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[Série L’Opéra] Marc-Emmanuel Zanoli : « L’approche à la danse se voulait vraie »

Danseur depuis 17 ans au Ballet de l’Opéra de Bordeaux, Marc-Emmanuel Zanoli est aussi fondateur et directeur de la troupe Le Ballet de poche, ainsi que chorégraphe. C’est sous cette dernière casquette qu’il a travaillé sur la série L’Opéra, en chorégraphiant les passages de danse classique, les cours de danse ou les répétitions, les spectacles en scène et même quelques extraits d’une création, Les Liaisons dangereuses. Quels sont les impératifs de la danse à la télévision ? Comment travailler la danse avec des comédiens et comédiennes ? Pour DALP, Marc-Emmanuel Zanoli revient sur cette expérience du petit écran, et livre son regard de danseur professionnel sur la justesse (ou non) de la série sur le milieu du ballet.

Marc-Emmanuel Zanoli

Quand la production de la série L’Opéra vous a contacté pour ce projet de série, quel était votre rapport à la télévision en tant que danseur et chorégraphe ?

Il y a quelques années, j’avais participé à une série qui ne m’avait pas laissé un bon souvenir. Je devais proposer une chorégraphie sur une musique imposée, très jolie en soi et qui m’avait inspiré. Mais lors de la diffusion de l’épisode, je me suis rendu compte que la production avait changé la musique, ma chorégraphie ne ressemblait donc plus à rien. J’avais été déçu, pour mon travail et celui des danseurs et danseuses. Quand la série L’Opéra m’a contacté, je leur ai parlé de cette expérience en faisant comprendre que je ne voulais pas partir sur le même principe. Mais j’avais envie de faire confiance. Puis j’ai lu les scénarios et ils m’ont encore plus donné envie d’y participer. Pour une série sur l’Opéra de Paris, je me suis d’abord demandé pourquoi la production ne prenait pas un danseur-chorégraphe de l’institution. Mais au final, c’est une bonne idée de prendre quelqu’un de l’extérieur, qui a un regard autre et qui puisse apporter quelque chose de différent.

 

Quel était votre travail sur cette série ?

Je devais créer des chorégraphies qui puissent être dignes d’une compagnie professionnelle. J’ai repris des morceaux du Lac des cygnes que j’ai adaptés. J’ai aussi chorégraphié les barres pendant les scènes de cours de danse ou les scènes de répétitions. J’ai aussi créé des extraits d’un ballet, Les Liaisons dangereuses, avec deux pas de deux et une scène de bal.

 

Quelles sont les difficultés pour créer de la danse non pas pour la scène, mais la télévision ?

Il faut savoir lâcher du lest. Par exemple pour Les Liaisons dangereuses, j’avais dans la tête un ballet avec une scénographie précise. Mais ce n’est pas moi qui ai eu le dernier mot sur ce sujet. Pour ce genre de projet, il faut avoir conscience qu’on lâche sa création et que d’autres personnes vont s’en occuper, ce qui peut être un peu frustrant.

Je devais aussi adapter la chorégraphie aux impératifs de la production, par exemple rajouter une diagonale alors qu’il n’y en a pas dans la chorégraphie originale, etc. Et je devais créer des chorégraphies crédibles, qui pourraient être dansées par des pros, mais qui ne mettent pas non plus en danger les comédiens et comédiennes qui ne sont pas danseurs pros, même s’ils se sont tous et toutes beaucoup entraînées.

Série L’Opéra

Comment fait-on danser des comédiens et comédiennes ?

Je suis arrivé sur le plateau avec des chorégraphies et des propositions, totalement ouvert pour rendre serein l’exécutant : je n’aime pas voir les danseurs stressés dans mes chorégraphies. Cela été un travail d’écoute, d’échange, de convaincre parfois un comédien qu’il était capable de faire ce que je lui proposais malgré ses nombreux doutes. On essaye de ne pas les noyer sous des milliers de corrections, mais de ne pas leur laisser passer de mauvais automatismes. On doit dire les choses avec bienveillance et réconfort. Beaucoup avaient différentes expériences de la danse. C’était un challenge très fort pour eux. Et je suis bluffé et fier d’eux quand je vois le résultat.

