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Rencontre avec Fábio Lopez pour sa Belle au bois dormant (compagnie Illicite)

Fábio Lopez fait partie de ces jeunes chorégraphes que l’on aime suivre sur DALP, avec la compagnie Illicite qu’il a créée en 2015. Ancien danseur de Thierry Malandain, il revendique un langage néo-classique et propose avec sa troupe aussi bien des pièces de répertoire que ses propres créations. La prochaine est un vrai challenge : une relecture de La Belle au bois dormant, à voir les 8 et 9 janvier à la Salle Lauga de Bayonne. Pour DALP, Fábio Lopez nous raconte la genèse de cette création ambitieuse, à la fois nouveau regard sur ce compte et hommage à Marius Petipa, et nous livre ses ambitions pour sa compagnie, l’une des rares néo-classiques de France.

La Belle au bois dormant de Fábio Lopez – La compagnie Illicite en répétition

 

Comment est née l’envie de s’attaquer à La Belle au bois dormant, décrit comme « le ballet des ballets » ?

Il y a beaucoup de facteurs. J’ai eu envie de travailler sur ce ballet depuis 2020, le confinement a aidé à développer ce projet, comme beaucoup de gens j’ai eu tout à coup beaucoup de temps (sourire). C’est une œuvre mythique, c’est aussi un ballet spécial pour moi, qui a jalonné mon parcours. J’ai appris l’Adage à la rose lors de ma formation de danseur au Portugal. J’ai aussi eu l’honneur de travailler aux prémices de la relecture de La Belle de Maurice Béjart, Tchekhov au bois dormant, qui a été sa dernière création, montée pour l’école Rudra dont j’étais élève. La pièce a été créée après mon départ mais j’ai participé aux répétitions, je dansais l’Adage à la rose. Maurice Béjart était en chaise roulante dans le studio. C’était marquant d’avoir en face de soi quelqu’un en fin de vie, toujours en train demander des pas, d’exprimer une pensée. Au Malandain Ballet Biarritz, j’ai aussi dansé l’Adage à la rose dans Magifique, avec Arnaud Mahouy, que j’ai dû interpréter 50 fois.

Et puis il y a d’autres raisons historiques : 2021 marque le centenaire de l’arrivée de La Belle au bois dormant en Occident, avec les Ballets russes à Londres en 1921. Le Marquis de Cuevas a ensuite repris ce ballet avec sa compagnie, et il est venu au Pays basque en présenter des extraits. Il y a aussi fait un Bal Petrouchka, et beaucoup de gens d’ici, notamment ceux qui ont lancé le CCN de Biarritz, en ont des souvenirs alors qu’ils étaient enfants. Je trouvais intéressant de retracer ce chemin dans le territoire.

La Belle au bois dormant, c’est une œuvre mythique et un ballet spécial pour moi, qui a jalonné mon parcours.

Quel a été votre axe de travail, de relecture ?

Pour la danse, j’ai mélangé la chorégraphie originale de Marius Petipa – parce que c’est notre mission de garder certains pas pour la nouvelle génération – avec ma propre chorégraphie. Quant à la trame, je l’ai transformée en créant un nouveau personnage et en cultivant différentes choses, c’est un parti-pris très personnel. J’ai ainsi développé l’idée que le Prince est en fait le fils de Carabosse, et qu’il porte en lui l’épine qui va piquer Aurore. Son corps en est recouvert, et quand Aurore le croise au bal, elle en a peur. Pour réveiller la Belle, le Prince ne doit pas juste l’embrasser, il doit d’abord s’enlever cette peau d’épines, comme s’il se débarrassait de tout le mal qu’a fait sa mère. C’est ainsi que la Belle peut se réveiller, parce que l’amour est là. Aurore reste le personnage initial, mais elle ne disparaît pas, elle et le prince sont dans le même espace-temps.

La Belle au bois dormant de Fábio Lopez – La compagnie Illicite en répétition

Quand on parle de La Belle au bois dormant, on pense bien sûr à la partition de Tchaïkovski. Quel a été votre travail musical ?

