Fashion Freak Show de Jean Paul Gaultier – Folies Bergère
Dans l’écrin des Folies Bergère désiré par Jean Paul Gautier, son Fashion Freak Show fait un carton depuis la rentrée. Cette revue débridée, débordante de plumes et de de paillettes, déroule les grandes étapes de la vie et de la carrière de l’excentrique couturier. Sur scène, une quinzaine de danseur.se.s, mannequins et circassien.ne.s enchaîne des tableaux exubérants et émouvants, pas toujours d’égal niveau, mais qui, au final, compose une fresque luxuriante et bigarrée très plaisante à regarder. Connaissant les affinités du créateur, la danse y occupe une place de premier plan grâce aux chorégraphies de Marion Motin.
Entre Jean Paul Gaultier et la danse, c’est une longue histoire. Pas seulement parce qu’il s’est beaucoup amusé à réinventer le tutu, objet de nombreuses fantaisies, en le transformant indifféremment en accessoire pour femmes ou pour hommes. Mais aussi par sa collaboration pendant une douzaine d’années avec la chorégraphe Régine Chopinot. Les références chorégraphiques sont de fait nombreuses dans cette revue.
Enfant, Jean Paul Gaultier rêvait déjà de scène. « Mon premier souvenir, c’est sans doute une opérette au Châtelet, Rose de Noël (mise en scène par Maurice Lehman en 1958), vue à la télévision avec ma grand-mère quand j’étais petit garçon : ensuite, encore à la télévision, un extrait de la revue des Folies Bergère, explique-t-il dans la note d’intention de son spectacle. Et puis j’aime les héroïnes de ces scènes-là : Zizi Jeanmaire transformée en oiseau de paradis par Yves Saint Laurent que j’ai eu la chance de voir lors de mes débuts, et Joséphine Baker lors de son dernier spectacle à Bobino une semaine avant sa mort… »
Près de soixante ans plus tard, cette revue rend hommage aux héroïnes de l’enfance du couturier à travers des tableaux pleins d’inventivité. Celui réunissant une fille et un garçon, une Joséphine et un Joséphin, vêtu.e.s de la cultissime ceinture de bananes, constitue une belle évocation quand on sait que la « perle noire » triompha sur la scène des Folies Bergère dans les années 1920. La chorégraphie inspirée de la gestuelle de la célèbre danseuse colle parfaitement à ce duo sculptural.
Pendant deux heures et demi, les tableaux s’enchaînent portés par une troupe de jeunes artistes très investis qui se montrent aussi à l’aise sur le podium que dans des démonstrations de voguing ou des séances d’effeuillage. Il manque parfois des transitions entre les séquences. L’enchaînement est un peu abrupt, mais c’est l’esprit revue où un numéro chasse l’autre mettant en scène un épisode de la vie du couturier ou une vidéo d’une de ses ami.e.s, de Catherine Ringer à Catherine Deneuve. Le tout porté par une bande-son géniale composée des grands tubes du disco et de la pop.
On passe ainsi de l’enfance, à la rencontre avec son grand amour, des clubs SM londoniens au Palace puis à la lutte d’Act Up, de son premier défilé de 1976, avec robe en sac poubelle, à ses dernières pièces (plus de 200), spécialement créées pour le show. Bien sûr, on retrouve les éléments phares qui ont nourri sa réputation comme les jupes masculines, l’incontournable marinière déclinée à l’envi et les corsets aux seins coniques. Des vêtements qui deviennent eux-mêmes des personnages à part entière prenant vie sous nos yeux.
Hymne vibrant aux années 1980 dont l’énergie vitale fut ternie par une décennie 90 marquées par le Sida, ce Fashion freak show joue la carte d’une certaine nostalgie. « L’enfant terrible de la mode » fait défiler ses souvenirs d’une époque sur laquelle soufflait une vent de liberté, où tout semblait permis. Fidèle à cet état d’esprit, il continue de ne rien s’interdire comme il l’a toujours fait. Comme dans cet impressionnant final sur le grand escalier des Folies Bergère, accessoire mythique, où la troupe reprend la chanson de Zazie « Tout le monde, il est beau ! ».
Fashion Freak Show de Jean Paul Gaultier aux Folies Bergère. Mise en scène : Tonie Marshall. Chorégraphies : Marion Motin. Direction musicale : Nile Rodgers. Scénographie : Eric Soyer. Avec Demi Mondaine, Grégoire Malandain, Fanny Coindet, Nacer Marsad, Lazaro Cuervo Costa, Maud’Amour, Mike Gautier, Julie Demont, Jean-Charles Zambo, Anouk Viale, Marie Meyer, Léa Vlamos, Anna Cleveland, Mounia Nassangar, Patric Kuo, Kévin Bago, Julien Ramade. Jeudi 27 septembre 2018. À voir jusqu’au 10 mars 2019.