[Sortie ciné] Maguy Marin : l’urgence d’agir de David Mambouch
Maguy Marin est au coeur de l’actualité danse pour deux raisons en ce mois de mars. D’une part la reprise de son chef-d’oeuvre May B, jusqu’au 12 mars à l’Espace Pierre Cardin de Paris. De l’autre la sortie en salles de cinéma du documentaire Maguy Marin : l’urgence d’agir de David Mambouch, retraçant le parcours de la chorégraphe en contrepoint de son oeuvre phare. Les colères de Maguy Marin font face aux corps enduits d’argile de May B pour le portrait sincère d’une chorégraphe entièrement engagée, toujours en lutte, profondément sincère.
David Mambouch et la pièce May B ont deux points communs : leur âge (37 ans) et leur mère. Le réalisateur est en effet le fils de Maguy Marin. Acteur, scénaristes, il a dansé dans May B pour la première fois il y a quelques années, une expérience qui lui a donné envie de se saisir de sa caméra. Le principe est d’abord de raconter cette pièce devenue mythique dans le répertoire de la danse contemporaine. En 1981, Maguy Marin s’inspire de l’oeuvre de Samuel Beckett pour mettre en scène dix corps déformés, couverts d’argile, des âmes humaines aux allures grinçantes et burlesques, terriblement émouvantes sans que l’on s’y attende. Pour David Mambouch, May B est une histoire de famille au-delà de sa mère chorégraphe : son père a fait partie de la création, sa petite soeur y danse à son tour. Sa caméra s’approche au plus près des artistes, dans la loge pendant ce cérémonial du maquillage où il faut s’enduire d’argile, sur scène où l’âme est mise à nu. Et Maguy Marin, alors en début de carrière, qui évoque cette pièce, ses envies, son état d’esprit au début de ces années 1980.
Les corps de May B ne cessent de nourrir le documentaire. Là un gros plan sur des mains enduites de blanc, là un nez ou une oreille déformées par l’argile, là un oeil aux rides creusées par le maquillage. Des extraits de la pièce sont comme le fil rouge d’une vie dédiée à la danse et aux combats. Car après avoir raconté May B, Maguy Marin remonte l’histoire. Les années chez Maurice Béjart, tellement formatrices même si la réalisatrice n’est pas dupe du « corps glorifié » que le maître met en avant, et dont May B est aussi une réponse en opposition. Puis les tournées, Rillieux-la-Pape au coeur des quartiers populaires, la création du centre d’art Ramdam. Des créations qui font le tour du monde, à l’image de May B justement, plus de 750 représentations en 37 ans de scène et aujourd’hui transmis à la génération suivante, notamment à de jeunes danseuses et danseurs brésiliens. Mais aussi des pièces qui ne perdurent pas, des incompréhensions, un public qui part en claquant son siège.
Car Maguy Marin ne s’est pas assagie au fil des années. Au contraire, sa colère contre les failles de notre société, contre les exclusions, ne s’est qu’amplifiée. Son oeil se durcit au fur et à mesure que les images d’archive défilent. Il n’y a pas d’apaisement avec l’âge, peut-être un peu de fatigue. Mais sa colère intérieure ne s’éteint pas, tout comme la grande rigueur dans la construction de ses pièces (le documentaire contient peu d’images de répétition, mais elles sont éloquentes). Il y a toujours chez Maguy Marin l’envie – ou plutôt le besoin vital – de secouer le public, de le réveiller, de lui mettre devant les yeux les injustices et les failles de notre société qui pour elle sont insupportables. Une urgence de créer, de dire, de lutter, qui font le fil d’une carrière hors-norme dans l’histoire de la danse française, retranscrite avec beaucoup de justesse et de sincérité dans ce documentaire.
Maguy Marin : l’urgence d’agir de David Mambouch – 1h 48min – Sortie en salles le 6 mars 2019.