont accouché il y a deux-trois ans ou tout justes quelques mois. Elles sont d’horizons et de nationalités diverses. Chacune, à sa manière, raconte sa maternité, et comment se faire à cet état quand son corps est son outil de travail, sa façon de s’exprimer, d’exister mais aussi de gagner sa vie. Le sexisme dans le cirque n’est finalement pas si différent que dans d’autres milieux. Chaque circassienne a ainsi eu l’impression d’être en faute suite à sa grossesse, de mettre à mal sa compagnie, quand le remplacement d’un circassien ne pose jamais de problème. Toutes racontent leurs calculs pour tomber enceinte entre deux productions… et comment ces calculs ont à chaque fois lamentablement échoué. Et puis il y a ces témoignages plus universels, sur ce tabou de la fausse couche lors des trois premiers mois alors que cela arrive à une femme sur cinq, sur cet horrible deuxième mois de grossesse où tout va mal, et sur l’épreuve qu’a représentée pour cette artiste le fait de monter, tous les soirs pendant ce deuxième mois, en haut des cinq mètres de son mât chinois.
Ces témoignages sont parfois très intimes, dérangeants peut-être car bousculant l’idée qu’une grossesse puis la maternité ne sont que des choses merveilleuses. Elles questionnent aussi leur pratique du cirque, le corps qui se transforme, mais qui reste un corps travaillé pour la virtuosité. Ainsi cette acrobate, à six mois de grossesse, qui aidée par ses comparses remonte en haut de son mât chinois, ou une autre qui part dans quelques portés aériens, sécurisée par ses camarades de scène. Tout y passe, des douleurs de l’accouchement comme une fausse couche en vélo. Mais tout y est raconté avec beaucoup d’humour et de sincérité, paradoxalement sans aucun voyeurisme. Un joli moment de vie et une parole nécessaire, trop souvent tue dans le monde artistique.
Projet.PDF au Dôme, de et avec Boute Laurence, Dahlmann Philine, Do Val Renata, Froidevaux Coline, Gilbert Clémence, Gorisse Mathilde, Hays Cali, Hergas Marion, Kolly Charlotte, Lascoumes Claire, Le Quemener Flora, Matéo Priscilla, Roma Alice, Ruiz Claire, Serre Anhalou et Van Gelder Elske ; Me Mother de Kristina Dekens et Albin Warette au Théâtre, avec Heini Koskinen (tissu aérien, percussion corporelles), Sandra Bonomi Rimoldi (hula hoop), Fanny Alvarez (acrobatie, voltige, bascule), Héloïse Biseau (acrobatie au sol) et Amanda Righetti (mât chinois). Mardi 23 octobre 2018 dans le cadre du Festival Circa. Circa continue jusqu’au 28 octobre.
Léa
Merci encore de nous parler chaque année de Circa !!