[Festival de Marseille] Gregory Maqoma relit magistralement Le Boléro et 300 amateurs refont Le Sacre
La 24e édition du bouillonnant Festival de Marseille s’est ouverte le 14 juin avec la première en France d’une pièce du chorégraphe sud-africain Gregory Maqoma au nom mystérieux, Cion : le Requiem du Boléro de Ravel. Une épopée chorégraphique qui revivifie totalement cette partition musicale archi connue et évoque l’exil des esclaves noirs sur le continent américain. S’y entremêlent différents styles, des danses traditionnelles à une écriture plus urbaine et même un étonnant clin d’œil à la tap dance. Le résultat aboutit à une pièce manifeste puissante qui a fait se lever avec enthousiasme le public marseillais.
Sur la scène, des croix de bois clairsemées comme dans un immense cimetière. Des pleurs d’abord sourds, puis de plus en plus forts s’élèvent dans la semi-pénombre du plateau. Un tambour commence à jouer les notes répétitives du Boléro de Ravel. Musique et lamentations se mêlent pour installer une atmosphère où voix et instruments convoquent a cappella la mémoire des disparus. Inspirés par l’isicathamiya (« Piétiner doucement » en zoulou), né dans les mines d’or où travaillaient les ouvriers zoulous, ces chants racontent la douleur de la perte, la colère aussi.
Chorégraphe en vue de la scène sud-africaine, Gregory Maqoma a puisé son inspiration dans la lecture de deux romans de Zakes Mda sur le destin des esclaves noirs en fuite pour composer cette pièce qui réunit neuf danseurs et quatre chanteurs-musiciens. « Je crée cette œuvre comme une complainte, un requiem nécessaire pour éveiller une partie de nous, le lien avec les âmes des défunts », affirme-t-il.
Cette composition a des accents guerriers. Les gestes jaillissent, les corps sont traversés de spasmes ondulatoires. À genoux, les danseurs frappent le sol avec un tissu sans relâche comme les esclaves battaient le blé. Une énergie fiévreuse circule sur le plateau tandis que les tableaux se succèdent. On pleure les disparus, mais avec une rage aux antipodes de l’abdication. À la création de la pièce en 2017, Gregory Maqoma interprétait Toloki, le pleureur. Il a passé le relais à Otto Nhlapo, l’un des plus anciens danseurs de la compagnie. Il endosse le rôle avec une élégance douloureuse. Et concentre tous les regards, qu’il soit seul drapé d’un immense cache-poussière ou face à l’une des danseuses dans un duo vibrant qui évoque la relation maître-esclave.
Mais le propos de Gregory Maqoma n’est, semble-t-il pas, de céder au désespoir. Le dernier tableau constitue une sorte de final en apothéose où la colère et le recueillement ont cédé la pas à une joie qui emporte tout son passage. Les danseurs s’étourdissent dans un numéro de claquettes déroutant et emballant à la fois.
Présent dans 16 lieux marseillais, le festival a ainsi investi en ce week-end d’ouverture le parc Borély pour un Sacre collaboratif et intergénérationnel interprété par 300 danseurs et danseuses marseillais. Une initiative inspirée de l’expérience menée par le chorégraphe Alain Platel à Gand en 2018. Ces deux représentations sont l’aboutissement de six mois de répétitions pour vingt groupes (pratiquant la danse flamenco, hip-hop, contemporaine, modern jazz, afro-brésilienne, orientale) qui se sont emparés d’une façon personnelle de cette musique. Objectif : composer une vaste chorégraphie collective en ouvrant la danse à tous. Les chorégraphes Yendi Nammour, Isabelle Cavoit et Samir M’Kirech, installés tous les trois à Marseille, ont orchestré cette aventure. En résulte une proposition joyeusement disparate dont on saisit quelques unes des différentes facettes au fur et à mesure de la déambulation des danseurs et danseuses dans le cercle.
Les premiers moments apparaissent comme un peu plaqués sur la musique. Chacun.e donne l’impression de danser un peu de son côté. Le vrai sens du projet apparaît sur la fin quand l’improvisation offre l’occasion à chaque participant.e de partir à la rencontre de l’autre. On voit alors se dessiner sur les visages le bonheur de partager ce moment unique et privilégié de danse. Le public ne sort pas forcément transformé par cette proposition. On ne peut pas en dire autant de ces danseurs et danseuses amateurs.
Cion : le Requiem du Boléro de Ravel de Gregory Maqoma au Théâtre de la Criée. Conception et chorégraphie de Gregory Maqoma. Avec Otto Andile Nhlapo, Roseline Wilkens, Thabang Mojapelo, Smangaliso Ngwenya, Katleho Lekhula, Itumeleng Tsoeu, Lungile Mahlangu, Ernest Balene, Nathan Botha. Le Sacre, création avec 300 Marseillais au parc Borély. Chorégraphes : Isabelle Cavoit, Yendi Nammour, Samir M’Kirech. Samedi 15 juin 2018. Le Festival de Marseille continue jusqu’au 6 juillet.