Cinq questions à Fábio Lopez sur la re-création du pas de deux « Le Papillon » de Marie Taglioni
La compagnie Illicite, troupe classique indépendante que l’on aime beaucoup chez DALP, donne une belle soirée mixte pour démarrer sa saison, le 6 octobre à la Gare du Midi de Biarritz. Le programme mêle Songs de Mauro Bigonzetti, Adagio Hammerklavier de Hans Van Manen et la re-création du pas de deux du ballet Le Papillon d’après Marie Taglioni et Pierre Lacotte. Créé en 1860, ce ballet a été oublié, même si son pas de deux principal subsiste ici et là, notamment en Russie. À Paris, il n’a été dansé que deux fois depuis sa reconstruction en 1976 par Pierre Lacotte : la première fois à sa création, la deuxième lors d’un programme Jeunes danseur-se-s en 2009 du Ballet de l’Opéra de Paris. C’est pour parler de ce pas de deux – presque oubliée du répertoire – que DALP a rencontré Fábio Lopez, le directeur de la compagnie Illicite. Il nous explique son travail de reconstruction, la spécificité de la technique et comment les danseurs et danseuses d’aujourd’hui s’en emparent.
Pourquoi, pour cette soirée mixte, avoir choisi Le Papillon de Marie Taglioni ? Giselle ou La Sylphide aurait pu être des choix plus faciles. Pourquoi remonter ce pas de deux oublié en France ?
Pour moi, c’est un choix important. Marie Taglioni a développé la danse romantique, en créant La Sylphide notamment. Il faut amener ce monde-là au public, le faire voyager dans le temps. Tout comme quand nous proposons Deep Song de Martha Graham, il est important de donner au public un accès à ce répertoire, il y en a si peu en région en France. Et puis Marie Taglioni a été chorégraphe – une femme chorégraphe, il n’y en a pas que ça dans le registre classique. Elle a travaillé avec Jacques Offenbach pour la musique – superbe d’ailleurs – dont on a fêté le bicentenaire de sa naissance il n’y a pas si longtemps.
Ce ballet Le Papillon a aussi toute une histoire. Marie Taglioni l’a créé pour la danseuse Emma Livry, qui était un peu son héritière. Ce ballet a connu un vrai succès. Mais Emma Livry est décédée tragiquement, c’est elle qui est morte sur scène alors que son tutu a pris feu. Après cet accident, Marie Taglioni n’a plus voulu donner Le Papillon et ce ballet a été retiré du répertoire. En 1976, Pierre Lacotte a reconstruit le pas de deux principal de l’oeuvre pour ses adieux à la scène, qu’il a dansé avec Dominique Khalfouni qui venait tout juste d’être nommée Étoile. Puis, malgré le Rideau de fer, alors que Pierre Lacotte venait d’aider Rudolf Noureev à passer à l’Ouest, ce pas de deux est allé en Russie. Irina Kolpakova a fait avec ses adieux à la scène du Mariinsky en 1979.
Comment avez-vous remonté ce pas du deux du Papillon ?
Je suis allé à la bibliothèque de l’Opéra de Paris où il y a quelques écrits de Marie Taglioni. Elle évoque des ressentis, des détails sur le costume des ailes, mais elle n’a pas écrit la chorégraphie. Je suis vraiment allé dans un travail de recréation. Je me suis appuyée sur du Auguste Bournonville, ce qui reste de Joseph Mazillier ou de Jules Perrot, des ballets de l’époque, que Marie Taglioni a pu danser et comment elle aurait pu utiliser ces pas-là pour son propre ballet. Pierre Lacotte avait fait ce travail quand il a remonté le pas de deux, il a presque tout imaginé. J’ai repris quelques pas de son adage d’ailleurs. C’est une façon de lui rendre hommage, de rendre hommage à cette technique de la petite batterie, cette rapidité, toutes ces choses que l’on ne voit plus.
En quoi ce pas de deux du Papillon est-il emblématique de l’école française ? Quelles sont ses particularités stylistiques ?
On est vraiment dans une influence autre que Marius Petipa, dans une technique très française. Cette école n’est pas forcément d’où je viens, mais c’est un exercice très important pour les danseurs et danseuses. La position des bras n’est pas la même, elle est beaucoup plus arrondie, on est proche de Bournonville. Il n’y a pas de grands allongés des bras, par exemple, comme ce que l’on voit dans les ballets de Marius Petipa. Le travail du buste n’est pas le même. Il y a aussi les enchaînements dans l’espace. Marius Petipa restait souvent très frontal, dans Le Papillon, ça voyage beaucoup plus dans l’espace, on prend d’autres angles. On ne retrouve pas non plus de portés à bout de bras. Quant à la rapidité, cela tricote dans le bas de jambe ! Normalement, le danseur et la danseuse ont chacun deux variations. Pour cette reconstruction, je n’en ai mis qu’une par artiste, mais deux codas. J’ai imaginé quelque chose dans les batteries, les envolées dans l’espace. Nous sommes moins dans la virtuosité du nombre de pirouettes que de finir dans le temps et d’enchaîner sur autre chose. On retrouve cela dans le travail de Jean-Guillaume Bart, notamment pour son personnage de Zaël dans La Source, ou dans les exercices de Christiane Vaussard.
Et puis il y a dans cette technique l’idée d’explorer la légèreté et la chute. Par le dépassement de la pointe par exemple : il ne faut pas juste être sur la pointe, mais aller au-delà de la pointe. C’est très difficile et c’est quelque chose de très contemporain, qui peut aider les danseuses dans des ballets d’aujourd’hui.
Comment les interprètes s’imprègnent de cette technique particulière, dont ils ne viennent pas forcément ?
On a travaillé avec Sophie Sarrote qui est venue de La Scala pour nous faire travailler les interprètes. La technique est très dure, même si le cardio, c’est plutôt neutre (rire). Il faut travailler sur l’en-dehors, la rapidité. Et créer cette idée de l’éthérée, c’est ça qui est difficile. L’on ne peut pas lâcher, on est toujours dans un contrôle, mais les artistes doivent se dépasser. Je dis souvent que, dans la danse romantique, le garçon est l’ombre, toujours là à suivre après la danseuse. Créer cette ombre n’est pas facile. Mais mes interprètes sont curieux. Je leur ai montré pas mal de documents, des vidéos de la reconstruction de Pierre Lacotte, des livres, des lithographies, des ouvrages sur le romantisme. On peut s’appuyer dessus pour aborder le positionnement des bras, des épaulements ou du torse. Le danseur et la danseuse doivent ensuite trouver leur propre image dans cet imaginaire si spécifique.
En quoi Le Papillon résonne avec les autres pièces du programme, Songs de Mauro Bigonzetti, Adagio Hammerklavier de Hans Van Manen ?
J’ai voulu montrer au public différentes qualités de mouvements. Ces trois pièces par exemple ont des moments de lenteur, mais toutes avec une qualité propre. C’est intéressant de montrer ces différentes façons d’aborder cette lenteur. Nous reprendrons Le Papillon en 2024. Mais j’imagine un travail d’action scolaire avec, pour montrer ce qu’est le ballet romantique… et faire découvrir d’où vient ce tutu que les filles utilisent aujourd’hui comme accessoire de mode !