Toiles Étoiles – Ballet du Capitole
Le Ballet du Capitole continue sa programmation inspirée par Pablo Picasso, peintre qui a tellement travaillé pour la danse et le théâtre, avec son programme Toiles Étoiles. Après Les Saltimbanques de Kader Belarbi, la si jolie surprise de la fin du confinement, le directeur de la troupe a préféré laisser la main à trois autres chorégraphes pour autant de créations, venant d’univers différents : Cayetano Soto, le duo Wang/Ramirez et Antonio Najarro. Tous sont partis de rideaux de scène dessiné par Pablo Picasso, pour revisiter un ballet ou partir dans l’univers du peintre. Le lien sur le plateau est parfois ténu avec l’œuvre de Picasso et l’on retient plus de cette soirée la rencontre – souvent réussie – entre une troupe classique et néo avec des chorégraphies hip hop ou flamenco. Ce sont d’ailleurs les artistes qui portent la soirée, d’une versatilité étonnante doublée d’un grand engagement, au service de trois créations ayant des forces comme des faiblesses. Mais marquant des rencontres chorégraphiques prometteuses que l’on aimerait voir perdurer par la suite.
Le Ballet du Capitole a fait sa rentrée post-confinement sous le signe des arts et de la peinture. Sa reprise s’est faite avec Les Saltimbanques en juin dernier, inspirée par la toile de Picasso. La création Toulouse-Lautrec a été unanimement saluée cet automne. Pour ouvrir 2022, la compagnie a continué son travail autour de Pablo Picasso avec une soirée de créations contemporaines, mélangeant les esthétiques et les rencontres du geste. Pour chaque chorégraphe, le point de départ était le même : une toile de Picasso, libre à eux et elles d’extrapoler comme iels le souhaitaient. L’on retrouve ainsi trois pièces venant des Ballets russes, pour lesquels Picasso a tant collaboré. Mais voir le spectacle sous le prisme « Relecture des Ballets russes » n’est pas forcément le bon et pourrait engendrer des déceptions. L’idée est plutôt d’imaginer les toiles prendre vie, et comment la peinture, art figé si l’on peut dire, inspire la danse, art en mouvement.
L’incontournable duo hip hop Honji Wang et Sébastien Ramirez illustre bien ce parti-pris, avec la création L’Après-midi d’un Faune. Oubliez le décor couleur ocre de la version de Nijinski, qui était signé Bakst. Picasso a bien dessiné le décor de ce ballet, mais dans sa version de 1922, remontée et dansée par Nijinska. Ce n’est cependant pas cette œuvre qui est au centre de ce ballet, mais un dessin de Picasso réalisé en 1962, à la demande de Serge Lifar alors Directeur de la Danse à l’Opéra de Paris, pour la reprise de L’Après-midi d’un Faune dans l’illustre maison. Mais le dessin fut retoqué et le rideau de scène jamais exécuté. L’œuvre fut toutefois exposée… à Toulouse, en 1965, avant d’appartenir depuis à une collection privée.
Difficile cependant, malgré l’absence de Debussy au début pour une musique électronique, pour ne pas être replongé dans l’ambiance trouble de ce Faune. Sur scène, deux hommes et deux femmes se cherchent, se sentent, se jaugent, se trouvent parfois (les deux femmes n’ont visiblement nul besoin de leur compagnon). Leurs costumes neutres ne les renvoient à aucun temps, ils peuvent être humains, nymphes ou tout autre chose. Un Minotaure, Rouslan Savdenov juché sur échasses, vient jouer à Dieu en guidant leurs mouvements, les contrôlant peut-être un peu. À vrai dire, son rôle est un peu difficile à définir, tout comme le sens de sa présence et de façon globale la direction de cette œuvre. Le début semble déconnecté de la suite, quand la musique de Debussy se fait enfin entendre. La scénographie, très belle et travaillée au demeurant, au mal à faire sens avec la danse. Au-dessus de la scène flotte une toile inspirée par le dessin de Picasso. En fond de scène, à vue, Alexandre De Oliveira Ferreira manipule la toile de ses quatre mains, dansant presque, alors que la toile semble prendre vie sur le plateau et devenir le cinquième danseur. Mais ce qui se passe en haut prend parfois le pas de ce qui se passe en bas, alors que les deux devraient se nourrir mutuellement.
Cela n’empêche pas cependant cet Après-midi d’un Faune d’être un moment envoûtant, nous emmenant dans un autre univers. Et d’offrir une vraie rencontre chorégraphique, peut-être la plus réussie de la soirée. Wang/Ramirez ne veulent pas faire danser les quatre artistes en scène absolument à leur manière, mais à mélanger leur vision de la danse avec les qualités de leurs interprètes. Cela donne une danse contemporaine nerveuse, précise, percutante, jouant sur les lignes de ces artistes classiques tout en les mêlant d’un haut du corps plus chaloupé, portée avec présence par Solène Monnereau, Kayo Nakazato, Simon Catonnet et Jérémy Leydier. Cela donne au final l’envie d’en voir plus. La collaboration Wang/Ramirez mériterait d’être continuée, pourquoi pas sur une œuvre de groupe.
