Monique Loudières – « Serge Lifar était un poète de la danse »
Le Ballet du Capitole ouvre sa saison avec un programme entièrement consacré à Serge Lifar. La soirée met à l’affiche deux de ses chefs-d’oeuvre : la reprise de Mirages et l’entrée au répertoire de Suite en Blanc. Un programme qui permet de prendre la mesure du génie lifarien, présentant deux aspects de son travail : une pièce purement abstraite avec Suite en Blanc, hommage somptueux au vocabulaire académique, et Les Mirages, oeuvre narrative et ballet d’initiation. Le directeur du Ballet du Capitole Kader Belarbi a intitulé cette soiréeJoyaux Français et a demandé à l’Étoile de l’Opéra de Paris Monique Loudières de revenir travailler avec les solistes de Mirages. Celle qui a dansé Serge Lifar sur la scène du Palais Garnier a évoqué pour Danses avec la Plume sa vision de la danse de ce chorégraphe et ses souvenirs d’interprète.
Comment pourrait-on définir le style de Serge Lifar ?
Pour ce programme au Ballet du Capitole, ce sont évidemment deux œuvres différentes. Les Mirages est un ballet narratif, un ballet à thème alors que Suite en Blanc est un ballet abstrait. Mais ce qu’ils ont en commun c’est l’esthétisme de Serge Lifar, qui était très féru et très inspiré par l’art grec antique. Dans sa manière d’appréhender et d’utiliser la danse académique, il y avait toujours cette inspiration picturale et ce mouvement de l’art grec en général. Il était admiratif d’une certaine forme d’esthétisme. Il a aussi voulu faire évoluer le mouvement comme l’a fait George Balanchine, ensuite Maurice Béjart. C’était quelque chose qui allait davantage vers les spirales dans le corps, les oppositions, l’allongement du geste, ce que l’on a appelé ensuite le néo-classicisme qui se situe entre la danse académique et le mouvement plus moderne. Serge Lifar fut aussi un vrai metteur en scène de théâtre, il était très attaché à donner du relief à ses pièces et du mouvement dans l’espace. Je le définirais aussi comme un poète de la danse qui, au travers de ses narrations, donnait à percevoir des symboliques très fortes.
Les Mirages est une pièce majeure dans le répertoire de Serge Lifar. C’est un ballet narratif. Quelles sont ses caractéristiques ?
Ce ballet est vraiment porteur de symboles forts, qui sont d’ailleurs des symboles intemporels : le devenir de l’être humain, l’apprentissage de la vie d’adulte. On peut même aller vers une inspiration plus spirituelle avec la présence de la conscience, de l’âme. Le jeune homme, dans sa solitude, cherche à se trouver, à évoluer vers sa vie d’adulte. Cela représente un peu la période initiatique d’un adolescent qui passe par différentes expériences de la vie qui lui apprennent à mieux se connaître et à faire de meilleurs choix. L’Ombre est là pour le guider dans son cheminement et représenter sa conscience. Et il parvient à assumer sa solitude en ayant appris à se connaître et à savoir quel être humain il va devenir.
Suite en Blanc est un ballet très différent, c’est de la pure danse. Comment peut-on le voir aujourd’hui ?
C’est une démonstration de danse avec beaucoup de variations et de caractères différents, et c’est cela qui est intéressant. Au travers de cette abstraction, il y a des styles et des caractères différents portés par la musique de Lalo. C’est important de dire qu’il y a chez Serge Lifar une vraie osmose avec le travail qu’il a fait avec les compositeurs et les décorateurs, ce qui met l’œuvre en valeur. La musique dicte le geste, elle l’inspire tellement la construction en amont a été réalisée en totale osmose. C’est plus abstrait dans Suite en Blanc mais il y a un travail de style, de musicalité et de caractère. C’est un ballet très populaire, très apprécié du public : il y a le tutu, un style très pur, très distingué, très élégant… Très français comme disent les étrangers ! C’est un petit joyau, c’est un bijou ! C’était une période tellement riche, avec des collaborations avec des artistes de très haut niveau. Ce sont des œuvres qui parlent au plus grand nombre. Chacun y trouve son bonheur, c’est généreux.
Quelles sont les difficultés rencontrées aujourd’hui par les jeunes danseuses et danseurs pour interpréter Serge Lifar ?
Au Ballet du Capitole, les artistes viennent d’un peu partout. Ils n’ont donc pas la même culture, ils n’ont pas eu la même éducation ou pédagogie ni le même style. Il faut essayer d’avoir un langage commun. Pour eux, c’est un travail d’écoute, d’observation et d’appréciation de ce que ce style va leur apporter. Surtout au niveau de l’interprétation, j’essaye de les aider à s’épanouir, trouver leur propre manière d’interpréter les rôles, mais aussi de respecter ce style proprement lifarien, cette musicalité. Lors des répétitions, je leur ai expliqué à quel point Serge Lifar était un précurseur, quand on voit son travail au niveau de la taille, de spirales dans le dos, des formes qui sont inspirées de l’art grec. Cela leur sert dans bien d’autres types de répertoires et même pour les chorégraphes contemporains : Wayne McGregor, William Forsythe mais aussi George Balanchine.
Vous avez interprétez ces deux ballets à l’Opéra de Paris. Quels souvenirs en gardez-vous ?
Ce qui a été très important pour moi, c’est que j’ai eu la chance de rencontrer Michel Renault et Yvette Chauviré qui avaient créé les rôles des Mirages, et ensuite Cyril Atanassoff qui avait repris le rôle du jeune homme. J’ai eu l’extrême bonheur de danser ce ballet avec Cyril et de bénéficier de la transmission d’Yvette Chauviré. C’était une chance inouïe ! En même temps, c’était pour moi une découverte de ce style mais avec les créateurs des rôles. C’était un cadeau du Ciel, surtout que Cyril et Yvette sont deux artistes très créatifs, qui ont eux-mêmes beaucoup fouillé le rôle – Cyril avec plus d’instinct, Yvette avec plus de recherche. Elle avait 10.000 idées à la seconde et Dieu sait si ce rôle de l’Ombre est riche ! C’était à moi ensuite de faire mes choix et de créer mes fils conducteurs. C’était une richesse de transmission et une forme de liberté de le recréer à ma manière.
Joyaux Français : Suite en Blanc/Les Mirages de Serge Lifar – Du 23 au 27 octobre 2019 au Théâtre du Capitole.