Staatsballett Berlin – La Bayadère en quatre actes reconstruite par Alexeï Ratmansky
C’est à Berlin qu’a lieu cette saison l’événement dans le ballet académique. Alexeï Ratmansky vient d’y créer avec le Staatsballett La Bayadère dans une version reconstruite en quatre actes qui se termine non pas par l’acte blanc, mais après, par la destruction du palais. Servi par une troupe de qualité et des solistes de grand talent, le chorégraphe russo-américain réussit encore à séduire par sa recherche d’une authenticité retrouvée, fidèle à l’œuvre de Marius Petipa. Cette reconstruction permet de revoir une œuvre très différente dans sa narration avec un tout autre épilogue. Daniil Simkin, qui vient de rejoindre la troupe, excelle en Solor aux côtés de sa compatriote russe, Anna Ol, Principal du Het Nationale Ballet dans le rôle de Nikiya et d’Evelina Godunova en Gamzatti.
La Bayadère a été découverte très tard en Europe – l’Opéra de Paris n’eut sa propre version qu’en 1992 – et a traversé de nombreuses péripéties. Ce ballet fut surtout dès 1920 amputé de son dernier acte lors de la nouvelle production du théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, une version tronquée qui a perduré jusqu’en 2002. Le regretté Sergueï Vikhariev retrouva dans les archives du Mariinsky la partition originale et remonta pour ce théâtre la première vraie version originale en quatre actes. Un travail superbe mais qui fut très vite écarté et ne trouva jamais sa place dans le répertoire du Mariinsky qui lui préféra la production soviétique. On attendait donc avec gourmandise la nouvelle version du Staatsballett Berlin. Alexeï Ratmansky nous a en effet habitué à un travail minutieux et passionnant de reconstruction des ballets académiques de Marius Petipa. Mais l’enjeu est d’une autre envergure avec La Bayadère car il faut restaurer le récit en quatre actes, ce qui modifie la narration dans son ensemble.
Le résultat a de quoi surprendre le public averti. La Bayadère en quatre actes exige un récit plus nuancé. Et c’est la pantomime, imaginée par Marius Petipa, qui en est le vecteur : elle est omniprésente dans les deux premiers actes, extrêmement détaillée et en même temps parfaitement lisible même lorsqu’on en ignore les codes. Alexeï Ratmansky a particulièrement travaillé cet exercice de pantomime avec les artistes et elle devient de la danse en soi. Ainsi lorsque Daniil Simkin paraît, il se raconte grâce à la pantomime. Il n’y a rien de factice comme c’est parfois le cas aujourd’hui dans de nombreuses productions classiques où la pantomime ne sert qu’à faire des raccourcis entre deux tableaux dansés sans que l’on en comprenne la nécessité. Le chorégraphe y a apporté le même soin que pour les variations ou les pas de deux. Certes, le public d’aujourd’hui n’est plus habitué à ce format, mais on y prend vite un grand plaisir grâce à la qualité d’exécution des danseurs et des danseuses. Daniil Simkin tout comme sa partenaire Anna Ol se sont magnifiquement prêtés au jeu.
Mais il y a assez peu de danse pure dans les deux premiers actes, à l’exception de la célèbre première variation de Nikiya. Anna Ol a été invitée pour être la partenaire de Daniil Simkin à Berlin. C’est une danseuse aux qualités techniques certaines, aux lignes élégantes et capable de porter un personnage sur scène durant quatre actes. Le deuxième acte est le plus malmené au regard de la version en trois actes. Il n’y a pas de mariage et très peu de matériau à danser pour le personnage de Gamzatti dont le rôle est paradoxalement moins important que dans la version en trois actes. Evelina Godunova s’en acquitte toutefois avec brio et conviction.
Mais c’est la scène des Ombres qui est la plus attendue, tube absolu du ballet académique et assurément l’une des plus belles pages jamais écrites pour un corps de ballet féminin. Marius Petipa créait avec cette descente de 32 ballerines, un moment de pure danse annonçant l’abstraction qu’allait développer George Balanchine. Ici, cette partie du ballet a peu changé. C’est celle qui a le mieux survécu aux années et Alexeï Ratmansky n’y a apporté aucune modification si ce n’est un retour au tempo musical d’origine, plus rapide. Mais le choix de tutus plus longs, à la russe, dessinés par Jérôme Kaplan, modifie quelque peu la perspective générale. C’est un moment de beauté absolue, un miracle de ballet blanc malgré quelques jambes qui tremblent plus qu’il ne faudrait lors de ces arabesques tenues.
Le quatrième acte qui suit l’acte des Ombres opère un retour à la réalité avec le mariage de Gamzatti et Solor, hanté par l’image de Nikiya. Il s’achève sur la destruction du palais du Maharadjah. Là où Sergueï Vikhariev montrait sur scène l’effondrement, Alexeï Ratmansky et Jérôme Kaplan ont opté pour des images vidéos moins impressionnantes.
Basée sur les notations de la collection Sergueev, cette reconstruction de La Bayadère étonne moins que celles du Lac des Cygnes ou de La Belle au Bois Dormant. Les modifications stylistiques y sont moins visibles. On retrouve l’utilisation fréquente des demi-pointes qui permet aux danseuses d’accroitre leur vitesse d’exécution. Et la troupe comme les solistes se sont parfaitement adaptés à cette approche. Daniil Simkin est une bête de scène dotée d’un charisme formidable et d’une technique éprouvée. Il compose un Solor tourmenté, hanté par sa lâcheté avec une danse précise, nuancée dont il a gommé les excès. Sa partenaire, Anna Ol est à l’unisson, sans failles dans ses variations. Le partenariat en revanche demande à être amélioré. Ces deux-là n’ont pas encore suffisamment dansé ensemble pour être tout à fait à l’aise… et éviter de trébucher à la fin du troisième acte. Ces petites imperfections, sans gravité cependant, n’altèrent pas l’impression d’ensemble. Il faut encore dire un mot de l’orchestre du Staatskapelle Berlin qui, sous la baguette de Victorien Vanoosten, fait résonner au mieux la partition de Ludwig Minkus qui n’est pas un chef-d’œuvre de la musique de ballet.
Voilà ainsi une production de belle facture qui ne demandera qu’à sa peuafiner au fil des reprises lors des prochaines saisons. Et avec La Bayadère, Alexeï Ratmansky conclut en beauté un cycle passionnant de reconstructions de tous les grands ballets de Marius Petipa. De New York à Berlin, de Zurich à Milan, le chorégraphe russo-américain a collaboré avec la plupart des grandes compagnies internationales pour mener à bien ce travail qui n’est nullement une tentation muséale, mais une réflexion sur le devenir du ballet académique. Il va désormais lui falloir fouiller dans des œuvres moins connues de Marius Petipa, ce qui laisse espérer de magnifiques découvertes. Encore une fois, on ne peut que regretter l’absence du Ballet de l’Opéra de Paris dans ce débat.
La Bayadère d’Alexeï Ratmansky par le Staatsballett Berlin au Staatsoper unter den Linden. Avec Daniil Simkin (Solor), Anna Ol (Nikia), Evelina Godunova (Gamzatti) et Ulian Topor ( le Maharadjah) – Vendredi 28 décembre 2018. À voir jusqu’au 9 février 2019.
Pascale M.
Merci pour cet article très riche, encore une fois. En effet, il est plus regrettable que la nécessaire réflexion sur la conservation et le devenir du patrimoine classique , ainsi que du style académique, ne semble guère préoccuper l’Opéra de paris, qui se contente depuis des décennies de resservir les versions Noureev.