[Prix de Lausanne 2023] La finale remportée par Millán De Benito et Fabrizzio Ulloa Cornejo
Pourquoi se contenter d’un seul gagnant quand deux danseurs magnifiques dominent une finale ? Le Prix de Lausanne 2023, qui fêtait son 50e anniversaire avec cette édition, a ainsi désigné deux premiers ex aequo : l’espagnol Millán De Benito de Royal Conservatory of Dance Mariemma et Fabrizzio Ulloa Cornejo, élève de l’école de Bâle. Une petite entorse à la règle pour récompenser deux grands talents, aux même choix de variation classique (Flammes de Paris) qui ont chacun brillé en scène. Onze bourses en tout ont été remis, quatre de plus que d’habitude, sur 22 finalistes. Et une belle finale, de haut niveau, ponctué par les belles performances entre autres d’António Casalinho, ou de la remise du Lifetime Achievement Award 2023 à Carlos Acosta.
Résultats du Prix de Lausanne 2023
Lauréat ex aequo du Prix de Lausanne 2023 (Fondation Caris) et Prix du public web : Millán De Benito (207), 15 ans et 11 mois – Espagne – Royal Conservatory of Dance Mariemma
Une première place attendue ! Le jeune espagnol s’est fait remarquer toute la semaine, par son engagement en cours de danse, sa danse brillante et sa grande écoute pendant les coachings. Sur scène, il a proposé une superbe variation de Flammes de Paris : un fort charisme naturel, une danse précise et qui prend tout l’espace, beaucoup de tempérament, de brio et de maturité : la grande classe ! Il était moins percutant dans sa variation contemporaine, proposant néanmoins une belle proposition avec une qualité de mouvement soignée. Sa première sonnait comme une évidence.
Lauréat ex aequo du Prix de Lausanne 2023 (Oak Foundation) et Prix du meilleur candidat suisse (donateur anonyme) : Fabrizzio Ulloa Cornejo (210), 16 ans et 1 mois – Mexique – Ballettschule Theater Basel
Même variation, même fort tempérament, même charisme naturel , même virtuosité brillante : comment choisir entre les deux candidats ! Le jury n’a pas souhaité le faire, et tant mieux. Le mexicain en faisait peut-être un tout petit peu trop dans l’expression, même si sur ce point il s’est affiné durant la semaine. C’est ce qui fait que, tout subjectivement parlant, Millán De Benito avait notre préférence. Mais il n’y a pas à rechigner face à cette belle première place : Fabrizzio Ulloa Cornejo est un formidable jeune danseur promis à un brillant avenir, que nous avons hâte de suivre.
Troisième bourse (Fondation Coromandel) : Sangwon Park (320), 18 ans et 10 mois – Corée du Sud – Sunhwa Arts High School
La sud-coréenne est vraiment montée en puissance toute la semaine. L’on remarquait son joli travail en cours et sa présence naturelle. Pendant les sélections, elle a montré une danse mature, peut-être encore un peu sèche. Mais pour la finale, la jeune danseuse a monté d’un cran. Et sa variation de Coppélia avait tout d’une pro, avec une belle danse, du charisme et une énergie entraînante. On l’a aussi découverte sensible dans sa variation contemporaine. Très subjectivement, je ne l’aurais peut-être pas mise si haut dans le classement, mais Sangwon Park reste une belle candidate.
Quatrième bourse (Fondation Maurice Béjart) et Prix Jeune Talent (Fondation Rudolf Noureev) : Julie Joyner (310), 17 ans et 8 mois – États-Unis – International City School of Ballet
Une candidate attachante ! Capable de proposer une danse très soignée, et puis parfois beaucoup de stress dans sa terrible diagonale de relevés. Je l’ai personnellement trouvé un peu plus en forme aux sélections, comme plus prise par le stress lors de la finale. Mais l’on remarque son joli travail de fond, son écoute, sa sensibilité. Belle performance aussi dans sa variation contemporaine, où les candidates en font souvent trop, mais où Julie Joyner a su trouver le bon ton et l’émotion juste. Peut-être l’une des candidates qui a le plus progressé durant cette semaine.
