Acqua Alta – Noir d’encre – Adrien M & Claire B
Tout le monde se souvient du superbe Pixel de Mourad Merzouki, où le numérique se mêle avec délice et surprise aux danseurs et danseuses, devenant un élément à part entière du spectacle. Créé en 2014, la pièce n’est plus très loin des 400 représentations. Derrière ce succès, outre le talentueux chorégraphe, se cache le duo Adrien M & Claire B, qui a beaucoup travaillé sur ce concept de mélanger le pixel avec le mouvement. Sur ce même principe, ils reviennent pour leur propre spectacle, Acqua Alta – Noir d’encre. Une réussite là encore, où le numérique joue sur l’intime d’un couple pour se mettre au service de l’émotion.
La dernière fois que nous avions croisé Adrien M & Claire B, il s’agissait de l’exposition Mirages et miracles, autour de l’art numérique et de la réalité virtuelle. Un chemin logique pour Claire B – artiste plasticienne – et Adrien M – à la fois jongleur et informaticien. Une expérience curieuse mais qui laissait sur sa faim. Le duo est décidément plus à l’aise en scène, même si la danse n’est pas leur art principal. Ce sont eux ainsi qui ont co-inventé Pixel de Mourad Merzouki, un spectacle qui voulait épater (et qui réussissait bien son coup). Un mur de pixels en fond de scène entrait en interaction avec les danseurs et danseuses, se mettait à danser avec eux. À tel point que l’on se demandait si c’était les interprètes qui faisaient bouger les pixels ou l’inverse. Le but était de faire un spectacle visuellement marquant et bluffant. Avec Acqua Alta – Noir d’encre, le duo Adrien M & Claire B utilise le même principe, mais travaille plutôt sur l’intime. Quand Pixel présentait une dizaine d’artistes, ils ne sont cette fois-ci plus que deux. Et le mur de pixels forme un cube autour d’eux, comme une maison.
Un homme, une femme. Nous sommes dans l’intimité d’un couple qui ne va pas forcément bien, qui cherche à se re-parler, à communiquer. L’un efface des pixels sur le mur de la maison comme les failles se fissurant entre eux, l’autre les reconstruit le plus vite possible se refusant à les voir. la chorégraphie – imaginée et dansée par Dimitri Hatton et Satchie Moro – ne cherche pas à se démarquer dans son style ou son originalité. Il y a là un mouvement de danse contemporaine simple et efficace, mais qui veut chercher sa signature chorégraphique ailleurs : avec le numérique. Contrairement à Pixel, cela ne devient pas un troisième interprète. Mais cela sert les intentions du duo, la volonté de transmettre une émotion. Cela sonne comme un décor mouvant, qui prolonge le mouvement, non pas pour impressionner le public mais pour porter l’intention du geste encore un peu plus loin. Une avancée de la réflexion autour de cet outil numérique servant la danse qui est étonnante.
Le duo ne résiste pas à montrer ce qu’il sait faire avec cet outil numérique et tout ce qu’il a appris à faire en quatre ans de recherches. L’on tombe ainsi de temps en temps, selon les séquences, sur du pur visuel, où le numérique se détache de l’émotion pour devenir un objet mouvant, formant un pas de deux avec le danseur. Une vraie réussite visuelle et souvent étonnante. Mais le spectacle marque quand le numérique s’oublie pour lui-même pour se mettre, comme lors du duo du début, au service de l’émotion. À la surprise se mêle ainsi la poésie, une certaine tension dramatique, un début de trame. Une maison coule, une femme disparaît, une étrangeté demande à être apprivoisée.
L’on pressent que le duo pourrait là-dessus aller encore plus loin et qu’Adrien M & Claire B ne sont presque qu’au début de leurs recherches artistiques, que beaucoup de portes s’entrouvrent. Un travail à suivre dès la saison prochaine, où le spectacle revient à la Maison de la danse accompagné de deux projets autour de la réalité virtuelle et augmentée.
Acqua Alta – Noir d’encre d’Adrien M & Claire B à la Maison de la Danse de Lyon. Conception et réalisation Claire Bardainne et Adrien Mondot, chorégraphie et interprétation Dimitri Hatton et Satchie Moro. Vendredi 8 mars 2019. À voir le 15 mars à Douchy-les-Mines, en avril à Oloron-Sainte-Marie et Meylan.