 

Et comment avez-vous travaillé avec chacun.e eux, qui avaient tous et toutes des expériences différentes à la danse ?

Ariane Labed (l’Étoile Zoé qui tente de revenir de blessure) aurait pu être une danseuse contemporaine exceptionnelle si elle avait continué dans cette voie, elle a un tempérament et une présence très animale qui captive. Dans la série, on la voit aussi sur pointes, notamment dans le pas de deux du Lac des cygnes. Cela a été très dur pour elle, physiquement et émotionnellement, c’est une perfectionniste qui ne souffre pas l’à-peu-près. Mais elle remporte le challenge haut la main : elle est crédible. Adrien Dewitte (Valentin, jeune Sujet ambitieux) nous a le plus étonnés. Il vient de la gymnastique artistique. Quand je l’ai rencontré en novembre 2019 pour un premier cours, il avait la carrure du gymnaste et comme une forme de raideur, mais une énergie et une envie folle. C’est un acharné ! Il s’est mis à la danse contemporaine, il a commencé à se détendre, il a été engagé dans la série et a entamé la formation mise en place par Astrid Boitel, la directrice artistique de la danse sur la série. Quand je l’ai retrouvé deux mois plus tard, il s’était transformé. Aujourd’hui, deux ans plus tard, il peut faire des variations de répertoire, même si un.e spécialiste voit qu’il n’a pas eu de formation classique.

Loris Freeman (Jonas, l’Étoile qui fait ses adieux) a été danseur professionnel pendant une dizaine d’années en Allemagne, il a dû arrêter plus tôt pour cause de blessure. Il a une sacrée présence. On lui a d’ailleurs rajouté un solo et cela a été un bonheur de le remettre sur les rails de la danse. Maud Jurez (Louise, l’Étoile « parfaite ») est une ancienne danseuse professionnelle (ndlr : formée à l’École de Danse, puis danseuse chez Béjart ou au Moulin Rouge). Pavel Danko (Marius, Premier danseur chéri du public) a une formation en danse contemporaine. Avec Suzy Bemba (Flora, la surnuméraire) qui n’avait pas de formation classique, on a travaillé au millimètre près les ports de bras. Raphaël Personnaz (Sébastien, le directeur) ne danse pas mais il est venu voir les répétitions des scènes de danse. Il m’a regardé faire travailler les danseurs, comment je leur montrais un mouvement, comment je leur parlais. On a discuté ensemble. Le casting est formidable : les personnes choisies sont crédibles dans leur rôle de danseurs et danseuses professionnelles à 95 %.

 

Et que fait-on des 5 % qui restent ?

Ce sont les 5 % du cinéma ! Si on veut avoir 100 % de crédibilité, on va chercher des danseurs et danseuses pour jouer les personnages… Mais au détriment du jeu, de la comédie. Jouer et danser ne sont pas les mêmes métiers, il ne faut pas tout mélanger. Dans cette série, on ne monte pas un ballet, on tourne une série, cela reste du cinéma. Pour la façon de filmer la danse, j’ai mon regard de danseur et chorégraphe, et il y a toujours la frustration de voir un mouvement coupé par un changement de plan, qui va casser la musicalité. Mais sur un écran, il faut pouvoir donner du rythme.

Série L’Opéra – Ariane Labed (Zoé)

Plusieurs comédiens et comédiennes ont parlé de l’esprit de troupe qui s’était mis en place pendant le tournage. Comment cela s’est-il passé ?

Cette ambiance s’est mise en place assez naturellement, rien que par le fait que nous faisions une série sur la danse, se déroulant dans une compagnie. Les automatismes de vie d’une troupe se sont mis en place et il n’y a pas eu à forcer les choses : les acteurs et actrices avaient la rigueur de se mettre à la barre avec nous avant un tournage de danse. Souvent, Astrid Boitel démarrait la journée en donnant un cours de danse aux comédien.ne.s. Puis ils partaient se préparer et je donnais le cours aux danseurs et danseuses du casting. Parfois tout le monde prenait le cours en même temps. Le sujet de la danse a naturellement amené cette discipline.

