Lettre à Alice Renavand : cette soirée fut sublime
Chère Alice,
Cette soirée de « presque adieux » fut sublime. Certains – vous peut-être – ont sans doute pensé que c’était une soirée ratée. En effet, quel coup du sort ! Ne pas pouvoir terminer ce Giselle que vous aviez tant rêvé. Finir en beauté après ce premier acte à la hauteur de toutes les espérances où vous nous avez offert l’entière mesure de votre talent et de votre sensibilité. 42 ans ? Vous en paraissiez vingt ans de moins en effeuillant la marguerite de votre soupirant.
Après l’entracte, l’attente était forte pour l’acte blanc. Et là, deux minutes après votre entrée en scène, quelque chose déraille. Les pas se raréfient. Puis vous vous excusez la main sur le cœur – tout l’art de la pantomime contenu dans ce geste ! – avant de vous éclipser de scène côté jardin. Quelle immense impuissance avez-vous dû ressentir en constatant que votre corps fléchissait dans ce moment où vous comptiez tant sur lui.
Évidemment, l’ombre de la blessure plane sur le quotidien des danseuses et des danseurs. Toutes et tous redoutent claquages, déchirures et autres lésions musculaires qui peuvent vous frapper et vous éloigner longtemps de la scène. Blessé dès le premier acte du ballet Le Rouge et le Noir en octobre, votre partenaire Mathieu Ganio en sait quelque chose. Mais être ainsi stoppée dans son élan lors de sa soirée d’adieux ! Si Cédric Klapisch avait placé un tel élément de scénario dans son dernier film, nous n’y aurions pas cru !
Oui, chère Alice, cette soirée du 13 juillet fut sublime. Et elle restera dans les mémoires. Cette blessure nous a rappelé la beauté fragile de l’art vivant. Vous n’êtes pas une Wili. Vous êtes une danseuse investie dans son art dont le genou s’est dérobé lors de son entrée au deuxième acte d’un ballet du répertoire. Le corps peut dire stop à un moment où l’on s’y attend le moins. Sur la scène ou dans la vie. On touche là au mystère de notre enveloppe charnelle qui sait nous ramener à notre condition humaine. Même quand on est une Étoile. Toutes celles et ceux qui ont tiré un trait sur leur carrière, changé de voie, dû trouver un nouveau sens à leur vie le savent bien. « Nous goûtons les fines musiques, les beaux tableaux, mille délicatesses, mais nous ne savons pas ce qu’elles ont coûté, à ceux qui les inventèrent », écrivait Marcel Proust. Le spectateur et la spectatrice oublient parfois le travail, les efforts, les renoncements qui se cachent derrière la création artistique.
Quand vous êtes reparue sur le plateau, claudicante et contrite, aux bras de Alexander Neef et d’Aurélie Dupont, comment ne pas avoir le cœur serré ? Mathieu Ganio vous a soulevée dans ses bras pour vous offrir un salut poignant au milieu du reste de la distribution. « Je suis désolée », pouvait-on lire sur vos lèvres avant qu’il ne vous arrache un magnifique sourire en vous murmurant quelques mots à l’oreille. Désolé.e.s, nous l’étions autant que vous, chère Alice, de voir cette fête assombrie par cet aléa du métier, brutalement rappelé à notre souvenir.
Cette soirée fut sublime. Quelle sublime mise en abîme en effet qu’Albrecht/Mathieu errant de longues minutes sur la scène à la recherche de sa Giselle/Alice… Puis continuant avec une autre ballerine, Bleuenn Battistoni reprenant avec brio le rôle. L’Opéra de Paris a montré qu’il était une grande maison pour ses danseuses et danseurs. Toute la compagnie s’est mobilisée dans la tourmente. Vous voir soutenue en pareilles circonstances de la meilleure des façons restera un exemple inoubliable.
Nous nous reverrons bientôt, chère Alice. D’ici là, prenez soin de vous. Prenez le temps qu’il faudra pour renouer avec ce corps qui vous a joué un drôle de tour mais qui saura être de nouveau au rendez-vous. Vous êtes forte. Vous l’avez prouvé. Votre parcours n’a-t-il pas déjà été marqué par une traversée du désert et une renaissance ? Vous les aurez vos adieux, une belle et pleine soirée où tout le monde saura honorer la magnifique danseuse que vous êtes, vibrante et intense. Nous serons là pour vous applaudir longtemps, comme vous le méritez. Vous l’aurez votre pluie d’étoiles ! Et elle sera sublime…
Cathy Andréa
Merci pour cette lettre si émouvante.
À bientôt Mademoiselle Renavand pour de sublimes et touchants adieux. Prenez soin de vous.
iancharras
Bravo
BA
Très belle lettre, bravo.
Sylvie
Chère Alice,
par miracle j’avais pu avoir une place à l’amphithéâtre pour voir ce soir là et j’étais ravie de pouvoir assister à cet adieu dans giselle, ce ballet que j’adore moi aussi.
Hélàs pour vous le sort , ou la fatigue de fin de saison a voulu que vous vous blessiez au début du second acte… quelle tristesse et quel dommage pour vous .
Nous espérons que la blessure ne sera pas trop grave et que vous vous remettrez vite
nous espérons que nous pourrons vous revoir dans une autre belle et complète soirée d’adieux ..
Bon rétablissement et bon repos à vous .
Merci beaucoup pour tous ces bons moments de danse en tout cas.