SOMNOLE – Boris Charmatz
En résidence à l’Opéra de Lille, Boris Charmatz vient d’y proposer une reprise de 20 danseurs pour le XXe siècle et plus encore et SOMNOLE, sa nouvelle pièce qui sera en tournée toute cette saison. Avant de prendre la direction du Tanztheater Wuppertal Pina Bausch en septembre 2022, le chorégraphe poursuit son travail au sein de [terrain], sa structure implantée dans la région Hauts-de-France. Dans ce solo né durant le confinement, il se met en scène dans une forme qu’il avait un peu délaissée ces dernières années au bénéfice de chorégraphies de groupes. Un solo entièrement dansé, et sifflé, par le danseur lui-même, où le défi réside dans la coordination entre mouvements du corps et mouvements des lèvres. Un brillant numéro d’équilibriste qui ne manque pas de souffle.
Mais d’où vient le titre de ce solo SOMNOLE qui évoque cet état de demi-sommeil ? De la genèse de la pièce elle-même mûrie durant les périodes de confinement, où enfermé chez lui comme tant d’autres, le danseur a rêvé de retrouver une scène. Mais peut-être puise-t-elle aussi dans l’idée d’explorer les états d’insomnie , de sommeil agité. En effet, Boris Charmatz a eu envie de questionner le fait que les idées chorégraphiques surgissaient peut-être quand le corps était au repos à moitié endormi. Cet état de latence serait-il propice à la création ? « Ce que j’aime avec l’idée de somnolence, c’est le spectacle mental qu’elle recèle (…) Une passerelle entre le monde mental et le monde physique« , explique-t-il.
Un peu perdu au fond du plateau plongé dans l’obscurité, le danseur sort progressivement d’une sorte de léthargie. Le sifflement est présent dès le départ, tout doux, quasi imperceptible. Vêtu uniquement d’un pagne, il s’étire, déploie son corps avec calme et retenue. Progressivement, le sifflement se fait plus net, et l’on prend rapidement conscience de la difficulté que le chorégraphe s’est imposé : corréler les mouvements de son corps et la production de sifflement. Une manière plus audacieuse de construire un solo autour du lien entre danse et musique. Composant sa propre partition, il doit donc doser sa gestuelle et son essoufflement pour ne pas rompre la magie ténue qui consiste à laisser le souffle sortir de ses lèvres.
Incontestablement, Boris Charmatz nous avait jusqu’à présent cacher cette aptitude qu’il cultive, découvre-t-on après le spectacle dans la feuille de salle, depuis la cour de récréation. Très à l’aise, il se met alors à siffler de la musique classique, Vivaldi, Bach, Mozart et même des musiques de western… Comme une bande-son mentale qui accompagne son rêve éveillé et qui entraîne le public dans son sillage. Éclairé par une poursuite (magnifiques lumières de Yves Godin), le danseur se déploie sur tout le plateau et passe en mode plus extraverti.
Sur le fil entre les modulations du sifflement et le déploiement du corps, ce solo nécessite une concentration de chaque instant. Visiblement en grande forme, Boris Charmatz s’amuse, se challenge, repousse ses limites. Comme à chaque fois qu’on le voit danser, on salue le magnifique interprète, expressif jusqu’à la pointe des orteils, dégageant puissance et délicatesse. Même quand il descend dans la salle et invite une spectatrice à tournoyer avec lui alors qu’il siffle Les feuilles mortes, il le fait avec une habileté qui lui évite le faux-pas. Solo introspectif, Somnole pourrait virer au nombrilisme. Sa générosité, l’originalité du combo danseur-siffleur emportent l’adhésion.
SOMNOLE de et avec Boris Charmatz à l’Opéra de Lille. Mercredi 10 novembre 2021. À voir le 23 novembre à La Maison de la culture d’Amiens, au Festival d’Automne (du 14 au 16 décembre à l’Église Saint-Eustache et du 19 au 23 janvier 2022 à la MC 93 de Bobigny, en tournée en France en 2022.