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Les sorties livres danse de la rentrée 2020

Belle rentrée littéraire côté danse avec des ouvrages qui nous ont charmés à tous points de vue. Des livres virtuoses comme l’intense roman Chavirer signé Lola Lafon, les mémoires foisonnantes de Alma Guillermoprieto, journaliste, et ancienne danseuse chez Merce Cunningham, ou le très original roman graphique de Maurane Mazars. Sans oublier Nouvelle histoire de la danse en Occident sous la direction de Laura Cappelle, sociologue et critique de danse.

 

Tanz de Maurane Mazars

Paru le 28 août 2020 chez Le Lombard

Ce qu’en dit la 4e de couverture – Allemagne, 1957. Uli est un jeune homme de 19 ans, élève d’une prestigieuse école de danse moderne. Sa fougue contraste avec la mélancolie de l’Europe d’après-guerre. Il est passionné de comédies musicales mais cette passion est moquée par ses camarades qui jugent cette discipline trop commerciale. Lors d’un voyage à Berlin, il rencontre Anthony, un jeune danseur afro-américain. Ce dernier suggère à Uli de venir tenter sa chance à Broadway…

L’autrice – Née en 1991, diplômée Bachelor en Communication visuelle, option Image/Récit à la Haute École d’art et de design (HEAD) de Genève, Maurane Mazars a été lauréate du Prix genevois 2015 de la jeune bande dessinée avec Acouphènes. Tanz est son projet de diplôme de Master à la Haute École des Arts du Rhin.

Notre avis – Quel beau projet ! Quel beau roman graphique ! On y suit le personnage d’Uli, jeune danseur allemand à la fin des années 1950 prêt à tout pour écouter ce que son cœur et son corps lui dictent. Attiré par l’univers des comédies musicales, il s’envole vers New York où il se révèle en tant que danseur et en tant qu’homme. Tanz a le charme incandescent des romans initiatiques. Tiraillé entre son héritage culturel de l’Europe d’après-guerre et l’effervescence d’une Amérique en ébullition, Uli cherche sa voie. Le dessin est alerte, virevoltant. Maurane Mazars a su saisir le mouvement avec beaucoup de justesse et émotion. La jeune autrice, qui reconnaît comme référence le Polina de Bastien Vivès, se glisse dans son sillage avec un talent certain. Au-delà de la danse, des thématiques comme le racisme ou la liberté sexuelle sont habilement évoquées. C’est enfin un très bel hommage à des figures telles que Mary Wigman, Kurt Jooss, Rudolf Laban, Pina Bausch qui traversent le récit par touches oniriques.

Tanz de Maurane Mazars

 

T’atteindre de Elle Seveno

Paru le 2 juillet 2020 chez Hugo Roman

Ce qu’en dit la 4e de couverture – Une vidéo. C’est ce qu’il a fallu pour bouleverser la vie du jeune Aidan. Dessus : une danseuse en pleine chorégraphie. À l’intérieur de lui, c’est le chaos : il faut qu’il danse à ses côtés. Fini les terrains de sport, il se met au classique. Seul cet objectif compte désormais, et il le défendra contre les préjuges et les moqueries. Des années plus tard, Aidan touche son rêve du doigt. Il a intégré la même école que son idole, mais a du mal à se plier à la discipline extrême qu’on lui impose. Respecter les règles n’a jamais été son fort… Peut-il vraiment nier qui il est ? Même pour elle ?

L’autrice – Elle Seveno a développé dès son plus jeune âge une forte attirance pour les histoires d’amour. Passionnée d’écriture, elle s’est essayée au fantastique puis au thriller avant de découvrir la New Romance grâce à la série Beautiful.

Notre avis – Roman divisé en trois parties, T’atteindre déroule son histoire d’abord du point de vue du personnage masculin, Aidan, puis de Maya, le personnage féminin, pour les faire se rejoindre dans la troisième partie. Une manière  de découvrir avec force détails la trajectoire des deux héros au sein de la même école de danse. Version livresque des feel good movies sur la danse, où les scénaristes ont coutume d’opposer hip hop et danse classique, comme deux genres incompatibles, T’atteindre pourrait ne pas atteindre son but. Notamment auprès des réfractaires aux relations amoureuses compliquées. Les adeptes de littérature « young adult » s’en délecteront.