Cinquième bourse (Fondation Damm-Étienne) et Prix de public : Seehyun Kim (309), 17 ans et 7 mois – Corée du Sud – Seoul Arts High School
L’une de mes « chouchoutes » ! L’école Seoul Arts High School ne propose que des candidats et candidates à la formidable danse, marquée par la technique Vaganova, et Seehyun Kim ne fait pas exception. Dès les cours de danse, l’on remarque sa danse si juste, sa présence naturelle et sa maturité. Sur scène, elle a fait le spectacle avec Esmeralda, envoyée comme une Étoile, d’une grande classe ! Et a su aussi montrer sa personnalité dans la variation contemporaine. Une danseuse déjà professionnelle, et déjà soliste dans sa tête.
Sixième bourse (Bourse Jeune Espoir) : Alecsia Maria Lazarescu (101), 15 ans – Roumanie – Ballettschule Theater Basel
L’un des jolis coups de coeur de cette semaine. La plus jeune des candidates s’est démarquée toute la semaine, radieuse en cours de danse, à la technique déjà si soignée. Sur scène, elle a montré un peu plus de timidité. Sa variation du Talisman n’en restait pas moins un très joli moment, musical et précis, avec un charme naturel qui emporte l’audience. Elle a aussi montré une certaine maturité dans Chroma de Wayne McGregor. Une jeune talent à suivre dans les années à venir.
Septième bourse (Fondation Albert Amon) et Prix contemporain (Minerva Kunststiftung) : Ana Luisa Negrão (314), 18 ans et 1 mois – Brésil – Cia Jovem Do Teatro Escola Basileu França
Là encore, une des candidates qui s’est démarquée toute la semaine, et que très subjectivement, j’aurais mis un peu plus haut dans le classement, mais qu’importe. Elle a encore du travail, une danse à affiner, mais que de potentiel et de talent, et d’une personnalité déjà affirmée en scène dans le si difficile Grand pas classique. Les propositions d’écoles ne devraient pas manquer. Elle a montré dans Les Ombres du temps beaucoup de sensibilité, qui lui a valu aussi le Prix contemporain.
Huitième bourse (Bourse Astarte) : Keisuke Miyazaki (201), 15 ans – Japon – Wakui Ballet School
Un beau travail de cours, une danse déjà aboutie : l’on pressentait très vite que Keisuke Miyazaki aurait sa place en finale. Il a proposé avec son Siegfried une belle danse bien en place et beaucoup de musicalité. Et même s’il en faisait un peu trop dans sa variation contemporaine, il a proposé dans son ensemble un beau parcours équilibré.
Neuvième bourse (Bourse Jeune Étoile) : Emily Sprout (114), 16 ans et deux mois – Australie – Prima Youth Classical Academy
Absolument charmante dans Le Talisman, avec une danse si musicale et en place, j’aurais bien mis Emily Sprout un peu plus haut là aussi, mais qu’importe encore une fois. Elle a montré dans ses deux variations une belle qualité de mouvement, et durant toute la semaine une personnalité attachante, qui se démarquait. Un talent à suivre.
Dixième bourse (Bourse Clermont-Tonnerre) : Giuseppe Ventura (413), 18 ans et 1 mois – Italie – Zurich Dance Academy
Un candidat qui a montré beaucoup de maturité. Il voulait montrer ce qu’il savait faire en Solor, faire le spectacle, un peu parfois à défaut de la musique. Un danseur déjà professionnel, là encore.