En reprenant Le Train bleu, Cayetano Soto a voulu se débarrasser de toute tentation d’y voir une relecture du ballet, en remplaçant la musique de Milhaud par Haendel, précédé par la voix de Picasso. Et un peu comme la précédente création, la pièce a un peu de mal à démarrer. Vêtues de longues robes noires (ambiance Petit mort sans le faire exprès), les danseuses et danseurs évoluent doucement au son de la voix de Picasso, racontant son œuvre, sa peinture, la danse. Mais alors que la voix devrait nourrir les interprètes, la connexion a du mal à se faire, et l’on a vite tendance à ne pas voir ce qui se passe sur le plateau pour écouter les souvenirs du maître.
La pièce ne semble ainsi véritablement démarrée qu’au son des Suites pour piano de Haendel. Les artistes se débarrassent de leurs jupes pour des tenues près du corps et la danse néo-classique qui va avec. Le tableau de Picasso évoque deux femmes courant sur la plage. Si la danse anguleuse aux gestes comme des flèches rappellent difficilement la rondeur des corps de la gouache, on y retrouve la vitesse, ce sentiment que tout va à toute allure, et la totale occupation de l’espace – alors qu’il n’y a seulement que 15 artistes en scène, et souvent en solo ou pas de deux. La danse de Cayetano Soto est incroyablement virtuose et technique, s’envolant sur la musique et laissant le champ libre à la précision des interprètes. L’on regrette cependant une outrance des hyper-extensions, qui désormais apparaît un peu datée, d’autant plus lors des pas de deux qui se transforment souvent en une manipulation de la danseuse dans des extensions toujours plus grandes. Moins de clichés n’auraient pourtant pas gâché la formidable dynamique et l’énergie foisonnante de ce Train bleu. Le casting sur scène était beau, avec pas moins de trois Etoiles et tout le monde au diapason. Mais l’on ne peut que souligner le formidable travail de Philippe Solano, incroyablement à l’aise dans ce type de répertoire, qui prend toute la scène et donne le tempo.
Avec Tablao (Cuadro flamenco), Antonio Najarro fait découvrir son flamenco aux danseurs et danseuses du Ballet du Capitole. Le lien avec Picasso sonne ici un peu plus comme un prétexte qu’autre chose. Le chorégraphe s’est inspiré du décor de Cuadro flamenco, monté en 1921 là encore pour les Ballets russes, pour recréer l’ambiance d’un « Tablo », un lieu à l’ambiance intime, uniquement consacré au flamenco. Cela a été l’occasion pour les artistes de la troupe de s’initier aux subtilités de cette danse, malagueña, farruca, garrotín et autres jota. Sur scène, le compositeur et guitariste José Luis Montón donne le ton, entouré de quelques musiciens et d’une chanteuse de flamenco. Toulouse n’est pas loin de l’Espagne et a parfois dans ses rues la saveur catalane.
Mais l’on ne devient pas danseur et danseuses de flamenco en seulement quelques semaines. Les artistes du Capitole appliquent à la lettre les gestes du flamenco, le placement et roulement des mains, la cambrure, l’avancement du pied, le claquement des mains. Mais il y manque la fureur, la folie, le sel qui fait le flamenco. À l’inverse, tout ce qui relève de la danse classique dans la chorégraphie – Antonio Najarro a tenu à mélanger les deux – apparaît affaibli et bien pauvre dans son vocabulaire. Cela donne l’impression un peu désagréable d’être face à un « sous Don Quichotte », sans la richesse de Marius Petipa. À l’image de la variation de Natalia de Froberville, radieuse au demeurant et qui était une si éclatante Kitri, mais ici face à une chorégraphie bâtarde, où le mélange des deux façons de danser n’arrive pas à se faire.
L’ensemble n’en reste pas moins plaisant. Un ballet à numéros, les artistes enchaînent passages de groupes, pas de deux et solo, est toujours efficace – la pièce a d’ailleurs été de loin la plus applaudie du Théâtre du Capitole. Les musiciens et la chanteuse en scène apportent une couleur différente, les robes de flamenco froufroutent et la toile de scène nous emmène en voyage. La troupe est une fois de plus impeccable et investie, montrant sa grande versatilité et son aptitude à danser beaucoup de choses, et avec qualité. Mais la rencontre chorégraphique ne s’est pas faite cette fois.
Toiles Étoiles par le Ballet du Capitole. L’Après-midi d’un Faune de Honji Wang et Sébastien Ramirez, avec Solène Monnereau, Kayo Nakazato, Simon Catonnet et Jérémy Leydier, Rouslan Savdenov (le Minotaure) et (Alexandre De Oliveira Ferreira (manipulation de la toile) ; Le Train bleu de Cayetano Soto, avec Davit Galstyan, Ramiro Gómez Samón, Philippe Solano, Alexandre De Oliveira Ferreira, Jérémy Leydier, Federico Coletti, Sofia Caminitti, Louise Coquillard, Georgina Giovannoni, Saki Isonoga, Marie Varlet, Amaury Barreras Lapinet, Simon Catonnet, Rafael Fernández Ramos et Lorenzo Misuri ; Tablao (Cuadro flamenco) d’Antonio Najarro, avec Natalia de Froberville (la Bolera Sevillana), Sofia Caminitti (El Toro), Ramiro Gómez Samón (El Torero) et la compagnie. Mardi 15 février 2022 au Théâtre du Capitole. A voir jusqu’au 20 février. Reprise du 12 au 16 juin 2024 à la Hall aux Grains.