Centenaire Merce Cunningham – L’hommage de trois compagnies classiques
Le Festival d’Automne offre un portrait Merce Cunningham en forme de feu d’artifices, à l’occasion du centenaire de la naissance du chorégraphe américain. Le Théâtre de Chaillot, en collaboration avec le Théâtre de la Ville, propose ainsi l’une des soirées les plus passionnantes de cet hommage en conviant trois compagnies classiques qui ont interprété ce répertoire : le Ballet Royal de Flandre, le Royal Ballet de Londres et le Ballet de l’Opéra de Paris.Trois troupes, trois pièces différentes diversement réussies et trois époques montrant diverses facettes de la danse de Merce Cunningham. Avec un point commun : l’excellence des interprètes tous très justes dans le geste et le style.
Merce Cunningham s’est posé de son vivant la question du devenir de son œuvre et de la manière dont elle pourrait lui survivre. L’expérience amère de la compagnie de Martha Graham au bord du gouffre après sa disparition a suscité un choix radical : dissoudre sa compagnie après une tournée posthume et créer une fondation chargée de veiller à son héritage. Ce fut une décision fort sage permettant de rendre ce répertoire vivant. Merce Cunningham a fort peu chorégraphié pour d’autres compagnies que la sienne. Sa méthode de travail, très minutieuse et en partenariat constant avec les danseuses et les danseurs ne lui permettaient guère de s’attarder avec d’autres troupes. Aujourd’hui pourtant, plusieurs compagnies plus en Europe qu’aux États Unis – se sont emparées des œuvres de Merce Cunningham avec succès.
Cette soirée réunissant trois compagnies classiques en est une preuve éclatante. Le Ballet Royal de Flandre a ouvert ces festivités avec une pièce assez récente, datant de 1998 : Pond Way. Conçue pour 13 danseuses et danseurs avec la musique de Brian Eno et le fond de scène signé Roy Lichtenstein, l’oeuvre se veut une évocation aquatique, une réminiscence de jets de pierre dans l’eau comme le confiait le chorégraphe en évoquant cette pièce. Se dégage en tout cas un calme intense souligné par les costumes immaculés. Merce Cunningham a troqué les habituels collants et justaucorps pour des pantalons et des chemises amples ouvertes sur les côtés, comme imitant le plié des articulations. Et si l’on y retrouve les fameuses arabesques arrêtées de Merce Cunningham, le chorégraphe s’est aventuré avec Pond Way dans un style moins habituel : une multiplication de petits sauts qui semblent imiter les ricochets sur l’eau, le haut du corps qui se penche créant une danse de guingois mais enserrée dans un grand mouvement fluide. Merce Cunningham y a ajouté ces bras pliés qui rendent le mouvement plus riche encore et dessinent des symétries complexes, une élégance extrême magnifiée par la toile fond de scène signée Roy Lichtenstein. L’interprétation des artistes du Ballet de Flandres y est irréprochable.
Créée à Londres en 1964, Cross Currents nous ramène plus de 50 ans en arrière et présente une facette plus étonnante encore du chorégraphe. C’est une pièce très courte, sept minutes qui pourraient presque ressembler à un pas de trois balanchinien en noir et blanc. Merce Cunningham flirte ici avec le vocabulaire néo-classique américain. Un danseur – Joseph Sissens – et deux danseuses – Romany Pajdak et Julia Roscoe – sont tous les trois impeccables dans cette succession de portés et d’arabesques en arrière.
Le Ballet de l’Opéra de Paris a eu une forte proximité avec Merce Cunningham. Le Palais Garnier a souvent accueilli sa compagnie et il créa pour la troupe en 1973 Un Jour ou Deux. Mais le ballet parisien vint au Théâtre de Chaillot avec Walkaround Time, entré au répertoire en 2017. Cette reprise montre que Merce Cunningham n’est guère soluble avec d’autres chorégraphes. Cette pièce de 1968 présentée il y a deux ans dans une soirée mixte et bancale avec William Forsythe semblait fort peu à sa place. Elle prend une autre tournure en concluant ce programme. Après Pond Way et Cross Currents, Walkaround Time trouve tout son sens. L’œil, habitué à la fin du programme à l’esthétique et au style de Merce Cunningham, prend plaisir à ce petit précis de l’art du chorégraphe et de son souci de ne jamais synchroniser danse, musique et scénographie, mais de les faire exister en soi et cohabiter sur la scène. Et pour cette œuvre créée en 1968, Merce Cunningham fait appel aux stars mondiales Jasper Johns et Marcel Duchamp pour les décors et les costumes.
Si Walkaround Time s’intègre mieux dans une soirée tout Cunningham, la pièce reste nonobstant problématique. Les vingt premières minutes sont réjouissantes, on y retrouve l’univers et la gestuelle du chorégraphe. Mais la seconde partie paraît aujourd’hui terriblement datée. Le retour des neuf danseuses et danseurs sur scène, mimant un moment de repos après un travail en studio, ne supporte pas vraiment d’être revu. C’est long, interminable et sans l’effet de surprise, ce moment semble d’une grande vanité tout comme ces mots lancés au haut-parleur, déclinaison sur le mariage ou les plaisirs de l’onanisme. La pièce perd alors de la puissance qu’elle démontrait au début. Elle la retrouve par moments dans la dernière partie avec une série de solos. On retiendra celui d’Emilie Cozette. L’Étoile de l’Opéra de Paris a disparu des distributions de solistes. Elle revient ici affûtée dans cette aventure collective avec beaucoup de cran, un nouveau look à la garçonne qui lui va à merveille et une danse magnifique. À ce moment de cette trop longue pièce, Emilie Cozette, superbe, sauve la fin de la soirée de l’ennui…
Soirée Merce Cunningham au Théâtre de Chaillot. Pond Way de Merce Cunningham par le Ballet Royal de Flandre, avec Anaïs de Caster, Nini de Vet, Lara Fransen, Ruka Nakagawa, Nicha Rodboon, Astrid Tinel, Shelby Williams, Nicolas Wills, Matt Foley, Gary Lecoutre, Philippe Lens, Arthur Louarti et Teur van Roosmalen ; Cross Currents de Merce Cunningham par le Royal Ballet de Londres avec Romany Pajdak, Julia Roscoe et Joseph Sissens ; Walkaround Time de Merce Cunningham par le Ballet de l’Opéra de Paris avec Emilie Cozette, Victoire Anquetil, Lucie Fenwick, Sarah Kora Dayanova, Sophia Parcen, Florian Magnenet, Yann Chailloux, Julien Cozette et Samuel Bray. Mardi 22 octobre 2019. À voir jusqu’au 26 octobre.