T’atteindre de Elle Seveno

 

Chavirer de Lola Lafon

Paru le 19 août 2020 chez Actes Sud

Ce qu’en dit la 4e de couverture – 1984. Cléo, treize ans, qui vit entre ses parents une existence modeste en banlieue parisienne, se voit un jour proposer d’obtenir une bourse, délivrée par une mystérieuse Fondation, pour réaliser son rêve : devenir danseuse de modern’ jazz. Mais c’est un piège, sexuel, monnayable, qui se referme sur elle et dans lequel elle va entraîner d’autres collégiennes. 2019. Un fichier de photos est retrouvé sur le net, la police lance un appel à témoins à celles qui ont été victimes de la Fondation. Devenue danseuse, notamment sur les plateaux de Michel Drucker dans les années 1990, Cléo comprend qu’un passé qui ne passe pas est revenu la chercher et qu’il est temps d’affronter son double fardeau de victime et de coupable. Chavirer suit les diverses étapes du destin de Cléo à travers le regard de ceux qui l’ont connue tandis que son personnage se diffracte et se recompose à l’envi, à l’image de nos identités mutantes et des mystères qui les gouvernent. Revisitant les systèmes de prédation à l’aune de la fracture sociale et raciale, Lola Lafon propose ici une ardente méditation sur les impasses du pardon, tout en rendant hommage au monde de la variété populaire où le sourire est contractuel et les faux cils obligatoires, entre corps érotisé et corps souffrant, magie de la scène et coulisses des douleurs.

L’autrice – Écrivain et musicienne, issue d’une famille aux origines franco-russo-polonaises, Lola Lafon est l’autrice de cinq romans dont La petite communiste qui ne souriait jamais.

Notre avis – Chavirer compte parmi ses verbes qui peuvent aussi bien désigner les mouvements du cœur que ceux du corps. En cela, il constitue un titre parfait à ce roman littéralement bouleversant né du mouvement #MeToo. Dès le début du récit, l’histoire de Cléo, ado des années 1980, prise dans le piège d’une rabatteuse bien sous tous rapports nous retourne. Par la force des détails, la puissance du propos sur la quête de célébrité, bien avant les réseaux sociaux et les émissions de réalité, la volonté de se sortir de son milieu social. Cléo pense que la danse va lui offrir cette échappatoire à laquelle elle aspire. Mais la jeune fille se révèle trop naïve, trop mal dans ses chaussons, trop avide de reconnaissance pour détecter ce que cachent les prodigalités de Cathy. Ah le bonheur de se faire offrir un brillant à lèvres à la noix de coco, ou son premier justaucorps vert émeraude Repetto quand on a 13 ans et qu’on vit dans un milieu modeste ! « Elle chantonnait un refrain que les adultes n’entendaient pas, elle parlait couramment une langue adolescente semée de mots magiques : futur, repérée, exceptionnelle. »  Cette bourse à la fondation Galatée, c’est l’occasion inespérée de quitter ses parents, son appartement de banlieue, de tenter les études de danse dont elle a toujours rêvé. Hélas, rien ne va pas se dérouler comme elle l’avait imaginé. Et la jeune fille va perdre dans cette entreprise scabreuse son innocence, ses illusions et mettre plusieurs décennies à s’affranchir du traumatisme. Chavirer est un roman à plusieurs entrées, éminemment politique, qui raconte ce que le corps des femmes peut endurer, étouffer, imprimer, garder enfoui longtemps. Très longtemps…

Chavirer de Lola Lafon

 

La révolution, la danse et moi de Alma Guillermoprieto

Paru le 26 août 2020 chez Marchialy

Ce qu’en dit la 4e de couverture – En 1970, à New York, Alma Guillermoprieto, d’origine mexicaine, suit les cours de danse contemporaine de Merce Cunningham. Quand celui-ci lui parle d’un poste de professeur à l’École nationale des arts de La Havane, son monde s’effondre : la jeune danseuse rêvait d’intégrer sa compagnie. Alma part résignée, cherchant dans l’aventure une façon de faire le deuil de sa carrière artistique. Elle a alors 20 ans.
Lorsqu’elle atterrit à Cuba, elle appréhende les restrictions liées à l’embargo américain et au régime de Fidel Castro. Ses craintes sont rapidement confirmées : les salles de danse sont privées de miroirs, considérés comme des instruments contre-révolutionnaires. Son séjour devient alors le temps d’un apprentissage inattendu : celui de sa conscience politique. Alma Guillermoprieto revient sur cette expérience qui a sonné le glas de sa carrière de danseuse et marqué le début de sa vie de journaliste. Avec ce récit initiatique, elle signe un livre intense.

L’autrice – Alma Guillermoprieto est née en 1949 à Mexico City. Elle s’installe à New York avec sa mère à l’adolescence et y suit des cours de danse contemporaine de très haut niveau jusque dans les années 1970. Elle devient ensuite correspondante pour le prestigieux quotidien anglais The Guardian. Depuis cette époque, elle exerce le métier de journaliste pour la presse anglophone et hispanophone, principalement en Amérique latine. Après avoir écrit pour The Washington Post et The Guardian, elle est nommée à la tête des bureaux de Newsweek en Amérique latine pendant près de dix ans. Depuis le milieu des années 1990, elle travaille pour The New Yorker et The New York Review of Books.

