Festival June Events INDISPENSABLE ! – Nacera Belaza, Noé Soulier et Carolyn Carlson
Pour la rentrée, le festival June Events, annulé en juin, a proposé une édition 2020 resserrée mais tout aussi foisonnante et rebaptisée Indispensable !. Anne Sauvage, la directrice de l’Atelier de Paris, a imaginé à toute vitesse cette édition « reloaded », des retrouvailles joyeuses dans le cadre superbe de la Cartoucherie de Vincennes, le QG du Centre de développement chorégraphique national. Dans la douceur de cette fin d’été, artistes et publics affichaient une joie partagée de pouvoir enfin remonter sur scène et présenter des spectacles après une trop longue glaciation. Neuf jours de fêtes avec plusieurs têtes d’affiches dont Nacera Belaza, Noé Soulier et Carolyn Carlson, fondatrice de l’Atelier de Paris. Fidèle à son esprit, le festival a montré un panorama sur la diversité et la richesse de la création contemporaine. Retour sur trois temps forts de cette édition 2020.
Noé Soulier pouvait légitimement se réjouir de prendre les rênes du prestigieux CNDC d’Angers, lieu mythique qui a vu passer les grandes figures de la danse française et internationale. Installé en janvier dernier, il eut à peine le temps de déballer ses cartons que déjà, les exigences du confinement forçaient à fermer et à geler la création. Pour ce retour attendu du jeune chorégraphe français, l’Atelier de Paris et Monuments en Mouvement ont offert à Noé Soulier rien moins que la salle d’armes de la Conciergerie de Paris, pour un pièce baptisée Passages. Un titre qui renvoie à l’architecture du lieu et ces colonnes qui la supportent avec lesquelles Noé Soulier fait jouer ces six interprètes. Le danger serait grand de se laisser submerger par la majesté du lieu qui impose sa propre scénographie contre laquelle il est inutile de lutter. C’est l’écueil qu’a superbement évité Noé Soulier. Mieux : il s’approprie la salle d’armes de la Conciergerie pour en faire une actrice de sa chorégraphie. Les quatre danseuses et les deux danseurs construisent un jeu de cache-cache entre les colonnes. Ils surgissent d’on ne sait où, seul, puis à deux ou à plusieurs, se lancent dans des courses effrénées pour mieux les stopper, opèrent des marches arrières, accélèrent à nouveau, puis ralentissent et se figent. Le public assis sur les côtés n’échappe pas aux angles morts qui sont revendiqués par la chorégraphie.
Tout aussi percutant est l’absence totale de musique, parce qu’il est difficile au fond de faire résonner quelques notes que ce soit dans ce palais gothique. C’est donc dans son tréfonds que chacune et chacun puise sa musicalité pour parfaire chaque geste et le rendre juste. Noé Soulier sait ne jamais s’enfermer dans un vocabulaire spécifique. De l’arabesque classique à la danse au sol lorgnant vers le hip hop, son langage est précis, multiple, avec le souci constant de décomposer le mouvement et de rechercher l’énergie qu’il contient. Enfin Passages est aussi une pièce du déconfinement et du « monde d’après » : jamais les interprètes ne se touchent, à peine se frôlent-ils ! Si le chorégraphe a imaginé cette pièce pour la Conciergerie, elle recèle assez de complexités et de possibles pour s’adapter et se réécrire dans d’autres espaces hors-les murs.
En avant-première au Théâtre de l’Aquarium, Nacera Belaza présentait l’Onde, sa dernière pièce qui devait être créée en juin dernier au Festival de Marseille, lui-aussi empêché. On reverra avec bonheur ce spectacle lors de la tournée qui s’annonce mais c’est déjà une oeuvre très aboutie que la chorégraphe a présentée. Dans le prolongement de son travail, on retrouve ce goût de l’ensemble choral, des individus qui font corps. L’Onde se joue dans la pénombre et on peine tout d’abord à distinguer les corps. Sur un plateau crépusculaire se déploie un enchainement de mouvements perpétuels, de la répétition ad libitum du geste toujours enrichi et jamais tout à fait le même. On pressent la référence de rituels dont on ne saisit pas nécessairement la clef mais peu importe. Nacera Belaza au milieu de son groupe de danseuses nous envoûte et nous élève.
Carolyn Carlson, l’âme de L’Atelier de Paris et de June Events, clôturait le festival en compagnie d’un de ses danseurs, Riccardo Meneghini. En ouverture, la chorégraphe américaine nous offre un solo judicieusement intitulé Prologue, qui constitue un petit moment de grâce absolue. Carolyn Carlson défie le temps. Silhouette intacte, elle décrit avec ses longs bras une chorégraphie tout en poésie, comme elle le revendique. Personne aujourd’hui ne peut rivaliser dans cette maitrise du haut du corps. Les mains ne cessent de bouger, la poitrine de s’élargir ou de se refermer. Entre danse et mime, Carolyn Carlson nous raconte des histoires. Lesquelles ? À chacun-e de se construire la sienne. Il y a bien quelques références sonores à l’écologie, enjeu majeur de l’époque, mais rien n’interdit de les ignorer pour se laisser emporter par l’ampleur du geste de Carlson. Il n’y a aucune esbroufe, aucun effet dans sa danse. Tou y est juste et infiniment drôle.
On retrouve évidemment cette patte que l’on appelle le style dans The Seventh Man interprété sur une musique jouée en direct par Guillaume Perret, magnifique homme-orchestre de cette soirée. Le titre fait référence au poète hongrois Attila József, artiste maudit de son vivant, indique la note d’intention. Ce solo est porté par Riccardo Meneghini, danseur à la fois athlétique et félin qui déploie dans la première partie une danse virtuose. L’on y perçoit des influences venues du tai-chi, tout en en ondulation, jouant de face, de dos, de profil, dans des rectangles de lumière. C’est la partie la plus réussie de The Seventh Man. La suite, qui voit le danseur jouer et se débattre avec sept chemises de couleurs différentes, n’a pas la même puissance chorégraphique. On retrouve un peu tard l’excellence du début dans l’épilogue où la danse reprend ses droits.
Ce festival, même raccourci, a démontré la volonté farouche du public de retrouver le chemin des salles de théâtres. Anne Sauvage, sa directrice, a su piloter avec ses équipes ce rendez-vous majeur de la danse contemporaine dans l’observation scrupuleuse des mesures sanitaires. Après un été blanc sans théâtre, sans danse, sans musique, June Events dans sa version INDISPENSABLE ! a fait renaitre l’espoir et la flamme parmi les artistes et le public. Continuons à les entretenir !
L’Onde de Nacera Belaza, avec Nacera Belaza, Aurélie Berland, Beth Emmerson, Magdalena Hylak et Mélodie Lasselin. Mardi 8 septembre 2020 au Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes. À voir au Festival de Marseille les 29 et 30 octobre, puis en tournée.
Passages de Noé Soulier avec Stéphanie Amurao, Lucas Bassereau, Meleat Fredrikson, Yumiko Funaya et Nangaline Gonis. Mercredi 9 Septembre 2020 à la Conciergerie de Paris.
Prologue de et avec Carolyn Carlson ; The Seventh man de Carolyn Carlson, avec Carolyn Carlson et Riccardo Meneghini. ; Musique live de Guillaume Perret. Samedi 12 septembre 2020 au Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes.