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Giselle… – François Gremaud et Samantha van Wissen

Après Phèdre !, le metteur en scène François Gremaud poursuit son étude des grands personnages féminins en s’attaquant à une figure de proue du ballet romantique : Giselle… Ici pas de relecture comme vient de le proposer le chorégraphe Martin Chaix au Ballet du Rhin, mais une réappropriation en forme d’hommage comme le sous-entendent les mystérieux points de suspension du titre. Grâce à la performance de Samantha van Wissen, magnifique conteuse-danseuse, le ballet romantique prend vie sous nos yeux accompagné d’un sous-texte qui éclaire l’œuvre intelligemment. Que l’on connaisse par cœur le moindre détail de ce ballet ou qu’on le découvre pour la première fois, la magie opère entre pédagogie finement dosée et juste distance par rapport au mythe. Un bijou de spectacle érudit, drôle et émouvant.

Giselle… – François Gremaud et Samantha van Wissen

Est-ce une conférence dansée ou une chorégraphie parlée à laquelle nous convie Samantha van Wissen ? Sur un plateau quasi nu avec quatre musiciens en fond de scène, la danseuse se présente face au public avec une apparente décontraction. Et entreprend de raconter, avec quelques traits d’humour habilement distribués, le contexte dans lequel a été créé Giselle. Seule en scène, on comprend qu’elle va endosser à la fois le rôle de maîtresse de cérémonie tout en préparant à ce qu’elle joigne le geste dansé à la parole. Après un préambule qui resitue le ballet composé par Adolphe Adam sur, rappelons-le quand même, un livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges et de Théophile Gautier, avec une chorégraphie originale de Jean Coralli et Jules Perrot, le rideau s’ouvre. Et avec lui cette sensation curieuse que l’on va assister à une représentation inédite.

Evidemment, Samantha van Wissen utilise des raccourcis (« Je paraphrase un peu, mais c’est l’idée« , répète-t-elle à plusieurs reprises), esquisse sans jamais caricaturer. Surtout elle donne à voir et à comprendre l’un des plus beaux ballets du répertoire. Tant de choses s’éclairent. Tout devient si limpide. Même l’effeuillage de la marguerite dont on croyait avoir cerné toute la subtilité prend une saveur singulière. Regardez-la revisiter la pantomime, se glisser à la fois dans les rôles principaux, et réussir, ô miracle, à convoquer tout le corps de ballet (oui toutes les Willis de l’acte II) grâce à sa seule personne. Difficile à croire et pourtant les scènes s’enchaînent. Au fur et à mesure, elle fait évoluer l’intrigue à un rythme très bien mené scandé par des extraits de la partition revisitée.

Il faut beaucoup de talent – ce dont l’ancienne interprète d’Anne Teresa de Keersmaeker ne manque pas –  pour parvenir à évoquer tous les rôles, glisser des digressions (mais pourquoi selon les productions, Hilarion dépose-t-il un bouquet champêtre, des lièvres ou du gibier devant la chaumière de Giselle au premier acte ?) sans lâcher le fil de la narration. La version de 1977 dansée à l’American Ballet Theatre par Natalia Makarova et Mikhail Baryshnikov est souvent évoquée.  Mais libre à chacun.e de laisser remonter ses propres souvenirs.

Giselle… – François Gremaud et Samantha van Wissen

La machine s’emballe. De moins en moins conférencière, Samantha van Wissen se laisse petit à petit vampiriser par le ballet, condamnée elle aussi à danser jusqu’à l’épuisement et à nous guider vers l’issue du ballet. Et tout en jonglant entre humour et respect de l’œuvre, elle nous permet de comprendre pourquoi cette histoire continue de toucher, près de deux siècles après sa création. Car en dépit de l’absence de tutus, de pointes, de décors et de bouquet de lys blancs, dans le dépouillement de cette femme seule pied nus, le chignon en vrac, l’émotion affleure.

Ce Giselle… est donc bien plus qu’une conférence dansée. C’est un spectacle qui ouvre des portes sur l’acte de danser, sur le rôle de l’interprète, sur la façon de restituer une histoire sur laquelle le temps n’a pas de prise. Il y a des phrases dont la force d’évocation est à faire pâlir d’envie tout.e critique de danse. Ainsi dans l’acte II : « De temps en temps, Albrecht la soulève, c’est si sensible qu’on ne sait pas très bien s’il la porte ou si au contraire il l’empêche de s’envoler. Elle se dissout, si bien que par moments, on ne sait plus si c’est Giselle qui danse ou juste son souvenir. » C’est sûr : impossible de se plonger dans ce ballet de la même manière.

Juste avant la fin du spectacle, un petit livret de 75 pages est distribué à chacun.e. Jolie idée. De quoi se sentir un peu moins triste de devoir quitter Samantha van Wissen. Rapporter chez soi un peu de cette Giselle… pour continuer à donner vie à ces points de suspension. « Théophile Gautier a écrit Giselle pour une danseuse qu’il aimait, je ne fais pas autre chose« , rappelle François Gremaud. Effectivement, ce spectacle est l’une des plus belles déclarations d’amour à la danse et à l’art vivant qu’on ait vu depuis longtemps.

Giselle… – François Gremaud et Samantha van Wissen

Giselle… de François Gremaud. Avec Samantha van Wissen (danse) et en alternance Anastasiia Lindeberg, Lorentiù Stoian (violon), Tjasha Gafner, Antonella de Franco (harpe), Héléna Macherel, Irène Poma (flûte), Sara Zazo Romero (saxophone). Jeudi 12 janvier 2023 au Théâtre de la Bastille. À voir jusqu’au 24 janvier. Puis le 26 janvier à Alençon, les 28 et 29 janvier à Antony, les 1er et 2 février à Caen. En tournée en France et en Suisse jusqu’à la fin de la saison.

 



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