 

En tant que danseur classique professionnel, la série est-elle crédible et réaliste sur la vie d’une compagnie ?

J’ai vraiment apprécié ce que je voyais. On peut s’attacher aux personnages, qui pour moi sont assez réalistes. Et ce n’est pas filmé d’une façon gnan-gnan, comme cela l’est parfois pour la danse. L’approche à la danse se voulait vraie. Pendant le tournage, l’équipe de réalisation était d’ailleurs très exigeante, elle voulait vraiment se rapprocher du quotidien. Et au final, j’ai eu l’impression de voir ce qui se passait tous les jours dans une compagnie de danse ! On connait tous une danseuse qui est dans la difficulté en revenant de blessure, ou le danseur qui veut gravir les échelons et se cogne à un plafond de verre. On connaît ces liens forts qui se créent entre danseurs et danseuses. La production a été très sérieuse et je suis très content d’avoir fait partie de ce projet.

 

La série aborde entre autres le sujet compliqué du racisme dans la danse classique. Pensez-vous que ce que l’on voit au fil des épisodes représente ce qui se passe dans la vraie vie ? Flora, danseuse noire, est recrutée en tant que surnuméraire. Elle est acceptée, peut danser du contemporain, mais doit céder sa place au moment de danser un cygne blanc.

La série peut représenter ce qui se passe dans une compagnie classique…. comme elle peut ne pas le représenter. J’ai envie de croire que l’on est au-dessus de tout ça. Mais il faut aussi écouter les témoignages, comme par exemple celui de Chloé Lopes Gomes, qui montrent qu’il y a encore un sacré chemin à faire. Comme un dialogue dans la série, on peut encore trouver des gens dire que Giselle est réservée à des danseuses caucasiennes, comme on peut ne plus en trouver. Le cas de Flora peut exister comme il peut ne plus exister. En tout cas, quand j’entends dire dans la vraie vie que les compagnies françaises refusent d’engager des danseurs et danseuses noires, ce n’est pas vrai. Ayant été dans le jury du concours d’entrée du Ballet de l’Opéra de Bordeaux, nous n’avons jamais refusé quelqu’un pour sa couleur de peau, le fait est que nous avons très peu de candidat.e.s noir.e.s qui se présentent.

Série L’Opéra – Suzy Bemba (Flora)

Qu’allez-vous faire en tant que chorégraphe dans la saison 2 ?

C’est une saison qui évoque le Concours de Varna et le Concours de promotion. J’ai donc moins de grands ballets d’ensemble à mettre en place, il s’agit plus de pas de deux et de solo. On est plus sur un travail de répertoire que j’adapte que de créations, mais je me suis tout autant régalé. Suite à la série, j’aimerais bien un jour faire une version en entier et sur scène de ces Liaisons dangeureuses que l’on voit dans la première saison. Mais dans une autre esthétique, j’imagine quelque chose de plus actuel, avec tout le monde en smoking. On est quelques chorégraphes classiques en France, mais on nous commande peu de choses. Nous sommes là pourtant !

 

L’Opéra – Série écrite par par Cécile Ducrocq (Showrunner) et Benjamin Adam, réalisée par Stéphane Demoustier, Laïla Marrakchi, Inti Calfat et Dirk Verheye. Saison 1, huit épisodes. Diffusion dès le 7 septembre sur OCS Max et en intégralité à la demande sur OCS.

 



Commentaires (1)

  • Lili

    J’aime beaucoup ME Zanoli, sur scène comme en dehors. Il se positionne avec intelligence comme un danseur « populaire », notamment à Bordeaux où, à l’instar du ballet de l’Opéra, qui participe à la vie locale, il contribue à faire de la danse un art pour tous sans aucune concession sur l’exigence.
    Mais sa réponse sur le racisme…. un tel niveau de contournement d’obstacle c’est à pleurer…. factuellement, il y a peu de candidats, il a raison de le dire et il faut l’interroger. Factuellement, il y a des témoignages et s’il y a peu de candidats au niveau professionnel ça veut dire qu’il faut aller chercher les témoignages avant. Tout le reste n’est que circonvolutions vides.

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