Sous le signe du tango de Maria de Buenos Aires – Ballet du Rhin
Le Ballet du Rhin s’est lancé ce printemps dans l’aventure palpitante du tango avec Maria de Buenos Aires composée par un maitre du genre, Astor Piazzolla, sur un livret du poète argentin Horacio Ferrer. Œuvre totale qui se veut à la fois opéra et ballet, Maria de Buenos Aires, créée en mai 1968, immerge la compagnie et le public dans un environnement culturel éloigné de leurs codes habituel, par l’entremise de Matias Tripodi. Hélas, le chorégraphe argentin semble pétrifié par l’enjeu et ne parvient pas à construire un ballet original.
C’est un pari un peu fou de remettre sur scène cet opéra tango conçu comme un spectacle total, mêlant musique, chant, théâtre et danse. Le poème écrit par Horacio Ferrer raconte par ellipse le destin du rôle-titre, Maria, qui n’est déjà plus qu’un esprit évoqué par El Duende. Ce rôle parlé est censé nous guider dans les méandres de la vie de Maria, incarnation allégorique du tango lui-même, condamnée à errer éternellement dans Buenos Aires. Mais il serait présomptueux de chercher à bâtir une narration logique. Le poème épique d’Horacio Ferrer est davantage une incantation moderne qui plonge dans les racines profondes du tango et de l’histoire de l’Argentine. Beaucoup sans doute nous échappe dans les mots de Horacio Ferrer incarnés par la figure du Ténor qui joue plusieurs rôles. Maria de Buenos Aires est davantage un oratorio qu’un opéra et il faut accepter de s’y noyer.
Musicalement, Nicolás Agullló est un guide parfait. À la direction de La Grossa, orchestre de tango installé en France qui défend et renouvelle ce patrimoine, le chef-d’orchestre reste durant 90 minutes notre fil rouge pour arpenter les multiples péripéties de l’œuvre. Il est soutenu impeccablement par Carmela Delgado au bandonéon solo et Federico Sanz au violon. Ana Karina Rossi chante le rôle-titre. Elle a l’avantage d’avoir travaillé personnellement avec Horacio Ferrer et elle nous fait visiter avec son chant les territoires sulfureux du tango. Ce plateau musical est la grande réussite de ce spectacle qui nous donne à entendre une partition méconnue qui s’éloigne des clichés du genre.
Matias Tripodi était un choix évident pour chorégraphier cette œuvre monstrueuse. Le chorégraphe argentin poursuit depuis plusieurs années un travail minutieux pour renouveler le tango et l’expurger d’une vision purement folklorique. Il a développé un système de notations chorégraphiques pour ancrer le tango dans le répertoire. Cette exigence artistique l’a conduit à collaborer avec des compagnies prestigieuses, notamment les interprètes de Pina Bausch.
Matias Tripodi avait déjà croisé la route de Bruno Bouché qui l’avait invité à travailler avec sa compagnie Incidence Chorégraphique. Mais le chorégraphe semble avoir été dépassé par l’enjeu. Dans son souci d’éloigner le tango de tout ce qui pourrait le rendre trivial et le faire pencher vers la danse de salon ou un genre provincial et historique, Matias Tripodi casse tous les codes et les repères sans trouver la clef pour leur substituer un récit chorégraphique cohérent. Les douze danseuses et danseuses du Ballet du Rhin semblent comme perdus sur la scène de l’Opéra de Strasbourg, multipliant vainement les courses d’un bout à l’autre du plateau. Il manque surtout un style qui s’imposerait. Jamais Matias Tripodi ne parvient à nous évoquer Buenos Aires, ses tréfonds, son monde interlope, sa sensualité dévorante ou sa violence. La danse est trop lisse, trop léchée, trop jolie et au bout du compte bien fade, ne donnant aucun matériau substantiel au Ballet du Rhin qui s’efface jusqu’à disparaitre derrière les musiciens et les chanteurs qui sont décidément les vraies stars du spectacle.
Maria de Buenos Aires d’Astor Piazzolla chorégraphié par Matias Tripodi par le Ballet du Rhin à l’Opéra de Strasbourg. Avec Ana Karina Rossi (Maria), Stefan Sbonnik (le Ténor), Alejandro Guyot (El Duende) et le Ballet du Rhin (Marin Delavaud, Ana Karina Enriquez Gonzalez, Hector Ferrer, Brett Fukuda, Eureka Fukuoka, Jesse Lyon, Renjie Ma, Alice Pernão, Maria-Sara Richter, Wendy Tadrous, Hénoc Waysenson et Dongting Xing). Vendredi 10 mai 2019. À voir au Théâtre de Colmar les 16 et 17 mai.