Rencontre avec Medhi Walerski, directeur artistique du Ballet BC
Le Ballet BC – BC pour British Columbia, du nom de la région canadienne où est implantée la troupe – est enfin en tournée en France, après des dates en 2020 annulées par le Covid. Et avec un programme alléchant, porté par une vingtaine d’interprètes talentueux et brillants, proposant une formidable pièce de dans-théâtre de Crystal Pite, une œuvre envoûtante de Sharon Eyal ou une séduisante proposition du français Medhi Walerski. Ce dernier est aussi le directeur artistique du Ballet BC. Après sa carrière de danseur au NDT, il porte la troupe depuis 2019 en lui apportant un souffle nouveau. DALP l’a rencontré lors de la venue de la compagnie à la Maison de la Danse de Lyon, un directeur à l’écoute de ses interprètes pour une troupe tournée vers la création et pleine de projets. Une belle découverte de ce début d’année.
Le Ballet BC est en tournée à la MC2 de Grenoble les 24 et 25 janvier, à Malraux Scène Nationale Chambéry les 27 et 28 janvier, du 1er au 3 février au Théâtre National de la Danse Chaillot et le 7 février à La Comète de Châlons-en-Champagne.
Comment définir le Ballet BC ?
Le Ballet BC est une compagnie de danse contemporaine basée sur la création. Nous avons tout un répertoire de chorégraphes très importants en ce moment, mais nous présentons aussi des artistes émergent-e-s, notamment venant de Vancouver où la compagnie est installée. Nous avons aussi tout un héritage avec des chorégraphes qui sont peut-être un peu plus classiques, la troupe a ainsi dansé William Forsythe il y a quelques années. Le Ballet BC existe depuis 30 ans. D’abord sous la direction de John Alleyne, un chorégraphe nord-américain très important qui a apporté tous ces chorégraphes européens et organisé beaucoup de tournées. Puis Emily Molnar qui a dirigé la troupe pendant dix ans et lui a donné cette identité plus contemporaine.
Vous venez du NDT (Nederlands Dans Theater), une compagnie au cœur de l’Europe. Maintenant avec le Ballet BC, vous êtes sur la côte ouest canadienne. N’avez-vous pas l’impression d’être parfois isolé ?
Géographiquement, nous sommes isolés. Mais la communauté chorégraphique basée à Vancouver est très riche, ne serait-ce que par la présence de Kidd Pivot, la compagnie de Crystal Pite. Et cet isolement nous permet aussi d’être un laboratoire de toutes nos créations. Nous tournons aussi tous les deux ans à l’est du Canada, à Montréal, Toronto et Ottawa, nous partons beaucoup à l’étranger et nous sommes résidents au Soraya Nazarian Center for the Performing Arts à Los Angeles.
Quel est le profil de vos danseurs et danseuses ?
Nos artistes ont de 20 à 30-35 ans. Nous avons 14 danseurs et danseuses et six apprenti-e-s. Certains sont très jeunes mais très mûrs, ils ont eu des expériences avec des chorégraphes au cours de leur formation. Ils sont prêts et je peux les mettre en scène tout de suite. D’autres sont en fin de carrière, ou ont terminé leur carrière dans des compagnies classiques et veulent se diriger vers un travail différent. Ils ont un rapport très fort à la technique classique, c’est la base de leur éducation. Les pièces que nous proposons sont très contemporaines mais avec une base classique très forte, comme dans les pièces de Sharon Eyal ou de Crystal Pite. Leur entraînement est ainsi hybride : ils ont chaque semaine des cours de danse classique, de moderne, d’improvisation, de danse contemporaine. Quant aux pointes, la compagnie en faisait il y a quelques années, mais avec le répertoire que l’on a aujourd’hui, cela ne fait pas partie de notre travail. Maintenant, nous restons ouverts si un-e chorégraphe demandait de travailler avec la pointe. Les danseuses sont tout à fait capables de le faire, il faut juste veiller à leur proposer un bon entraînement pour éviter les blessures.
Quand un-e chorégraphe vient avec un langage spécifique, il ou elle va aussi enseigner sa propre technique aux artistes. Cela donne ainsi des interprètes très complets. Le plus difficile reste pour eux de passer d’un style à l’autre au cours d’une même soirée, comme dans ce programme de tournée où ils sont dans quelque chose de très théâtral avec Crystal Pite, puis dans le rituel avec Sharon, enfin dans un langage plus lyrique et classique avec moi.
Lors de votre tournée en France, vous organisez en février une audition. Que recherchez-vous chez les danseurs et danseuses qui vont se présenter ?