J’ai écouté de nombreuses fois cette immense partition, en m’appuyant sur mes huit ans d’analyse musicale lors de ma formation de danseur à Lisbonne. Il fallait trouver dans cette musique ce qui me marquait et ce qui marquait les gens. Je ne peux pas, ainsi, ne pas prendre la grande Valse, ce genre de morceaux si symboliques à l’oreille du public et qui aident à la dramaturgie. Ce travail m’a pris six mois. J’ai enlevé quasiment tout le troisième acte, qui est un divertissement et qui n’apporte rien à la dramaturgie. Je démarre non pas par l’introduction mais par le Panorama, j’ai aussi choisi une autre musique pour l’entrée d’Aurore. J’ai également pris l’Adage à la rose, qui sera un tour de force de confiance avec la danseuse qui aura les yeux bandés, la polonaise du troisième acte, le pas d’action qui est pour moi l’une des plus belles partitions écrites pour le ballet. Un seul moment ne sera pas de Tchaïkovski, ce sera Ma mère l’Oye de Maurice Ravel, l’une des plus belles partitions du XXe siècle.

 

La Belle au bois dormant, ce sont souvent des productions immenses avec beaucoup d’artistes en scène. La compagnie Illicite est une troupe de huit artistes. Comment avez-vous fait ?

Il faut être créatif ! Mais j’ai été à bonne école chez Thierry Malandain. Il y aura 13 artistes sur scène : les huit danseurs et danseuses de Illicite et d’autres interprètes venant de la compagnie portugaise In Tranzyt. Les artistes se mettent dans plusieurs peaux, changent de costumes plusieurs fois dans le spectacle, et souvent rapidement.

 

Quel est le futur de cette Belle au bois dormant ?

Nous avons deux dates, les 8 et 9 janvier à Bayonne, puis à Saint-Palais, dans une salle de 300 places au milieu du Pays Basque. Nous la danserons aussi au Portugal, les 4 et 5 février, ainsi qu’en octobre. J’aimerais l’amener à Paris, nous sommes en discussion avec plusieurs belles salles.

La Belle au bois dormant de Fábio Lopez – La compagnie Illicite en répétition

Cela fait cinq ans que vous avez créé Illicite. Quelle est votre marque de fabrique ?

Nous dansons mes créations, mais aussi des pièces de répertoire : Hans van Manen, Mauro Bigonzetti, Nacho Duato ou le duo du Papillon de Marie Taglioni sont dans nos programmes pour 2022. C’est un besoin pour les artistes de danser plusieurs pièces de chorégraphes différents, et pour moi de ne pas être tout le temps en création, ce qui me permet d’être plus serein.

 

Quel avenir envisagez-vous pour votre compagnie ?

Avant d’augmenter l’effectif de la troupe, la pérennisation est pour moi plus importante. J’aimerais avoir les danseurs et danseuses en CDD, et avoir plus de dates, quatre ou cinq d’un même programme, pour ne pas être ainsi obligé de tourner de façon démesurée pour survivre. Aujourd’hui, nous fonctionnons un peu à l’envers : nous devons d’abord trouver les dates pour monter les programmes, l’on manque ainsi de temps de travail avec les chorégraphes. Mais cela évolue. Nous avons ainsi signé en décembre une convention sur trois ans avec les trois grosses villes de la région : Bayonne, Biarritz et Anglet. C’est une volonté des trois maires, c’est inédit. Nous avons ainsi une date par programme dans chacune de ces trois villes. J’aimerais arriver à 2-3 dates, puis tourner. On va y arriver. Nous avons aussi le soutien de la communauté d’agglomération du Pays basque, du département des Pyrénées-Atlantiques, des mécènes comme Repetto qui nous fournit les pointes, et pour la première fois cette année nous sommes soutenus par le ministère de la Culture.

Il faut créer les classiques de demain et il faut créer des emplois pour les jeunes danseurs et danseuses classiques d’aujourd’hui.

À long terme, je sais que c’est prétentieux, mais j’aimerais que l’on devienne un Ballet national. Le plus proche de chez nous est celui de Bordeaux, il est à 2h, c’est loin. On travaille pour cela, dans le sens où nous apportons quelque chose. Il faut créer les classiques de demain et il faut créer des emplois pour les jeunes danseurs et danseuses classiques d’aujourd’hui.

 



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