Christian Rizzo – Miramar
Fidèle à Annecy, c’est sur la superbe scène du Théâtre Bonlieu que Christian Rizzo a présenté en janvier et en avant-première sa dernière création Miramar, ultime volet d’une trilogie qui avait débuté avec Une Maison et s’est prolongé avec le solo En son lieu. Le chorégraphe et plasticien, Christian Rizzo y explore « les lieux de l’au-delà », ceux que l’on regarde mais où l’on ne va pas. Conçu dans une scénographie sombre et magnifiquement éclairée, Miramar nous emmène vers l’horizon infini que l’on perçoit sur la mer, cette quête d’un au-delà qui effraie davantage qu’il ne conforte. Un spectacle intense construit sur une chorégraphie impeccable où l’on retrouve l’écriture ciselée de Christian Rizzo portée par onze interprètes irréprochables.
Il pourrait y avoir quelque chose qui relève de la fausse promesse à simplement s’arrêter au titre. Tout le monde a dans un coin de la tête un lieu qui s’appelle Miramar : un bar de plage, une terrasse, des souvenirs ensoleillés de grande bleue. Miramar signifie regarder la mer et n’est-ce pas une activité que l’on perçoit infiniment lumineuse dans une promesse d’été infini ? Il faut oublier tout cela et Christian Rizzo s’y emploie dès l’ouverture du rideau. Plateau dépouillé plongé dans le noir et un solo tellurique exécuté par Vania Vaneau. Elle bondit côté jardin, silhouette frêle qui pourtant impose une danse terrienne, ancrée au plateau, faisant tournoyer sa chevelure qui semble son point d’équilibre. Elle est presque constamment dos au public, très souvent au sol et irrésistiblement attirée par cette obscurité du fond de la scène.
C’est là l’un des acteurs principaux de Miramar. La mer que nous propose le chorégraphe et plasticien ressemble davantage au tréfonds, aux ténèbres et à l’angoisse de l’infini. Il n’y a rien de solaire dans la création de Christian Rizzo. La mer qu’il nous propose en métaphore est davantage celle qui engloutit. Les onze danseuses et danseurs n’échappent jamais à cette fascination pour les ténèbres. Jamais ils ne s’en détournent mais jouent en permanence avec cet élément infini. La chorégraphie est construite avec une précision horlogère, presque mathématique. Christian Rizzo a un savoir-faire époustouflant où l’on discerne sa signature : les longues séquences au sol et cette utilisation magnifique de chandelles qui se terminent en portés acrobatiques et fluides à la fois.
Christian Rizzo ne nous permettra pas de nous échapper vers des horizons plus lumineux. Miramar est une pièce sombre, presque de circonstance. Comment ne pas penser que son élaboration a été fracassée par une épidémie qui a ravagé la terre entière ? Rien n’est explicite mais on ne peut manquer de voir dans Miramar une parabole d’un monde au bord du vide. Il y a certes dans ce ballet des corps engloutis un espoir de résurrection, une apparition finale qui allège le propos sans toutefois l’annihiler.
Le chorégraphe maîtrise l’espace comme peu de chorégraphes savent le faire. Il est aidé pour cela par les lumières imaginées avec Caty Olive. Elles structurent l’espace de la scène et entourent les danseurs et danseuses sans jamais les dévoiler totalement. Elles imposent plusieurs nuances et modifient constamment la profondeur de champ dans un mouvement perpétuel venu des cintres. La musique électro-acoustique de Gerome Nox contribue à construire cette atmosphère de fin du monde. Miraculeusement, Miramar ne nous étouffe pas mais on est sonné par cette vision résolument pessimiste du monde et hanté par ses images.
Miramar de Christian Rizzo avec Youness Aboulakoul, Nefeli Asteriou, Lauren Bolze, Lee Davern, Fanny Didelot, Nathan Freyermuth, Pep Garrigues, Harris Gkekas, Raoul Riva, Vania Vaneau et Anna Vanneau. Jeudi 13 janvier 2002 sur la Scène Bonlieu d’Annecy. À voir au 104 du 11 au 14 avril 2022 et en tournée.