La passion de la danse. Evidemment, je cherche des artistes qui soient déjà assez complets, avec une forte technique classique même s’ils ne peuvent pas forcément intégrer une compagnie classique. Aussi des danseurs et danseuses qui soient ouvertes à la collaboration, qui soient curieux, très responsables dans le travail, fluides pour passer d’une pièce à l’autre. Mais mon premier critère, c’est de voir la passion qui les anime, leur identité, de voir ce qu’ils sont comme artistes plus que comme techniciens.
Cette audition va se dérouler dans les locaux du CNSMDP, là où vous avez été formé. Quel effet cela fait de revenir dans ces studios ?
J’y suis déjà revenu il y a deux ans en tant que juré, puis l’année dernière une danseuse a choisi l’un de mes solo pour son Prix. Je me suis rendu compte de la chance que j’avais eu d’avoir accès à l’éducation gratuite en France. Mes parents viennent d’un milieu modeste, J’avais une bourse de l’Éducation nationale. C’était incroyable d’avoir accès à la culture et à cette éducation, j’allais voir tous les spectacles à Paris. Quand je vois le coût des écoles de danse nord-américaines, je réalise la chance que nous avons en France, cette incroyable richesse culturelle, la diversité des propositions de qualité. En tant qu’expatrié, ce rapport à la culture me manque. Mais j’ai au Canada un rapport à la création et à mon art très fort qui me nourrit autant.
Quand vous avez pris la direction du Ballet BC en 2019, vous étiez danseur et chorégraphe au NDT depuis plus de 15 ans. Comment endosse-t-on ce nouveau métier ?
Je n’ai jamais pensé à devenir directeur, je suis danseur et artiste avant tout. Je suis devenu chorégraphe, j’ai apporté des pièces au Ballet BC et c’est là que l’on m’a proposé de diriger la compagnie. J’ai décidé de relever le challenge. J’aime travailler sur une programmation, apporter ma vision pour une compagnie de danse d’aujourd’hui. Être un peu comme un chef d’orchestre, cela me passionne. Il faut ensuite trouver un équilibre entre le travail administratif et artistique. Au début, l’on peut être submergé par ce premier aspect, parce que c’est un univers complètement nouveau et qu’il y a beaucoup de responsabilités. Mais on apprend au fur et à mesure à prioriser. J’ai aussi une équipe incroyable, qui connaît bien la compagnie. Nous sommes une petite troupe, cela nous oblige à travailler ensemble et à trouver une culture pour nous définir. Je suis très heureux de faire partie d’une organisation où nous sommes proches les uns des autres.
La crise du Covid a démarré quelques mois après votre prise de fonction, comment avez-vous vécu cette période à laquelle vous ne pouviez pas être préparé ?
Simplement, parce que je ne connaissais pas autre chose (sourire). Notre communauté a été très généreuse pendant la pandémie, le gouvernement canadien nous a aussi beaucoup aidés. Pendant notre saison morte, nous avons réussi à faire autre chose, à monter des créations et à présenter notre travail en ligne. Et nous avons pu garder tous nos danseurs et danseuses. Personnellement, cela m’a donné de l’espace, peut-être même une transition un peu plus organique. Et cela nous a permis de redéfinir la façon dont on travaille et de se rapprocher du public de Vancouver. Je n’ai pas vécu cette période comme quelque chose de très difficile, j’ai toujours essayé de transformer les challenges en opportunités. Le pouvoir de la création face à la destruction nous a tenu, nous a rassemblés et a créé une compagnie très forte, tellement nous avions l’envie de nous retrouver et de travailler.
Aujourd’hui, dans notre travail, la page du Covid est tournée. Par contre, je le ressens encore dans notre relation avec le public. Il va moins s’engager à l’année et va prendre sa place au dernier moment. C’est donc beaucoup plus dur pour nous de voir à plus long terme.
Quel directeur êtes-vous ?
Je suis plus proche d’une vision linéaire que hiérarchique. Nous avons des rôles et des responsabilités et c’est le rapport humain qui définit notre travail ensemble.
Et quelle est votre vision artistique ?
J’aimerais que la compagnie fasse plus de créations et que l’on puisse présenter ces créations à l’étranger. Aujourd’hui, l’on présente des pièces créées pour d’autres troupes comme le NDT. Je souhaite continuer à travailler avec les chorégraphes avec qui l’on travaille en ce moment, continuer à travailler avec des artistes émergents, ou des chorégraphes beaucoup plus établies mais qui n’ont pas encore fait des créations chez nous. Il y a pour cela tout un travail à faire pour avoir accès plus facilement à la scène. Aujourd’hui, le processus est très rapide : nous avons trois jours pour monter un spectacle, parfois deux. Cela peut faire peur aux chorégraphes de ne pas avoir une semaine ou deux de résidence en plateau, et donc plus difficile de les convaincre. J’aimerais également voir la compagnie grandir avec la création d’une troupe junior. Et puis que l’on danse plus souvent en Colombie-Britannique. Le Ballet BC est presque plus reconnu à l’étranger qu’au Canada ou à Vancouver, j’aimerais que notre ville soit fière d’avoir une compagnie comme celle-là, de si grand talent.