Notre avis – En 1970, âgée de 20 ans, Alma Guillermoprieto est embauchée pour donner des cours de danse moderne à l’école nationale des arts de la Havane. C’est Merce Cunningham lui-même qui lui a suggéré d’accepter ce poste dont personne ne veut, encouragé par Twyla Tharp. « Si j’étais toi, j’accepterais. Tu n’arriveras à rien en restant ici. » Déçue de ce lot de consolation à défaut d’intégrer la compagnie du célèbre chorégraphe, la jeune femme se plie de bonne grâce à la requête du maître. La confrontation avec le régime de Fidel Castro et l’idéalisme du peuple cubain vont largement – et durablement – ébranler sa conscience politique. Il y a quelques années, la danseuse devenue célèbre journaliste a décidé de compiler ses souvenirs, traduits en français seulement en 2020. Cette aventure cubaine a duré six mois, mais elle a sans aucun doute bouleversé le cours de la vie de la jeune femme. Ce livre constitue un témoignage intime et émouvant du Cuba de cette époque. En rentrant à New York, Alma Guillermoprieto a abandonné la danse pour le journalisme mais « De toute [sa] vie, ensuite, aucune activité ne serait aussi profondément difficile, aussi épuisante et exigeante, et pour les mêmes raisons, aucune ne [lui] procurerait autant de plaisir. »

La révolution, la danse et moi de Alma Guillermoprieto

 

Nouvelle histoire de la danse en Occident (sous la direction de Laura Cappelle)

Paru le 17 septembre 2020 au Seuil

Ce qu’en dit la 4e de couverture – La danse représente un réel défi pour les historiens. Art de l’éphémère, elle ne laisse dans son sillage que des traces très partielles une fois évanouie, et continue souvent à être oubliée dans les récits de l’histoire de l’art. Afin de combler ce manque, Laura Cappelle a réuni vingt-sept des meilleurs spécialistes internationaux de la danse occidentale, dont les travaux mettent en avant sur la longue durée, depuis la Préhistoire jusqu’à nos jours, une multiplicité de techniques et de pratiques.

Des premiers indices de transes dansées à la libération moderne du corps, des ballets de la Renaissance à la création chorégraphique actuelle, cet ouvrage décrypte le mouvement à la lumière des dynamiques sociales, culturelles et artistiques qui l’ont façonné en Occident. La danse y est contemporaine, classique, apollinienne, dionysiaque, politique, esthétique, populaire ; de la ville à la scène, elle brouille les frontières et revendique aussi bien l’élévation que l’ancrage au sol, la virtuosité que le dépouillement.

Projet essentiel pour que les fruits de la recherche nourrissent la culture générale de la danse ainsi que la compréhension des œuvres et des pratiques aujourd’hui, cette traversée de l’histoire s’adresse à tous les publics.

L’autrice – Laura Cappelle est sociologue et journaliste. Ancienne élève de l’École normale supérieure de Lyon, elle est aujourd’hui chercheuse associée au Centre de recherche sur les liens sociaux (CERLIS ) et travaille comme critique de danse et de théâtre pour le New York Times, le Financial Times ou encore Dancing Times.

Notre avis – Premier ouvrage collectif publié depuis 25 ans sur l’histoire occidentale de la danse, il a le bon goût d’être aussi bien destiné aux professionnels et aux pédagogues qu’aux amateurs. Comme quoi on peut allier exigence et contenus accessibles. Ce panorama d’une grande richesse en raison de la qualité des vingt-sept spécialistes internationaux qui s’y succèdent permet de balayer toute une humanité dansante. Outil indispensable, car comme le souligne Laura Cappelle en introduction, « Paradoxalement, la danse est à la fois l’un des arts les plus pratiqués par les amateurs et presque entièrement ignorée dans les enseignements de culture générale artistique « , cette Nouvelle histoire de la danse en Occident est à déguster pas à pas, chapitre après chapitre, dans son ordre chronologique ou par affinités électives. Personnellement, j’ai commencé ma lecture par Du bal à l’écran : la danse à l’âge des médias de masse d’Aude Thuries, docteure en danse à l’université de Lille et enseignante en culture chorégraphique. Passionnant !

Une interview de Laura Cappelle sur cet ouvrage est à suivre sur DALP.

Nouvelle histoire de la danse en Occident (sous la direction de Laura Cappelle)

 



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