Agnès Letestu : « Aliénor d’Aquitaine, la première féministe ! »
Créatrice de costumes et répétitrice, l’Étoile Agnès Letestu n’en oublie pas pour autant la scène. Elle est ainsi au Théâtre du Gymnase tout le mois d’octobre avec le spectacle Aliénor, Variation sur l’amour courtois d’Alain Marty. Aux côtés de Vincent Chaillet (Henri II d’Angleterre) et Harold Crouzet (le troubadour), Agnès Letestu se glisse dans la peau d’Aliénor d’Aquitaine, cette reine étonnante qui a apporté la tradition des troubadours, de l’amour courtois et du « jazer », code de séduction où les femmes ont le pouvoir. Elle nous parle de ce personnage fascinant et de ce spectacle de « mise en scène chorégraphique« , qui mêle la danse, le chant ou la poésie.
Qui est Aliénor d’Aquitaine, personnage que vous incarnez dans le spectacle Aliénor, Variation sur l’amour courtois ?
Aliénor d’Aquitaine, qui a vécu 80 ans, a fait énormément de choses et a été influente dans tellement de domaines que je suis étonnée qu’elle ne soit pas plus connue. Elle est un peu la première féministe ! Elle s’est mariée deux fois, avec le roi de France Louis VII puis le roi d’Angleterre Henri II Plantagenêt, a demandé et a réussi à obtenir le divorce. Elle a eu une dizaine d’enfants, dont Richard Coeur de Lion. Elle a été très influente dans le milieu de la culture, des arts, de la mode ou des codes de séduction. Et elle a amené les troubadours.
Qui étaient ces troubadours du Moyen Âge ?
Le grand-père d’Aliénor d’Aquitaine, Guillaume IX, était le premier troubadour. Avant lui, les poètes chantaient les guerres, la chasse ou la virilité des hommes. Lui a décidé de chanter la femme. Aliénor d’Aquitaine a hérité de ça. Les troubadours apportaient la poésie et la chantaient, ils étaient aussi des vecteurs de l’amour courtois, dont la phase ultime est le « jazer », et c’est le sujet du spectacle.
Quels étaient ces codes de séduction ?
Alors que les femmes étaient considérées comme des machines à faire des enfants, Aliénor a refusé cette brutalité et a apporté les codes de séduction de l’amour courtois. Dans ces codes, le troubadour chantait sa dame et la suivait dans toutes les cours. Au bout de quelques années, si la dame avait accepté qu’il méritait plus, elle l’acceptait dans son lit. Et c’était elle qui décidait de ce qui s’y passait. C’est cette phase ultime que l’on appelle le « jazer », mot occitan qui veut dire « se coucher ». Cette manière de se comporter a duré 200 ans, de façon plus ou moins acceptée par les maris. Aliénor d’Aquitaine a eu plusieurs troubadours, même si on ne sait pas si elle est allée jusqu’au jazer.
Comment cela porte-t-il le spectacle ?
Le spectacle se concentre sur Aliénor, le roi d’Angleterre (dansé par Vincent Chaillet) et le troubadour (interprété par le comédien Harold Crouzet), avec une petite extension de lui-même par le violiste Albertin Ventadour qui est sur scène avec nous. Et c’est un triangle amoureux qui se met en place, entre Aliénor, le troubadour représentant le verbe, la poésie et la douceur, et le roi la puissance et le pouvoir. Le troubadour sait qu’il n’y aura jamais de mariage et de descendance entre lui et Aliénor. Elle a avec lui un rapport de complicité, alors qu’elle est dans le rapport de force avec le roi. Mais ce dernier reste fasciné par le troubadour et par sa façon de séduire Aliénor, il attend de lui un enseignement. Le troubadour devient un peu le sexologue du couple (sourire).
Le spectacle est une « mise en scène chorégraphique » : ça danse, ça chante avec des poèmes d’Occitan de l’époque, ça joue de la musique avec la viole de gambe. La crise sanitaire nous a permis d’affiner les choses. Le spectacle était presque prêt au moment du premier confinement, en mars 2020. Nous avons beaucoup discuté entre nous pendant cette période, puis nous avons eu des résidences en scène. Nous avons finalement rajouté beaucoup de créations musicales, qui ont pris le pas sur des morceaux de musique classique que nous avions intégrés au départ. Nous avons aussi resserré les choses, travaillé les transitions. C’était une chance d’avoir eu ce temps de réflexion, même s’il y a eu la fatigue de l’incertitude, le spectacle ayant été reporté trois fois.
Depuis votre départ de l’Opéra de Paris en 2013, l’on vous voit régulièrement sur scène. Elle vous manque ?
Je ne sais pas si la scène me manque, mais je suis motivée par les projets que l’on me propose. J’ai besoin moralement et physiquement de continuer à m’entraîner, j’en ai besoin, ne serait-ce que quand je coache des danseurs et danseuses. La scène me plait, j’aime cet espace de liberté, mais je ne veux pas y aller coûte que coûte. Cela dépend donc de ce que l’on me propose et si je suis en forme. Le jour où ça sera difficile et où je n’aurais plus de plaisir à faire les choses, je n’accepterai plus de projet. Aujourd’hui, j’ai trois métiers : créatrice de costumes, maîtresse de ballet et danseuse, même si je ne mets plus le tutu ! Cette saison, nous jouons Aliénor au Théâtre du Gymnase en octobre, puis nous partons en tournée en Espagne. Je reprends aussi mon rôle de mère de Gilda dans l’Opéra Rigoletto dans la mise en scène de Richard Brunel, au Luxembourg. Puis je pars pour Rome où je serais maîtresse de ballet sur Le Corsaire de José Martinez.
Aliénor, Variation sur l’amour courtois d’Alain Marty au Théâtre du Gymnase – Dimanche 3 octobre à 15h et tous les lundis d’octobre à 20h30. Avec Agnès Lestestu, Vincent Chaillet, Harold Crouzet et Albertin Ventadour.