En tant que directeur, vous êtes face à une nouvelle génération de danseurs et danseuses, avec de nouvelles préoccupations que la vôtre n’avait pas forcément. Quelles sont vos différences ?
Cette génération a une voix et veut la faire entendre. Et il faut les écouter car ils sont le cœur de la compagnie. Si l’on n’est pas ouvert à ce qu’ils ressentent, nous n’avancerons pas dans la bonne direction. Alors je leur donne une place, je les écoute, et si cela ne fait pas partie de ma vision, je partage mes idées et nous trouvons un accord. Je ne suis pas un dictateur.
Et quelles sont leurs demandes ?
Le respect du temps et de pouvoir grandir en tant qu’individus comme ils grandissent en tant qu’artiste. Et c’est une bonne chose : ils seront de meilleurs artistes s’ils ont une vie riche. Je leur dis aussi que la carrière est courte et qu’il faut commencer dès maintenant à être proches d’autres centres d’intérêt, liés à la danse ou non. Il faut donc leur donner du temps pour cela.
Nous réfléchissons aussi à la manière de structurer le travail, par exemple de prendre le temps de digérer un processus avant de passer à un autre, tant les offres que l’on présente sont différentes. Et d’apporter un support. Ainsi nous avons fait venir un consultant d’intimité quand nous avons travaillé une pièce où les danseuses étaient seins nus sur scène, ou une autre portant sur la sexualité. L’on arrive à être très flexible s’il y a du dialogue.
Vous êtes aussi chorégraphe, le Ballet BC présente votre pièce Garden pendant cette tournée. Que prend comme place votre travail de chorégraphe maintenant ?
Être chorégraphe est là où je me retrouve, là où je suis le plus proche de qui je suis en tant qu’artiste, là où je crée un lien avec les danseurs et danseuses. J’en ai besoin, c’est ma source, là où je puise mon énergie pour ensuite déployer toutes mes heures de travail de directeur. L’un solidifie l’autre.
Quel est votre programme du Ballet BC pour cette fin de saison et la suite ?
En terme de programmation, nous allons faire une soirée avec une compagnie indigène, où chacune proposera une création. Puis nous allons danser des créations de Roy Assaf et Johan Inger, des pièces de Jiří Pokorný, Adi Salant ou du chorégraphe de Vancouver Shay Kuebler. Concernant l’organisation, après une dizaine d’années à louer des espaces, nous allons enfin avoir nos propres locaux ! Nous aurons quatre studios, ce qui nous permettra de grandir, de continuer notre travail avec les écoles ou les cours de danse amateur, de proposer des résidences à d’autres compagnies. C’est un gros changement pour nous et la crise du Covid nous a aussi laissé le temps de déployer notre énergie pour ce projet. Et en juillet, nous allons pour la première fois organiser notre stage d’été pour les pré-professionnels. Certains artistes de la troupe vont y donner des cours, mener des répétitions ou faire des créations.
Je garde du NDT un rapport à l’art qui est plus fort que tout
Vous avez fait votre carrière de danseur au NDT. Qu’est-ce que cette expérience vous apporte dans votre quotidien de directeur ?
La discipline. Et la passion. Cette passion pour la danse et la création est tellement forte… Jiří Kylián, mais aussi Hans van Manen il y a longtemps, ont fondé cette culture qui résonne encore aujourd’hui. Cela se transmet par les artistes. C’est sa force mais aussi sa fragilité, si l’on ne comprend pas ce qu’il faut maintenir pour que cette énergie puisse continuer de se propager. Le cœur du NDT est très fort. J’y ai dansé pendant 20 ans et je garde ce travail du détail, cette espèce de folie entre le chaos et l’ordre. Et un rapport à l’art qui est plus fort que tout. Je découvre chaque jour la chance que j’ai eu d’avoir été là-bas.
Le Ballet BC est en tournée à la MC2 de Grenoble les 24 et 25 janvier, à Malraux Scène Nationale Chambéry les 27 et 28 janvier, du 1er au 3 février au Théâtre National de la Danse Chaillot et le 7 février à La Comète de Châlons-en-Champagne.