Onzième bourse (Bourse Beau-Rivage Palace) : Soo Min Kim (318), 18 ans et 9 mois – Corée du Sud – Sunhwa Arts High School
En cours, l’on remarquait sa belle technique et son expressivité. Mais j’avoue avoir surtout découvert Soo Min Kim, avec une variation de Paquita superbe et montrant beaucoup de maturité, l’un de mes coups de coeur des variations classiques. Elle était par contre un peu plus légère en contemporain.
Prix contemporain (Minerva Kunststiftung) : Alexander Mockrish (212), 16 ans et 7 mois – Suède – Royal Swedish Ballet School
Un Prix contemporain mérité sans l’ombre d’un doute pour Alexander Mockrish, qui a su se démarquer dans Les Ombres du temps de Luca Branca, une variation très souvent choisie. Mais il a su y apporter une sensibilité particulière, beaucoup de personnalité. Mon coup de coeur des variations contemporaines.
La finale en quelques mots
Quel plaisir de retrouver la belle scène du Théâtre de Beaulieu, remise à neuf et sans la pente, pour ce 50e Prix de Lausanne ! La finale a été à la hauteur de l’événement, avec 22 candidats et candidates de haut niveau, à la belle danse et à la forte personnalité, qui osaient se lancer. Bravo à tous et toutes, ils ont su offrir un beau spectacle. Avec onze prix sur 22 élèves, difficile de trouver à redire sur les récompensé-e-s. Les deux premiers ex æquo tombaient sous le sens. L’on peut ergoter sur le classement, avec chacun et chacune sa sensibilité. Mais enfin, il n’y a dans les résultats aucun oubli notable et aucune incompréhension. Personnellement, quitte à donner un double prix contemporain, je l’aurais plutôt décerné à Kanata Ijima, qui a su me toucher dans Becomings, plutôt qu’à Ana Luisa Negrão, même s’il n’y a pas de quoi crier à l’oubli.
Sur scène, Jean-Christophe Maillot s’est montré prévenant et bienveillant envers les finalistes, comme il l’a été durant toute la semaine, n’hésitant pas parfois à aller lui-même demander le calme de l’autre côté du studio. Il a aussi raconté son si fort attachement au Prix de Lausanne, un concours qui a changé sa vie, fondée entre autres il y a 50 ans par la volonté de Rosella Hightower, dont il était élève. « Lausanne, ce n’est pas un concours, c’est une communauté ouverte« . Une jolie phrase qui résume bien l’ambiance si particulière de cette semaine de Prix, où le monde de la danse semble se retrouver, ici à Lausanne, durant quelques jours.
Pendant l’intermède, António Casalinho et Margarita Fernandez ont épaté tout le monde avec Diane et Actéon d’une grande classe. Vainqueur du Prix de Lausanne 2021, l’édition en vidéo sous Covid, António Casalinho est en fait venu sur scène danser les deux variations qu’il a présentées à l’époque (Diane et Actéon étant agrémenté du pas de deux dans son intégralité). Un joli clin d’œil pour un formidable danseur, qui aura donc bien pu danser ses variations sur la scène du Théâtre de Beaulieu. L’on a aussi bien aimé l’efficacité de Bold de Goyo Montero, monté dans le cadre du Projet Chorégraphique. Un projet un peu fou : pendant une semaine, 24 élèves des écoles partenaires du Prix de Lausanne se retrouvent en studio, au quatrième étage du Théâtre de Beaulieu, pour monter une création. Goyo Montero a su y faire en donnant, malgré le peu de temps, une belle dynamique de groupe et une partition où chacun et chacune a pu s’exprimer.
Carlos Acosta, enfin, a reçu le Lifetime Achievement Award. « Revenir au Prix de Lausanne, c’est revenir à la maison« , disait-il un peu plus tôt. Le danseur, charismatique même quand il ne fait que parler, a retracé ses souvenirs du Prix de Lausanne avant de donner quelques conseils aux jeunes artistes. « La peine d’aujourd’hui en cours de danse sera votre force de demain« . Et une standing-ovation pour l’Étoile qui a tellement marqué la scène ces vingt dernières années.