Romances Inciertos – Comme un opéra-ballet baroque de François Chaignaud et Nino Laisné
François Chaignaud s’est arrêté en décembre sur la colline de Chaillot pour y présenter Romances Inciertos, un autre Orlando. Créée en septembre 2017 au Festival de Genève, la pièce voyage et va poursuivre son périple jusqu’à l’été prochain. Réalisée en collaboration avec le plasticien Nino Laisné, François Chaignaud, entouré par un quatuor de musiciens virtuoses, chante et danse seul sur scène dans une œuvre qui échappe à toute classification, un opéra-ballet d’un genre nouveau, impeccablement interprété et charriant un torrent d’émotions.
Artiste majuscule, danseur virtuose, chanteur aux tonalités multiples : on ne saurait résumer ou enfermer François Chaignaud dans des stéréotypes tant son art est à la fois multiple et singulier. Au fil de ses spectacles, il a élevé l’art du transformisme à un niveau inégalé, empreint d’une infinie poésie. Avec Romances Inciertos, il franchit une nouvelle étape dans une démarche artistique originale et exigeante avec un spectacle baroque au sens littéraire et esthétique. Nino Laisné et François Chaignaud se sont inspirés de la figure d’Orlando dans différentes déclinaisons, en particulier celle de la romancière britannique Virginia Woolf qui l’incarne sous la forme d’un Lord rêvant de perfection poétique. C’est ce voyage spatio-temporel entre différentes époques et différents lieux qui a aiguillé François Chaignaud et Nino Laisné et qui déploie une extension des genres et du genre : de la chanson populaire espagnole sous l’écriture fulgurante de Federico Garcia Lorca, de la musique baroque à la zarzuela, du tango d’Astor Piazzolla aux chansons anonymes arrangés par Nino Laisné, un mélange délicat où alternent chants et intermèdes musicaux.
Le chant, c’est François Chaignaud qui arrive sur scène en chevalier soldat, fille d’un capitaine sévillan qui nourrit des rêves guerriers et s’habille en homme. Cette mise en abyme du travestissement est proprement saisissante et infiniment douloureuse, aussi bien dans le chant de François Chaignaud que dans son corps. Il semble se lancer tout d’abord dans une danse de cour qui se termine au sol dans le spectacle de la mort de celle qui « n’est pas celui que vous voyez vivre« . Il passe alors d’une tessiture haute avec une vois de tête à un chant de baryton basse, ajoutant encore au mystère de ce travestissement.
Cette première scène ouvre tous les possibles de cet Orlando qui revient perché sur des échasses pour l’entame d’une danse qui ressemble parfois à celle d’un derviche tourneur dans une précision chorégraphique époustouflante. Puis débarrassé de ces échasses, l’Orlando de François Chaignaud se lance dans un parcours sur pointes à la technique impeccable. Après un ultime intermède séquence instrumentale, il revient grimé en danseuse de flamenco, passant avec aisance et brio d’un style à l’autre sans jamais renoncer à une forme d’excellence esthétique.
C’est ainsi à un voyage fantasmagorique à travers une Espagne réelle ou fantasmée que nous convoquent Nino Laisné et François Chaignaud pour un spectacle savant et savamment construit mais limpide. Et c’est François Chaignaud, qui nous permet d’entrer dans ce labyrinthe, qui nous emmène d’un personnage à l’autre. Tout se dit à travers le timbre de sa voix et le geste du corps, un corps capable de tout exprimer et qui décrit dans ses torsions perpétuelles une ineffable douleur au bord de la rupture. François Chaignaud ne danse pas, il est la danse.
Romances Inciertos de et par François Chaignaud et Nino Laisné au Théâtre de Chaillot. Avec Jean-Baptise Henry (bandonéon), François Joubert-Caillet (violes de gambe), Daniel Zapico (guitare baroque et théorbe) et Pere Olivé (percussions traditionnelles et historiques). Mardi 18 décembre 2018. À voir en tournée jusqu’en juin 2019.