Spectacle 2022 de l’École de Danse de l’Opéra de Paris – La Somnambule/Variations/Symphonie en trois mouvements
C’est un moment fort pour l’École de danse de l’Opéra de Paris dont élèves et public avaient été privés depuis deux saisons en raison de la pandémie. Du 12 au 14 avril, il était enfin temps pour les « petits rats » de renouer avec le traditionnel spectacle annuel avec un enthousiasme qui faisait plaisir à voir. Au programme : La Somnambule de George Balanchine, suivi de Variations de Violette Verdy, pour terminer avec Symphonie en trois mouvements de Nils Christe. Trois ballets aux esthétiques contrastées qui offrent une belle palette de ce que peuvent proposer ces jeunes danseuses et danseurs. DALP avait d’ailleurs interviewé deux d’entre eux l’année dernière à l’occasion de la diffusion du documentaire l’École des rêves.
Ambiance de fête pour ouvrir la soirée du spectacle de l’École de Danse de l’Opéra de Paris avec le bal masqué dans lequel nous plonge La Somnambule dans sa première période. Entré au répertoire de l’École de Danse en 1994, dans la version du New York City Ballet, le ballet de George Balanchine sur une musique de Vittorio Rieti inspirée de thèmes d’opéras de Bellini a été programmé la dernière fois en 2009. En un acte, il raconte l’histoire d’une Coquette, d’un Poète et d’une belle Somnambule. L’histoire est auréolée de mystère, suscitant différentes interprétations des actions et des relations des personnages entre eux. Son atmosphère évoque les ballets romantiques du XIXe siècle. Un mélange de fantaisie joyeuse assombri par le drame qui couve.
La première partie, la plus festive donc, est ponctuée par des scènes de bal collectives faisant référence à la danse de cour. Se succèdent un divertissement composé entre autre d’une danse orientale dansée avec entrain par Jasmine Atrous et Stanislas Prieto et un Arlequin bondissant. L’apparition de la Somnambule fait basculer le ballet dans un drame éthéré dont on pressent l’issue peu joyeuse. Regard absent, diaphane dans sa longue chemise blanche, chevelure éparse, elle s’avance à pas menus sur pointes bougie à la main et hypnotise littéralement le jeune poète. Cette rencontre fantomatique fait évidemment penser à la La Sylphide ou Giselle. Point culminant le pas de deux de la Somnambule et du poète dont Hortense Millet-Maurin et Rémi Singer-Gassner s’acquittent avec une belle intelligence d’interprétation.
Le temps d’un précipité et le décor très XIXe siècle, laisse la place à l’épure d’un fond de scène bleu. Ces Variations élaborées par Violette Verdy, grande ballerine du NYCB, permettent de mettre en valeur les qualités techniques et la musicalité de chacun.e. Comme le précise Élisabeth Platel dans le programme, c’est la première fois que ce ballet est remonté depuis la disparition de l’ancienne Directrice de la Danse de l’Opéra de Paris, en 2016. Un hommage donc à celle qui a pensé ce ballet avec beaucoup de « simplicité« . Mais la simplicité ne dispense pas de la rigueur et de l’exigence. Loin s’en faut à en croire les combinaisons de pas qu’elle a imaginées.
Pour les quatre filles et quatre garçons qui se succèdent sur scène, ces duos, trios et quatuors se révèlent une véritable prouesse technique. Le piano (les Variations sur un thème de Paganini de Brahms interprété par Ellina Akimova) et la danse développent un dialogue fécond. Les jeunes danseur.euse.s sont au rendez-vous avec un investissement certain. Les lignes se découpent avec précision et netteté. Certain.es sont à suivre assurément.
Après l’entracte, la chorégraphie se fait plus contemporaine. Comme en écho aux bouleversements du monde, le choix de la directrice de l’École de danse de programmer Symphonie en trois mouvements de Nils Christe, entré au répertoire en 2008 et présenté pour la dernière fois en 2012, se révèle fort opportun. Pièce d’envergure avec vingt-cinq interprètes sur scène, l’atmosphère de cette Symphonie crépusculaire sur une partition éponyme d’Igor Stravinsky de 1946 contraste avec les lumineuses variations précédentes. Mais ce changement apporte la démonstration de la capacité de ces élèves à se couler dans différents registres. Toutes et tous nous embarquent dans cette histoire pas si abstraite que cela sur laquelle il est permis de projeter tant d’images : corps rampants, mater dolorosa… La gravité est présente sur les visages et dans l’émotion qui sourd de la gestuelle.
La géométrie de cette chorégraphie n’est pourtant pas aisée à s’approprier. Il faut déjà faire montre d’une solide intelligence spatiale pour se couler dans cette mise en espace. Sans oublier le rythme si particulier de Stravinski. La musicalité est là, déjà au-delà du scolaire. A l’aube de l’âge adulte, ces jeunes gens sont dotés d’une maturité artistique assez bluffante. Lors des saluts lorsque Nils Christe a rejoint les 25 jeunes interprètes, l’émotion du chorégraphe danois, âgé de 73 ans, était palpable. Qu’une œuvre continue d’être dansée par une jeunesse vibrante, avide de s’approprier son univers, est incontestablement le plus beau des cadeaux pour un chorégraphe.
Spectacle de l’École de Danse de l’Opéra de Paris au Palais Garnier. La Somnambule de George Balanchine avec Hortense Millet-Maurin, Rémi Singer-Gassner, Elizabeth Partington, Elliot Renahy, Eve Belguet, Lilas Parra, Corentin Dournes, Martin Paul, Jasmine Atrous, Stanilas Prieto, Emryck Sanchez-Raffy, Constance Colin, Summer Duyvestyn, Amandine Couëffé, Albane de Lacropte de Chanterac, Typhaine Gervais, Eleonora Nicoletti, Viktorila Pirogova, Léa Schneider, Tristan Sabatié, Hugo Uyttersprot, Léo Dauriac, Achille Delaleu-Rosenthal, Hadrien Moulin, Oscar Verhaeghe, Carlo Zarcone, Sacha Alié ; Variations de Violette Verdy avec Anastasia Gallon, Diane Adellach, Laudeline Schor, Irina Chiriacescu, Corentin de Naeyer, Edouard Wormser, Niels Morlot, Matt Vuaflart. Piano : Ellina Akimova ; Symphonie en trois mouvements de Nils Christe avec Diane Adellach, Irina Chiriacescu, Anastasia Gallon, Jeanne Grimm, Hortense Millet-Maurin, Elizabeth Partington, Laudeline Schor, Giulia Sibella, Koharu Yamamoto, Tosca Auba, Maëlys Chiorozas, Rose Perrot, Corentin de Naeyer, Nicolas Doaré, Niels Morlot, Stanilas Prieto, Emryck Sanchez-Raffy, Rémi Singer-Gassner, Vincent Vivet, Matt Vuaflart Edouard Wormser, Benjalin Adnet, Baptiste Bénière, Mei Matsunaga, Elliot Renahy. Direction musicale : Yannis Pouspourikas. Orchestre des lauréats du Conservatoire. Vendredi 12 avril 2022.