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Over Dance de Rachid Ouramdane et Angelin Preljocaj

Peut-on danser à tout âge ? Que nous racontent les corps vieillissants qui se mettent en mouvement ? Chacun à leur manière, Rachid Ouramdane et Angelin Preljocaj s’emparent de ce questionnement dans le spectacle Over Dance. Ce projet original associant des interprètes seniors, à l’initiative de la Fondazione Nazionale della Danza / Aterballetto, prend la forme d’un diptyque poétique et sensible qui invite à une réflexion sur le temps qui passe et l’empreinte qu’il laisse sur les êtres dansants. Et si nous cessions d’envisager le vieillissement comme une renonciation ou une diminution physique ? C’est ce vers quoi, sans jamais céder à la complaisance, ces deux pièces pudiques nous entraînent dans le dépouillement, la lenteur et la fragilité, entre nostalgie et soif de vivre.

Un jour nouveau de Rachid Ouramdane

Rachid Ouramdane ouvre le bal de Over Dance avec Un jour nouveau, pièce pour deux interprètes. Herma Vos, 67 ans, est une ancienne meneuse de revue, au Lido et au Paradis latin ; Darryl E.Woods, 70 ans, un danseur formé au Dance theatre of Harlem qu’on a ensuite vu chez Alain Platel et Sidi Larbi Cherkaoui. Les faire se rencontrer fait sens telles deux anciennes gloires qu’on aurait convié à remonter sur scène. On se croirait dans le film Ginger et Fred de Federico Fellini où un ancien couple de music-hall, Amelia et Pipo, se retrouve après trente ans de séparation. Une même nostalgie se dégage de ce duo.

S’ils ont tous deux revêtu leurs habits de lumière, le geste est plus ralenti, le cabotinage plus apaisé. Herma et Darryl sont moins dans le show-off. Les paillettes ont perdu un peu de leur éclat, mais le charme opère toujours. Le plaisir de danser et d’être sur scène sont palpables. Nimbé de très belles lumières, ce duo raconte beaucoup du passé qu’on trimballe en héritage, parfois pesant, parfois réconfortant. Réunis dans un, qui sait, peut-être dernier cha cha, les voilà qui s’éloignent déjà… Cette parenthèse de 15 minutes laisse un sentiment d’inachevé, mais émeut par la fragilité qui la traverse.

Birthday party d’Angelin Preljocaj

Plus longue, la pièce d’Angelin Preljocaj permet une exploration plus aboutie de la thématique des corps vieillissants dansants. Dans Birthday Party, ils sont huit, quatre hommes et quatre femmes âgés de 66 à 80 ans. Des anciens professionnels tel Bruce Taylor, professeur de danse jazz, septuagénaire qui donne toujours des cours de danse, ou encore la chanteuse des années 1980 Elli Medeiros (« Toi toi, mon toit », c’était elle),  méconnaissable si on n’avait repéré son nom dans la feuille de salle, côtoient des amateurs. Pour certain.e.s, comme Marie-Thérèse la doyenne, c’est même un baptême du feu scénique. On le perçoit assez vite mais par petites touches tant l’alchimie fonctionne. Les voici se présentant face à nous dans des vêtements d’apparat, de magnifiques costumes pour des statues de cire qui (re)prennent vie sous nos yeux à l’occasion de cette fête d’anniversaire peu commune.

Petit à petit, Angelin Preljocaj les découvre à l’occasion d’une suite de tableaux dans lesquels on reconnaît sa patte. Il y a des résonances avec d’autres pièces du chorégraphe. Comme si lui aussi en profitait pour revisiter certaines étapes de son parcours . Il n’élude pas la question de la sensualité des corps. Une des séquences où tous et toutes se retrouvent allongé.e.s sur le sol en costume chair dans un minimalisme suggestif, très nijinskien, est d’une grande beauté plastique. Tout comme la série de duos avant le final de la pièce où chaque élan ou geste de tendresse peuvent faire figure de provocation dans une société qui enterre parfois un peu trop vite « les vieux ». Quelle émotion de voir ces corps raconter l’histoire que le chorégraphe a écrite pour eux et en dire même davantage. Chacun.e joue sa propre partition soigneusement révélatrice de sa personnalité. Malgré l’âge, le manque de souplesse, l’engagement est sans failles. Poussé.e dans ses retranchements, chacun.e. s’engage avec une maladresse touchante, ou une application qui l’est tout autant.

Même s’il n’est pas le premier chorégraphe à faire danser les corps vieillissants, Angelin Preljocaj s’inscrit dans le sillage de Pina Bausch qui en 2000, reprit Kontakthof avec des amateurs âgés de plus de 65 ans. À la fin du voyage, les huit interprètes ré-endossent leurs beaux atours. Ils vont devoir reprendre leur place dans le cadre. La boucle est bouclée. La fête est finie. Elle n’était ni voyeuse, ni obséquieuse, joyeusement rock et débordante d’une fulgurante envie de vivre.

Birthday party d’Angelin Preljocaj

FND / Aterballetto. Over Dance. Un jour nouveau de Rachid Ouramdane avec Darryl E. Woods et Herma Vos ; Birthday party d’Angelin Preljocaj avec Mario Barzaghi, Sabina Cesaroni, Patricia Dedieu, Roberto Maria Macchi, Elli Medeiros, Thierry Parmentier, Marie-Thérèse Priou, Bruce Taylor. Vendredi 17 février 2023 à Chaillot, Théâtre national de la danse. À voir du 2 au 4 mars au Pavillon noir- Ballet Preljocaj à Aix-en-Provence avant une tournée en Italie.

 



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